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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
VENDREDI 12 JANVIER 2001
Les convoyeurs de fonds et la carence de l'État
Hier, dans le cadre d'une journée nationale de deuil, la profession des convoyeurs de fonds était appelée à cesser le travail sur toute la France. Et les victimes de l'insécurité ne pouvaient qu'exprimer leur solidarité.
Le matin, 800 personnes observaient une minute de silence à l'extérieur du crématorium de Montfermeil pour assister aux obsèques de Jean-Luc Hulot. Ce convoyeur, âgé de 40 ans, père de 3 enfants, a été tué par balle le 3 janvier par deux malfaiteurs dans le centre anticancéreux Gustave-Roussy de Villejuif. Les tueurs, particulièrement lâches, ont abattu cet homme et blessé son collègue, pour prendre la fuite avec une somme de 450 000 F, destinée au modeste monnayeur local de la BNP, situé à proximité de la cafétéria de cet hôpital.
17 bus avaient été mobilisés. Les convoyeurs d'Ile-de-France étaient rejoints par des représentants d'autres régions, de Belgique et du Luxembourg. Des rassemblements étaient organisés dans les grandes villes. À Marseille, une centaine de convoyeurs en grève ont manifesté en silence avant de se rendre jusqu'à la préfecture. À Nice, une cinquantaine de convoyeurs manifestaient en centre ville. À Bordeaux, des pancartes déploraient : "Convoyeurs de fonds assassinés Profession en deuil". À Lille, une soixantaine de convoyeurs se donnaient la main et observaient une minute de silence. Les convoyeurs du Nord poursuivaient leur boycottage des points noirs. Ils avaient décidé le 8 janvier avec l'aval de leur direction, de ne pas livrer les sites jugés les plus dangereux. À Paris, les 70 sites à hauts risques sur 3 500 points traités ne sont plus desservis.
La sécurité a été renforcée ailleurs, non par l'État, mais par la présence de convoyeurs supplémentaires.
Or, l'insécurité est un problème grandissant, d'ampleur nationale. Et d'innombrables professions lui sont confrontées. Ainsi, à l'instant même où l'on incinérait Jacques Hulot à Montfermeil, un professeur de Tourcoing était sérieusement blessé à coups de couteau dans son lycée, par un de ses élèves, un adolescent "turbulent" de 14 ans. L'enseignant, âgé d'une quarantaine d'années, souffre de blessures sérieuses.
Chacun partage la douleur de ces professions et comprend aussi certaines réactions des syndicats. Nous ne sommes même pas étonnés de certains propos délirants comme celui du témoin qui déclare "A mes yeux, un hôpital est un lieu sacré Cette histoire, c'est comme une profanation." Et le professeur Thomas Tursz, desservant du culte, directeur de l'Institut Gustave-Roussy déplore "Des malades auraient pu être touchés".
Mais il faut être très vigilants. La sécurité est l'affaire de tous. Elle concerne les malades et les bien portants, les riches et les pauvres, les Français et les immigrés. Tous "peuvent être touchés". Tous sont "sacrés". Il ne s'agit donc pas de protéger scandaleusement tel lieu privilégié, ou telle personnalité, mais de réprimer le crime.
La sécurité est une fonction première de l'État, comme l'administration de la Justice, appliquant la Loi.
L'insécurité ambiante accuse donc d'abord la carence de l'État, comme l'accuse aussi l'impuissance de la magistrature. Le service de justice, d'application de la loi, de maintien de l'ordre et de défense des personnes et des biens n'est plus assuré en France par les responsables de l'État.
C'est aux hommes de l'État, de cet État de plus en plus défaillant, d'en répondre.
On invoque, et la CFDT le fait particulièrement, la longueur des délais de mise aux normes de 500 points noirs en France, hormis la difficulté pour les clients d'adapter leurs fonctionnements et leurs effectifs. On accuse donc explicitement les "donneurs d'ordre", désignés comme boucs émissaires. "Depuis Villejuif, le milieu des convoyeurs, particulièrement à Paris, est devenu une véritable poudrière, affirme M. Charles responsable CFDT, et ils savent qu'il n'en faudrait pas beaucoup pour que ça explose". M. Quartier, délégué de la CFDT à la Brink's, déclare, lui, que "le meurtre de son collègue convoyeur de fonds aurait sans doute pu être évité si le décret adopté en décembre dernier sur la sécurisation des transports de fonds avait déjà été appliqué."
La seule chose qu'ont su faire MM. Vaillant et Gayssot, ministres de l'Intérieur et des Transports, a été un communiqué commun, sur la "nécessité pour les donneurs d'ordre de mettre en uvre sans tarder les mesures arrêtées par le gouvernement," Or, le directeur général de la Fédération bancaire française, M. Gilles Guitton, avait fait savoir dès la publication du décret de décembre combien il était techniquement irréaliste.
Ce n'est ni aux hommes de l'État ni aux idéologues de la permissivité de se transformer en accusateurs. À les entendre, la "société", donc les victimes, voilà les vrais coupables. Cette rhétorique insupportable doit cesser. Il est temps que les citoyens, contribuables et autres consommateurs de l'État remettent en cause ce fournisseur coûteux, peu fiable, monopoliste, arrogant, et, à tant d'égards, complice des voyous.