COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
MARDI 27 FÉVRIER 2001
SAURA-T-ON TOURNER LA PAGE DE LA CONCEPTION TECHNOCRATIQUE DE L'EUROPE SANS LA DÉCHIRER ?
Nice a finalement accouché ce 26 février d'un petit traité laborieux. M. Chirac faisait mine de s'en contenter. Philosophant sur ce compromis, il le trouve équilibré. À une telle platitude il y a sans doute peu de choses à répondre. Pendant plus de 18 mois maintenant, le texte péniblement convenu en décembre 2000, signé en cette fin du mois de février 2001, après presque 3 mois de travail de traduction, va devoir être ratifié par les 15 parlements nationaux.
Ceci aboutira à une opération géopolitique sans doute assez considérable puisque 12 nouveaux pays vont pouvoir rejoindre l'Europe.
Ce serait évidemment un résultat colossal si, au sortir de ce processus, l'Europe institutionnelle avait encore un sens.
Or, le fond du traité de Nice sera que désormais, tout l'ancien édifice bruxellois deviendra sinon caduc, du moins vide de signification et de perspective politique.
Il subsistera certes une chose à Bruxelles.
On peut redouter que cette Europe institutionnelle cherche à évoluer vers une sorte de Super État, une structure administrative d'intervention économique, d'injection arbitraire de capitaux incertains, prélevant 1,8 % du produit intérieur brut des économies nationales et les redistribuant en subventions mortifères.
Mais cette Europe institutionnelle agglomérera 27 pays. Et cette Europe institutionnelle n'a pratiquement pas résolu le droit de veto. Ou plutôt elle ne l'a fait qu'en principe, laissant tout ce qui est important sous le champ du droit de veto. Elle pourra tout juste s'investir dans les réglementations tatillonnes et secondaires, ce qu'elle a su si bien faire depuis 40 ans.
Cette Europe institutionnelle se trouvera en contradiction avec l'Euro Zone, celle des 11 États adhérant à l'union monétaire et il se posera très certainement une grave question lors de la prise de conscience qu'il existe un Euro, géré à Francfort mais réservé à une partie seulement des pays européens, l'Angleterre, le Danemark et la Suède étant à l'écart comme le seront les nouveaux États-Membres.
Le drame actuel des éleveurs bovins menace la survie immédiate de 40 000 exploitations et les dernières perspectives de développement de toutes les autres. Les élevages sont financièrement exsangues après 4 mois de mévente. Il se trouve que, depuis 40 ans, exactement depuis la mise en place de la politique agricole commune de 1962, l'Europe bureaucratique a consacré jusqu'à 60 % de ses budgets annuels au soutien des cours de l'agriculture.
Pendant 40 ans, les Français ont cru tenir là un dossier national et stratégique. Si on ne le croit pas qu'on lise les communiqués constants de la FNSEA, qu'on les compare aux déclarations des ministres français. L'actuel président de la république en a fourni sa part.
Aujourd'hui, certes le mal est fait. Ce 26 février à Bruxelles, on a eu en même temps le sentiment que l'Europe agricole mourait. Institutionnellement il sera difficile de la regretter. Mais en entendant la hideuse gauchiste psychorigide dont Schroeder a été contraint de faire son ministre de l'agriculture, comment ne pas éprouver le sentiment que c'était l'agriculture européenne, la paysannerie continentale et ce qui reste de la ruralité française qu'on s'apprête à enterrer après les avoir assassinées. Pour prévisible que soit cette chute, conséquence inéluctable des systèmes de subventions, de réglementations, et de protections, elle n'en est pas moins poignante et terrible. Oui, on se sent solidaire des éleveurs français, belges, anglais ou allemands.
Ce n'est donc pas seulement l'absurde institution agricole qui est en cause, c'est un chapitre, ce sont 50 ans de construction européenne qui s'achèvent.
Nos médiocres dirigeants sauront-ils tourner cette page sans déchirer le livre ?
JG Malliarakis