COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
VENDREDI 4 FÉVRIER 2000
VRAIE OU FAUSSE HARMONISATION
On peut parfois se demander dans quel camp se situe, en fait, la rédaction des Échos. Le principal quotidien économique français se situe-t-il dans la perspective de l'évidence ou dans celle de l'utopie ? Est-il dans le camp de la libre entreprise, ou dans le camp de l'étatisme ?
Dans sa livraison du 1er février, on voit présenter le dossier de la fiscalité européenne de la manière suivante. Gros titre : Haro sur la flibuste fiscale. Et le sous-titre est : L'Euro rend l'harmonisation incontournable. Or, tout ceci est évidemment assez mensonger, sauf à dire, au contraire que l'impossibilité de ce que les Français (et eux seulement) appellent, faussement, harmonisation fiscale risque de rendre l'Euro fort problématique.
Tout d'abord pour pouvoir parler d'harmonisation, il faudrait que les grandes lignes de doctrine fiscale soient comparables en Europe. Ce n'est absolument pas le cas, et tel est bien le point essentiel. La plupart des pays européens sont plus ou moins acquis à l'idée de décrue fiscale et sociale, sauf précisément la France officielle. Celle-ci inclut manifestement la rédaction des Échos qui reflète sur ce point la tradition fiscaliste de l'administration française des Finances siégeant dans la citadelle de Bercy.
Pour Bercy, l'harmonisation c'est une convergence vers une fiscalité commune de type français.
Pour l'Europe, c'est le contraire. Les Échos reproduisent, mais en bas de page, un entretien avec le commissaire européen M. Frits Bolkestein. Celui-ci exprime un point de vue maintes fois et constamment réaffirmé, depuis 10 ans, par la commission Santer comme par la commission Prodi, et notamment par des personnalités aussi différentes que Mario Monti, Christos Papoutsis, Karel Van Miert ou Léon Brittan, anciens ou actuels responsables qui du marché unique, qui des entreprises, qui du commerce extérieur, qui de la concurrence. Tous s'accordent à reconnaître la nécessité de baisser le fardeau fiscal et social imposé aux Européens. Tous les pays européens, du plus grand au plus petit, du plus riche au plus pauvre, cherchent à évoluer dans le sens de cette considération. Tous sauf la France.
Or, si baisser le fardeau fiscal et social est une nécessité globale pour l'Europe des Quinze, on conçoit que cette nécessité soit encore plus forte pour la France, puisque les prélèvements obligatoires y sont beaucoup plus élevés qu'ailleurs. La différence entre taux français et taux européens se situe entre 10 et 15 points de prélèvements
Pour donner un ordre de grandeur, on suppose qu'une telle politique de décrue fiscale s'étale sur 5 ans. Si l'Europe envisage une décrue fiscale de 1 à 1,5 point par an, même si la France avait le courage indispensable d'entreprendre chez elle une décrue de 2 à 2,5 points, l'écart au bout des 5 ans serait encore de 5 points au bout de la période. Pour assainir les finances françaises il faudrait alors probablement purger les dépenses publiques de l'État et des collectivités locales pendant au moins 5 ans supplémentaires. 10 ans de réforme fiscale véritable, au rythme arithmétique, de 2 points par an feraient aboutir la France à un niveau comparable au taux actuel des pays d'économie libérale.
C'est une tâche considérable. Elle est nécessaire. Et je l'écris ici comme je le pense tout politicien français qui n'en aurait pas conscience, ou qui n'oserait pas le dire, devrait être tenu pour un jeanfoutre. C'est une catégorie abondante.
Un autre aspect de cette harmonisation fiscale nécessaire, mais très éventuelle, ne devrait échapper à personne.
Partant de niveaux globalement différents, les divers États-Membres ont aussi une structure très différente
1° de leur fiscalité,
2° mais aussi, d'abord, de leur dépense publique.
Dans certains pays aussi différents que la Grande Bretagne ou la Grèce, par exemple, il existe un système de soins étatisé et financé par l'État. En Italie le budget des retraites est assumé et incorporé à celui de l'État.
D'autre part, les différents États-Membres ne répartissent pas de la même manière taxation des revenus de l'Épargne et taxation des revenus du Travail, impôts de consommation, etc. Ne parlons même pas des fiscalités locales, des impôts tels que la taxe professionnelle, etc.
Il est donc strictement dérisoire, dans l'état actuel des institutions européennes, rassemblant des États souverains, de prétendre gommer rapidement ces différences. On l'imagine encore plus difficilement dans un cadre élargi à 27 ou 28, élargi jusqu'à l'Estonie et à la Turquie.
Parler, comme le font Les Échos, d'une "taxation anarchique" c'est adhérer aux vues complètement irréalistes de Bercy. C'est laisser entendre que la France, elle-même incapable de mettre de l'ordre dans ses propres finances pourrait imposer sa façon de voir à l'Europe des Libertés
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