Aussi invraisemblable que puisse paraître une telle question, observons d’abord que le président d’un mouvement imprime ce qu’on appelle aujourd’hui "l’image de marque" de l’organisation. Et cela entre pour beaucoup dans l’idée que l’on se fait de son sérieux et de sa respectabilité. Il en va sur ce point du MEDEF comme de n’importe quelle association.
Or, le MEDEF est apparu, en tant que sigle succédant à celui du vieux CNPF né de la résistance, lorsqu’en octobre 1997 trompé par Mme Aubry sur ce que serait la loi des 35 heures, M. Gandois laissa la place à Ernest-Antoine Seillière. Celui-ci était annoncé à l’époque comme "un tueur" (pas moinsse). Et, aujourd’hui encore, son cheval de bataille principal est bien la nocivité de cette nouvelle réglementation des horaires de travail. Sa critique en est impitoyable : "25 000 entreprises qui ont combiné à cette occasion de la modération salariale, de la souplesse et des subventions et conclu que cela les avantageait. On n’avait pas besoin d’une loi. Je suis allé ces dernières semaines à Auch, Saint-Dizier et Cholet. Je peux vous garantir que pour la majorité des 1,2 million d’entrepreneurs, la loi Aubry est un obstacle. Au mieux, ils ne la mettent pas en pratique et pour l’heure personne ne le leur demande. Parce qu’ils ne pourraient pas le faire. Et ce ne sont pas les 157 pages de la circulaire d’application qui vont les y inciter. La loi Aubry, dans une phase de croissance non prévue, génère partout des goulots d’étranglement d’emplois qualifiés. C’est absurde."
Le quotidien gouvernemental Libération (6 avril) se croit donc autorisé à ironiser : "Longtemps on s’est persuadé que Reagan et Thatcher n’auraient jamais un émule français digne d’eux. Et par extension, que l’Europe continentale ne connaîtrait jamais cette “ révolution de la liberté et de la responsabilité ” qui fait disparaître les “ États-providences ”, s’effondrer les “ archaïsmes ” et fleurir des cycles et des cycles de prospérité. Erreur : pour la France, cet homme existe enfin, son discours est certes moins idéologique que celui des deux Anglo-Saxons mais il en a la cohérence et l’ampleur, il n’est pas politicien, mais patron des patrons, avec la flexibilité pour viatique, la transparence pour vertu (ne vient-il pas de déclarer son salaire ?), la France de la modernité tient son héros. Il était temps."
Il ne se passe pas un jour sans qu’apparaisse ainsi dans la presse un nouveau tombereau d’attaques contre le MEDEF et son président. Même l’Union patronale artisanale, se joignant à sa manière à la CGT, a cru bon le 20 avril de se désolidariser de son grand frère en découvrant (il était temps) que celui-ci représente "les intérêts des grandes entreprises" (cf. Les Échos du 21 avril). Et on comprend que cela défrise doublement l’UPA. D’une part celle-ci prétend s’adresser aux petites entreprises. D’autre part, elle ne défend pas leurs intérêts…Mais il ne suffit pas de déplaire à l’inexistante UPA pour devenir une force de Liberté avec laquelle pourront (peut-être) discuter un jour ceux qui ont en vue la lutte des Entrepreneurs individuels.
Nous ferions volontiers remonter au 28 mars le grand tournant des propositions du MEDEF. Ce jour-là, en effet, dans le groupe de travail intitulé "Précarité, nouveaux emplois", l’un des "Huit chantiers de discussion" avec les syndicats sur la Refondation sociale, les représentants patronaux ont proposé une avancée considérable assouplissant le carcan du Code du travail. Il s’agirait en effet, à côté des CDI, contrats à durée indéterminée, des CDD contrats à durée déterminée inférieure à 18 mois, et des contrats d’intérim, de prévoir 2 nouveaux types de contrats :
- Le
contrat de projet qui durerait le temps d’un chantier ou d’un
besoin spécifique de l’entreprise.
- Le contrat à durée maximum qui pourrait désormais s’étaler
sur 5 ans.
La référence au CDI, considéré comme la norme, explose en effet devant la réalité de l’économie. En 1985, en France les contrats que les syndicats dénoncent comme "précarisés", — c’est-à-dire hors CDI : CDD, intérims, contrats aidés… — représentaient 2,5 millions d’emplois. 15 ans plus tard, en dépit d’une des réglementations les plus restrictives du monde industriel, ils en représentent 4,5 millions, soit pratiquement le 1/3 de l’emploi dans le secteur productif privé. Et il n’y a aucune raison de penser que cette tendance va s’inverser, au contraire. On rappellera que l’Éducation nationale, un des secteurs dont l’emploi est le plus planifiable, se voit perpétuellement interpellée par la revendication des maîtres auxiliaires contractuels "non-titularisés"… Par ailleurs, quand, en 1997, Mme Aubry prétend imaginer 22 nouveaux métiers proposés aux jeunes Français, force est de constater que son invention porte essentiellement sur un nouveau type de contrats d’une durée de 5 ans. Moyennant quoi, on a affaire à des "adjoints de sécurité de la police nationale", etc. dont le métier n’est pas très différent de celui d’un policier.
Mais la proposition patronale, si elle s’insère dans une évolution observable partout, si elle correspond à la plupart des orientations définies par l’Europe pour résorber le chômage, choque profondément, au-delà des bureaucraties syndicales, les idéologies politiques.
Ainsi Libération (6 avril) s’indigne même que les syndicats acceptent de discuter : "Le résultat est là : ils acceptent de débattre de “ ça ”. Et “ ça ” est proprement stupéfiant." Le parti communiste, lui, va très au-delà : il propose un "Front progressiste contre le MEDEF" (cf. L’Humanité du 24 avril) et fait même, de cette idée, le cheval de bataille adopté le 22 avril à l’occasion de la première réunion de sa nouvelle instance dirigeante de 271 membres désignés par le 30e Congrès à Martigues…
Ce soir, dans Tout est possible, certains diront : le MEDEF est peut-être, en train de devenir fréquentable.
Revenir à la page d'accueil ... Accéder à nos archives ... Utiliser notre Moteur de recherche
Vous pouvez aider l'Insolent ! : en faisant connaître notre site à vos amis en souscrivant un abonnement payant