COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
TOUT POUR LES SENIORS ?
Il en va des études de l'Insee comme des enquêtes par sondages. Il faut savoir faire la différence entre les observations directes, souvent instructives malgré certaines approximations, et les commentaires des médiats, ordinairement absurdes ou falsificateurs.
Ainsi la revue "Insee Première"(février 2001) vient-elle de diffuser une étude consacrée au "Cadre de vie des plus de 60 ans". Et "Les Échos" (21 février) en tirent une conclusion lapidaire, dont ils font un gros titre : les seniors, autrement dit les Français âgés de plus de 60 ans seraient "plus préoccupés par le maintien des commerces que par l'insécurité". et cela permet au grand quotidien économique de brouiller un aspect important de la campagne des municipales.
Une lecture un peu attentive des résultats réels de l'enquête amène à nuancer très fortement l'article, signé de Mme Laurence Albert. Sur la sécurité, on retiendra par exemple que plus de 15 % des Français déclarent en fait que le manque de sécurité est un des problèmes qui les préoccupent le plus dans leur quartier ou dans leur commune. Négliger ce pourcentage serait incohérent dans la mesure où il recoupe manifestement le vote protestataire présenté depuis 20 ans comme une calamité nationale. Casser le thermomètre, fût-ce en deux morceaux, n'a jamais fait baisser la température.
On ne s'étonnera pas de voir que l'inquiétude sur la sécurité est plus répandue en milieu urbain, où elle frise les 18 % qu'en milieu rural (entre 4 et 5 %). Elle culmine en agglomération parisienne, où elle dépasse 20 % aussi bien pour les personnes de moins de 60 ans, que pour les + de 60 ans.
Le point peut-être surprenant, à première vue, est que partout les personnes âgées semblent (légèrement) moins inquiètes que les moins de 60 ans. Cette différence minime, mais assez constante dans tous les milieux, est de l'ordre de 1 ou 2 %.
Rien ne vaut en effet l'expérience directe. 7 % seulement des personnes âgées ont assisté à une agression dans les 2 dernières années contre 20 % des moins de 60 ans. On pourrait donc s'amuser à avancer que les personnes âgées semblent plus impressionnables. Le nombre des inquiets y est de l'ordre de 2,5 fois le nombre des témoins directs, cependant que chez les plus jeunes le nombre des inquiets est sensiblement identique à celui des témoins.
Le journal économique lui-même remarque, par ailleurs, que les personnes âgées se révèlent grosses consommatrices d'alarmes à domicile : 29 % contre 22 % pour leurs cadets.
Manifestement toutefois les seniors paraissent les moins malheureux, ou les plus philosophes, des Français. 1 sur 3 déclare "qu'aucun problème particulier ne les préoccupe". Un bon pourcentage d'entre eux déplore surtout le bruit et la pollution.
Mais voilà, une chose apparaîtrait de plus en plus préoccupante : la disparition des commerces, indispensables à l'animation des centres de villes. Le quotidien économique reste cependant muet quant à l'ampleur observable de cette anxiété supposée. Il cite seulement la déclaration estimable de Mme Tanguy, maire du charmant bourg finistérien de Guilvinec où "la présence des seniors contribue à la vitalité de plus de 100 commerces de la commune".
Les défenseurs de la libre entreprise pourraient peut-être se satisfaire de cette approximation. Si véritablement cela pouvait conduire, ou annoncer, une politique de libération de l'activité commerciale indépendante, de diminution du tribut urbain et des charges sociales, de suppression de la taxe professionnelle ou de reconnaissance du rôle de l'entreprise individuelle dans la cité, on serait largement prêt à applaudir.
L'honnêteté intellectuelle commande au contraire d'aller au-delà. On ne peut pas laisser dire que "les futurs élus devront prendre (plus) en considération" la volonté des seniors au motif que "les plus de 60 ans représentent plus de 20 % de la population française". En réalité si les seniors représentent 20 ou 25 % des Français, leur volonté devrait compter pour 20 ou 25 %. Ni plus ni moins. Or, la volonté qu'on leur prête, la volonté des mouvements qui parlent en leur nom, pèse déjà pour 70 ou 75 %. On l'a bien vu dans le débat sur les retraites, où syndicats de fonctionnaires et fonctionnaires des syndicats encadrant les organisations de retraités ont défilé le 25 janvier pour bloquer toutes perspectives de réforme aux générations montantes, qui représentent pourtant par hypothèse 100-20 = 80 % de la population françaiseČ
JG Malliarakis