En nombre grandissant, les statistiques françaises deviennent de plus en plus obscures. Ainsi le taux des prélèvements obligatoires en France, selon les sources, oscillera entre 45 et 55 % de la richesse produite, selon que l’on compte ou nom les déficits financés par l’emprunt, l’amortissement des dettes antérieures, etc. Nous osons dire d’ailleurs (cf. notre Courrier du 7 janvier) que la fonction essentielle du ministre du Budget, aujourd’hui Mlle Parly, est de mentir sur les chiffres.
Il existe aussi, reconnaissons-le, des questions de méthode qui divisent légitimement les spécialistes. Ainsi en est-il de l’évaluation du taux dit d’inflation qui repose sur le concept controversé de niveau général des prix. Ce débat n’est pas purement théorique. Son incidence pratique est considérable. Si d’importants travaux américains ont posé la question la surévaluation des indices, c’est notamment dans la perspective du calcul des retraites. En France à l’époque de l’inflation à deux chiffres et de l’indexation systématique, le grand gagnant était celui qui parvenait à insérer une clause d’indexation favorable, etc.
Mais le terme de statistiques, apparu en Suède au XVIIIe siècle, désigne un recensement systématique de la richesse de l’État. On pourrait donc s’attendre à ce que l’État soit particulièrement apte à recenser le nombre de ses serviteurs, ceci ayant une influence directe sur ses charges, et donc sur nos impôts.
Or, nous découvrons qu’il n’en est rien
Interrogé hier (27 avril) sur Europe N° 1, le ministre de la Fonction publique, M. Michel Sapin, a refusé de dire si le nombre de fonctionnaires allait augmenter ou diminuer. Il a expliqué, en effet, qu’il ne savait "même pas combien de personnes travaillaient pour l’État".
La question du nombre de fonctionnaires posée en termes globaux "a quelque chose, dit-il, d’un peu dépassé, parce qu’on ne sait même pas combien de personnes travaillent pour l’État ou les collectivités territoriales". Le ministère connaît le nombre de ses fonctionnaires, "parce qu’un fonctionnaire est quelqu’un qui a un statut particulier, mais il y a des gens qui travaillent pour l’État et qui ne sont pas forcément des fonctionnaires, et ça, ce n’est pas normal", a-t-il ajouté, en souhaitant "s’attaquer" à cette "forme de précarité dans l’État".
"La seule question qui se pose c’est où sont les besoins, faire face aux besoins ministère par ministère, comment évolue-t-on, et faire en sorte que dans les années qui viennent, il y ait des fonctionnaires sur les postes créés", a cru pouvoir affirmer le ministre Sapin. Il a ainsi déclaré que "40 % des fonctionnaires aujourd’hui en activité seront partis en retraite dans 10 ans"… "Ce n’est pas les fonctionnaires mais quels enseignants, quels policiers, quelles infirmières", c’est "à chaque ministre de regarder attentivement" car "il y a des besoins qui augmentent et des besoins qui diminuent", a-t-il dit, d’une manière qui nous semble extrêmement ambiguë.
Selon M. Sapin, "à l’Éducation, il y a des besoins dans les années qui viennent, des nécessités de mieux encadrer, de mieux former. À la police aussi, parce que la réforme de la police de proximité c’est quelque chose de très important".
On pourrait éventuellement débattre sur la question de savoir, dans chacune de ces sphères s’il est préférable de définir ces métiers comme des fonctions régaliennes de l’État, (les seules justifiant selon nous le concept de fonction publique), ou s’il s’agit, au contraire, de fonctions relevant des collectivités locales, ou tout simplement du secteur privé. Ni les hôpitaux d’État, ni l’école assumée par l’État ne sont forcément ni meilleurs ni moins coûteux que les cliniques privées ou les écoles libres. Chacun le sait. On ne peut pas écarter, non plus, le recours aux polices municipales sous prétexte que cela déplaît aux syndicats de police et à une certaine idéologie dominante.
Il semble qu’en tout état de cause le fait qu’un ministre de la Fonction publique refuse pratiquement de donner des indications statistiques sur le nombre de fonctionnaires est très inquiétant quant à ce nombre réel, probablement le plus élevé d’Europe. Ce fait est contraire à la loi sur les documents administratifs. Et cette situation se trouve particulièrement attentatoire, plus généralement, sinon au "crédit public", du moins à la crédibilité de l’État.