COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
MERCREDI 31 JUILLET 1996
L'ESPOIR C'EST D'ABORD
LA RÉFORME DE LA PROTECTION SOCIALE
Le sénateur Lieberman
s'est rallié à la réforme de la protection sociale aux États-Unis
La France abordera à l'automne, dans le cadre du débat d'orientation budgétaire un projet de Réforme fiscale dont le principe ne nous paraît pas mauvais, mais dont nous avons pu remarquer qu'il était hélas relativement faussé et mal engagé.
La question décisive est, notamment, l'absence de vraie comparaison entre la France et les autres pays industrialisés.
On fait, trop souvent en France, l'impasse sur les vraies évolutions du monde actuel pour s'enfermer dans l'idéologie (par ex. la progressivité de l'impôt sur le revenu serait "juste"). On ne tient pas assez compte de la question des charges sociales dans la fiscalité personnelle, particulièrement dissuasive pour les travailleurs indépendants et entrepreneurs individuels.
Il se trouve qu'en 1994 les États Unis ont vécu un virage essentiel. Le président Clinton et son épouse avaient été, d'abord, engagés dans un projet de réforme du système de soins, projet d'inspiration assez proche du système français. Mme Veil s'en était félicitée Sur ce programme, cependant, le parti démocrate connut une défaite historique aux élections dites intermédiaires (à mi-mandat présidentiel) de novembre 1994. Cette défaite amenait tant à la Chambre des représentants qu'au Sénat, une majorité sans précédent en faveur des républicains, majorité dont par exemple le président Reagan n'a jamais bénéficié.
Depuis lors, tant chez les républicains que chez les démocrates l'heure est, au contraire, à la remise en cause systématique de la législation de Welfare State, héritées des promesses de John F. Kennedy ("Nouvelle Frontière") et des années de présidence de son successeur Lyndon B. Johnson ("Big Society" de 1965).
C'est ainsi que le Sénat a adopté ce 23 juillet par 74 voix (près des 3/4 de cette assemblée la plus prestigieuse aux États Unis) un projet de réforme radicale de la protection sociale.
Cette évolution nous semble très importante pour la France.
Nous avons donc cru intéressant pour nos lecteurs de traduire, dans ce contexte, et à titre de document, l'article publié par l'International Herald Tribune (27-28-7-96) sous la signature de Joseph I. Lieberman, sénateur démocrate du Connecticut.
Évoquons quelques petites difficultés de traduction.
"welfare", "aid" Il est d'usage de traduire "Welfare State" par État Providence ; on ne peut pour autant traduire "welfare" (littéralement "bien-être") par Providence ! . Selon le contexte de la phrase, nous l'avons traduit par "protection sociale", ou "assistance"
"teen pregnancy" désigne la grossesse des mères célibataires de moins de 20 ans ("teenagers"). C'est l'une des plaies de la société américaine, "encouragée" par les allocations familiales. Faut-il parler d'adolescentes ?
"community" a été traduit par municipalités suburbaines.
Rappelons aussi qu'il est préférable, si l'on souhaite s'exprimer en français, de traduire "government" par État, et "administration" par gouvernement, contrairement à l'usage systématique de la presse française qui parle de "l'administration Clinton"
Les États Unis étant une démocratie (un mot difficile à traduire en français), on ajoutera qu'une Loi n'y est pas une "mesure" décidée par le gouvernement et annoncée par un discours du premier ministre ou un entretien télévisé du chef de l'État. Elle doit être votée par les deux Chambres et promulguée par le président qui peut, seulement, et rarement, opposer son veto.
JGM
Document :
"LA RÉFORME DE LA PROTECTION SOCIALE APPORTE L'ESPOIR"
"Les adversaires de la loi des États Unis réformant la protection sociale, adoptée par le Sénat la semaine dernière, n'ont pas cessé de nous dépeindre la vision cauchemardesque d'un pays où des millions d'enfants se trouveraient réduits à la misère, cependant que leurs parents mèneraient une vie de désespoir et de déréliction.
À mes yeux cette description correspond plutôt aux effets de la protection sociale telle que nous la connaissons aujourd'hui.
Des millions d'enfants et leurs familles sont réduits à la misère, en grande partie grâce aux programmes étatiques qui ne font rien pour les aider ou les encourager à trouver du travail. L'État Providence permet à un homme d'engendrer un enfant sans se préoccuper d'en être le père. Il rend possible pour une jeune femme (trop souvent âgée de moins de 20 ans) d'avoir un enfant, de quitter la maison familiale, de trouver un logement et de survivre sans travailler. Il fait en sorte que des millions de familles végètent et ne s'en sortent jamais.
La Loi votée par le Sénat redonne de l'espoir aux Américains pauvres, et aux contribuables désireux d'un État dépensant leur argent avec sagesse ; elle réhabilite les valeurs américaines, de travail, de famille et de responsabilité. J'espère que nos efforts réformateurs ne s'arrêteront pas avec elle, mais elle nous conduit activement dans la bonne direction. Ce texte va maintenant passer en Commission mixte composée de sénateurs et de représentants, et si elle en sort intacte, le président Bill Clinton devra la promulguer.
Plus important, elle mettrait dès lors un terme à la politique de gaspillage, de pénalisation du travail et de la famille, et d'isolement des pauvres coupés de l'économie et de la culture dominante. Les bénéficiaires de l'assistance d'État ne seront aidés qu'à condition de travailler ou de recevoir une formation. Il sera bien établi que les allocations pécuniaires sont temporaires. Et les dispensateurs de l'aide apprendront à en évaluer l'effet bénéfique par des contrôles périodiques et en fonction du retour à l'emploi des allocataires.
Ceux qui critiquent cette réforme de la protection sociale ont développé des plaidoyers très émouvants selon lesquels cette réforme "punirait les enfants", mais ils ne se rendent pas compte eux-mêmes que la détresse de tant d'enfants aujourd'hui a précisément pour cause la protection sociale.
Le nombre des enfants ressortissant de l'assistance sociale a progressé d'environ 300 % au cours des 30 dernières années. Les enfants nés dans les familles assistées sont 3 fois plus nombreux que ceux de la génération précédente ayant atteint l'âge adulte.
Le projet de réforme voté par le Sénat prend acte des liens terribles entre ces grossesses des moins de 20 ans et la misère, et il aura pour effet de les rompre en imposant aux mères célibataires de moins de 20 ans de demeurer sous le toit familial, ou de subir une tutelle adulte, pour pouvoir être aidées. Elles devront également continuer leur scolarité ou recevoir une formation professionnelle.
Bien plus, le plan prévoit que 25 % au moins des municipalités suburbaines américaines devront avoir mis en place dès 1997 un programme de prévention des grossesses d'adolescentes. Des amendements ont été prévu pour empêcher les États de céder à la démagogie et de sortir de leur rôle (un problème directement lié à celui de la maternité des célibataires de moins de 20 ans) et de réserver l'argent fédéral aux programmes tendant à dissuader les naissances hors mariage.
La loi se propose également de réserver 13,8 milliards de dollars à l'aide à l'enfance dans les 6 prochaines années. Elle permettra aux mères d'enfants âgés de moins de 6 ans de travailler à temps partiel, et aux mères d'un enfant de moins d'un an de rester au foyer sans perte de revenu.
Le texte sénatorial met fin à l'assistanat actuel, et cela est conforme aux promesses de M. Clinton, et à celles de nombreux élus Républicains et Démocrates. Il le fera sans toucher aux garanties en matière de soins médicaux et de logement nécessaires à des millions de familles.
Le président Clinton est légitimement préoccupé par l'interdiction faite aux États de fournir aux familles en fin de droit une aide non-pécuniaire destinée à des biens de première nécessité pour leurs enfants. Malheureusement aussi, la loi proscrit les tickets d'alimentation, l'assistance médicale, ou autre, en faveur des immigrés en situation régulière mais actuellement malades ou âgés, et dans le besoin.
Mais aucun texte législatif ne saurait contenir à lui seul tout seul ce que désire chaque membre du Congrès. La question est : le texte apporte-t-il une amélioration par rapport au système actuel, pour le peuple américain et spécialement pour les 13 millions de personnes actuellement bénéficiaires des programmes sociaux.
Mardi dernier, 74 sénateurs, des deux partis, ont répondu : Oui."
Joseph I. Lieberman Sénateur Démocrate du Connecticut
New York Times 27-7-1996