COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
JEUDI 22 FÉVRIER 1996
LES RETRAITES EN PERSPECTIVES
Lors de la nomination de M. Raoul Briet, à la direction de la sécurité sociale, l'Agence France Presse présentait cet énarque de 42 ans, ci-devant directeur général de la CNAVTS, comme l'auteur d'un rapport "remarqué" sur les Retraites.
Remarqué peut-être Mais remarqué par qui ? Là est toute la question.
L'honnêteté nous oblige à la dire. Parmi les milliers de pages dont nous sommes affligés à propos de la Sécu nous n'avions guère remarqué la qualité du document. Il a fallu le relire avec un peu plus d'attention que nous ne l'avions feuilleté lors de sa parution en octobre 1995, où les bruits de bottes cégétistes s'annonçaient à l'horizon
Il ne faut pas dire en effet : "Bof ! un rapport de plus." Il faut considérer, au contraire, le poids de ce rapport intitulé "Perspectives à Long Terme des Retraites". Il émane du Commissariat général au Plan. M. Briet y présidait un groupe de travail. Il parlait en sa qualité de directeur général de la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs Salariés. Il faut donc prendre ce document pour ce qu'il est. Il exprime la pensée de l'État. L'État, comme chacun le sait, voit loin. L'État pense pour nous. L'État décide pour nous. Le pitre ne rit pas. Le pitre saisit vos comptes en banque. Le pitre vous met en accusation si vous ne pensez pas comme il faut. Prenons donc ce document au sérieux.
Tout d'abord on remarquera que le groupe de travail de M. Briet, dans le cadre du Plan, le groupe de travail de l'État, ne demande guère leur avis aux représentants de l'économie productive, aux cotisants, etc. Sur 13 membres de ce groupe tous sont fonctionnaires ! Ils sont "chef de bureau des Transferts sociaux, à la Direction de la Prévision du Ministère des Finances" : c'est M. Pierre Abraham. Catherine Zaidmann est "chargée de mission au commissariat général au plan". M. Jean-Christophe Rubinstein vient du ministère des Affaires sociales etc. On ne prend même pas le risque, parmi les 18 "autres" personnes qui "ont également contribué" de donner la parole à autre chose qu'à la technocratie. Parmi ces 18 "autres", deux personnages timidement, paraissent sortir de quelque chose s'approchant de l'économie réelle : un représentant de la SNCF, un autre de la Caisse des dépôts. Tout le reste vient de l'INSEE, des ministères etc.
C'est sans doute pourquoi ce rapport de 243 pages, en fait, était demeuré inaperçu
On n'y trouve pas un mot sur l'hypothèse de la capitalisation, puisque les décisions de Balladur en 1993 ont, comme chacun sait, sauvé le régime de la répartition
On y trouve quand même des éléments de réflexion. Par exemple en 2015, les exploitants agricoles retraités seront 1,6 million contre 2 millions aujourd'hui. Bonne affaire pour le "régime", n'est-ce pas. Seulement, nos rapporteurs l'ignorent peut-être, il se trouve que l'on peut redouter qu'à la même période les exploitants cotisants soient environ 400 000 contre 766 000 fin 1995. Autrement dit le rapport retraités/cotisants déjà désastreux, 1 cotisant pour 2,6, retraités passera à 1 cotisant pour 4 retraités.
Reconnaissons que nos rapporteurs sont plus ou moins conscients de ce genre de phénomènes. Ils en arrivent même à oser écrire, dans leur langue de bois : "Ces travaux d'actualisation mettent cependant en lumière cependant parce que le système est globalement sauvé des risques d'iniquité intra et intergénérationnelles." Pas possible ? Des risques d'iniquité ? Sans blague ! C'est à ne pas croire ! Quelle audace !
On comprend qu'un responsable de cette valeur, et de ce courage intellectuel, prenne désormais la tête, non plus seulement de la CNAVTS, mais de la sécurité sociale tout court. Car la Sécu n'est pas principalement menacée sur le terrain de la Maladie. La Branche Maladie est ce que l'on agite dans l'opinion, avec la complicité d'ailleurs, plus ou moins consciente du corps médical, qui ne s'intéresse qu'à elle, simplement parce qu'il en vit.
Mais à la vérité les deux autres Branches, Famille et Vieillesse posent des problèmes plus préoccupants encore parce que ce sont des problèmes à long terme et que plus tard on les résoudra, plus douloureuse et bancale en sera la solution.
Osons dénoncer, de ce point de vue, deux attitudes proprement criminelle. Criminel l'indécent optimisme affiché par le rapport de M. Raoul Briet. Également criminelle l'attitude consciente de ceux qui détournent l'opinion de l'urgence du problème des retraites, pour nous parler des médicaments génériques et autres fariboles étatistes et misérabilistes.
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