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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
JEUDI 27 JANVIER 2000
MOULINEX : À QUI LA FAUTE ?
DEPUIS
bientôt 10 jours, la fermeture annoncée de l'usine Moulinex de
Falaise devient une affaire nationale. Cette petite ville de Normandie, patrie
de Guillaume le Conquérant et de Georges Marchais compte 8 000 habitants
et elle emploie encore 400 personnes sur le site de Cormelles-le-Royal où
sont fabriqués des aspirateurs et des fours à micro-ondes. C'est
donc, à l'échelon local, considérable.
Dans
un contexte de libre échange, de libre embauche et de libre entreprise,
une telle fermeture serait loin d'être dramatique. Le personnel, largement
qualifié, serait reconverti aisément dans des usines plus modernes,
vouées à des tâches plus gratifiantes que l'entretien des
avions Messerchmidt.
Aujourd'hui,
les choses sont moins simples, du fait des innombrables obstacles administratifs
à l'embauche. Pendant plusieurs années le Calvados va considérer
cette situation comme un drame social frappant des dizaines de familles.
La première explication qui vient à l'esprit, pour séduisante qu'elle soit, est assurément simpliste.
La
marque Moulinex créée en 1932 par l'industriel génial Jean
Mantelet, inventeur du presse-purée, meurt d'être aujourd'hui
entre les mains d'un énarque. On dit de M. Pierre Blayau qu'il a pour
ami Alain Minc. L'accusation est grave. Car le président de la société
des lecteurs du Monde n'est pas seulement un esprit faux. C'est aussi un terrible
porte-poisse. Mais on ne cédera pas à la tentation. La lecture
du Monde n'est pas ici une explication suffisante.
Autre
accusée, désignée pour suspect numéro un, la mondialisation.
Le mot d'ordre est lancé par la CGT, mais quantité de bien braves
gens le reprennent sans broncher. Le délégué central CGT
du groupe Moulinex, dénonce ainsi le "sourcing". Barbarisme
en français, ce mot, qui ne veut rien dire de bien précis en anglais,
est supposé recouvrir la sous-traitance à l'Étranger.
Ses déclarations sont complaisamment reproduites
par L'Humanité (25 janvier) :
Parmi les causes qui conduisent à faire fondre les effectifs de son entreprise, Thierry Lepaon, délégué central CGT du groupe Moulinex, cite "le développement du sourcing", autrement dit de "l'activité négoce de Moulinex : on achète à l'étranger chez un concurrent et on revend en France et en Europe sous la marque Moulinex". Selon lui, "en 1995, cette activité représentait un chiffre d'affaires de 300 millions de francs. En 1998, elle équivaut à 1 milliard 100 millions de francs, soit un chiffre multiplié par quatre en trois ans ". Le délégué syndical estime que " cette situation n'est pas fatale. Selon l'expertise réalisée commandée par le comité d'entreprise, ce taux de marge est identique à celui obtenu dans nos établissements en France. Le sourcing ne peut s'expliquer que pour la raison suivante : il est plus facile d'acheter pour revendre que de produire, ce qui est tout de même la vocation première d'une entreprise industrielle et d'un groupe comme le nôtre." S'agissant de l'emploi, Thierry Lepaon précise que "les politiques de délocalisation n'épargnent pas Moulinex, que ce soit au Brésil, au Mexique, en Espagne et maintenant en Chine. Dans ce pays, on fabrique des micro-ondes qui seront, à n'en pas douter, exportés en Europe. C'est une concurrence déloyale. Et chacune et chacun peut constater que Carrefour, comme d'autres, vend des micro-ondes à 399 francs, c'est-à-dire en dessous du prix de revient départ usine. Cette démarche est également vraie pour des cafetières à 49 francs et des aspirateurs à 230 francs. Ainsi, les mêmes causes produiront les mêmes effets, et à terme, ce sera de nouveau moins d'emplois."
Première observation : en 5 ans, depuis 1995 le groupe
Moulinex est passé de 12 000 salariés dans le monde dont 7 500
en France, à 9. 000 salariés dont 6 000 en France. Autrement
dit, le fameux "dégraissage" a licencié plus de personnels
à l'Étranger (3 000 licenciés sur 4. 500
= 66 %) qu'en France (1. 500 licenciés sur 7 500
= 20 %).
Deuxième observation : la principale source de difficultés
récentes de l'entreprise aura été la perte brutale en 1998
du débouché russe, 800 millions de francs de chiffre d'affaires
soit 10 % de l'activité.
Les
faits démontrent donc que l'international est vital pour l'entreprise
et que le protectionnisme est loin d'être la solution. Détail amusant,
l'Humanité titre l'entretien : "On achète à l'étranger
et on revend en France sous notre marque." Or, Lepaon dit : "en France
et en Europe." La nuance est de taille.
Osons dire la vérité : les pertes d'emplois en France sont dues, avant tout, au système social français.
JG Malliarakis
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