La diffusion d'une étude récente du Centre de recherche d'étude et de documentation en économie de la santé nous semble mériter réflexion. Elle illustre à la fois certains problèmes de l'assurance-maladie et les fausses solutions monopolistes, malthusiennes, dirigistes et misérabilistes vers lesquelles on cherche à conduire l'opinion publique.
Un quart de la population, affirme le CREDES, serait à l'origine de 79 % de la dépense en soins médicaux en France, et près de la moitié de cette dépense serait concentrée sur seulement 5 % de personnes.
Autre présentation, plus spectaculaire encore, de la même donnée statistique : on dira que près de 70 % des remboursements de l'assurance-maladie seraient liés aux dépenses des 10 % plus gros consommateurs de soins médicaux.
Ces "gros consommateurs", nous dit-on aussi, sont responsables de 59 % des dépenses de soins médicaux. On remarque donc qu'ils sont mieux remboursés par la Sécu monopolistique : 60 % des dépenses engendrent en gros 70 % des remboursements.
La diffusion de tels chiffres, même en milieu restreint, n'est absolument pas innocente. Il s'agit confusément de nous faire ressentir ces assurés sociaux comme des privilégiés qui coûtent très cher aux cotisants. Ceci est évidemment destiné à justifier, aussi, la politique de restriction des remboursements et de rationnement des soins.
La confusion méthodologique est ici éclatante. On remarque que l'étude s'intitule "Concentration des dépenses et grands consommateurs de soins médicaux". Elle se fonde sur les demandes présentées au remboursement par un échantillon d'assurés sociaux de la CNAM et de la Canam sur l'année 1995 antérieure au plan Juppé-Barrot. Cette année-là 16 % des personnes ont été hospitalisées avec une dépense moyenne très élevée (21 300 F). Le CREDES reconnaît que la méthode retenue entraîne une " forte sous-estimation des dépenses en soins hospitaliers." En effet, les grands malades ont souvent refusé de répondre lors de l'Enquête sur la santé et la protection sociale, et les personnes hospitalisées n'ont pas été interrogées. Alors que la consommation médicale totale par personne, établie par les Comptes nationaux de la Santé était en France de près de 12 000 F en 1995, l'échantillon fait apparaître une dépense moyenne 30 % plus faible.
Il apparaît alors que les "gros consommateurs" sont soit des personnes atteintes d'un grand nombre de maladies (8 et plus), le plus souvent âgées, soit des personnes, en général plus jeunes, souffrant d'une seule ou deux maladies graves ou coûteuses (tumeurs notamment) ou victimes d'un accident.
Dire incidemment que les femmes sont plus nombreuses (59 %) que les hommes parmi les 10 % de plus gros consommateurs de soins, ou au contraire que la dépense moyenne annuelle par homme a été plus élevée (53 900 F) que celle par femme (44 360 F) c'est occulter tout simplement le fait que les femmes vivent plus longtemps que les hommes, et donc que le pourcentage de ceux-ci en fin de vie est plus élevé. Plus de la moitié des 452 gros consommateurs de l'échantillon retenu bénéficiaient d'une prise en charge à 100 % par la Sécurité sociale, 85 % bénéficiaient d'une couverture complémentaire : normal puisque l'on se base sur des demandes de remboursements à la CNAM et à la Canam. À l'inverse, 9,3 % des personnes de l'échantillon n'ont obtenu de remboursement par l'assurance-maladie et environ 30 % ont eu une consommation inférieure à 1 000 F par personne. Ceci donne une idée du mauvais système de remboursement pour une partie de la population.
Au total, sous couvert de mettre en évidence la disparité des dépenses on passe sous silence le fait que pour les plus grands consommateurs de soins l'essentiel de leurs dépenses sont des frais hospitaliers. La méthode choisie, celle de l'étude d'une seule année, aboutit certes à la démonstration inutile que, chaque année, les malades dépensent plus que les bien portants (!). Et surtout on occulte les questions essentielles qui sont, ici, celle du gaspillage hospitalier et celle du vieillissement.
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