COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
JEUDI 1er MARS 2001
LE VRAI COÛT DES 35 HEURES
... NE SE LIMITERA PAS AUX CONSTATATIONS DU SÉNATEUR DESCOURS
Charles Descours sénateur de l'Isère
Rapporteur général du Budget de la Sécurité sociale
Révélée le 22 février, la démarche courageuse du sénateur Descours à propos du financement des 35 heures n'a pas fini de faire couler de l'encre. On ne doit cependant pas s'y tromper. La question que pose la réduction réglementaire du temps de travail va bien au-delà.
Le secret même, employé par l'administration, montre à quel point la France s'enfonce dans le règne du mensonge. La loi, ou plus exactement ce qui tient lieu en France de norme juridique, disposait qu'un nouveau machin, le "Forec", gérerait les fonds nécessaires à la contrepartie des exonérations prévues par la loi des 35 heures. Ce compte du Forec a connu un déficit de 12 milliards de Francs en 2000 et il devrait connaître une perte située entre 16 et 21 milliards de Francs en 2001.
Rappelons que les recettes prévues se fondent sur des parafiscalités. Là aussi, sous l'appellation pittoresque de "tuyauteries" le développement de telles opacités comptables est très dommageable.
Et cela est d'autant plus manifeste que le Forec demeure encore virtuel. Il n'a pas encore reçu d'existence légale.
Le gouvernement, le pouvoir exécutif, s'est arrogé, et il s'arroge de plus en plus, le droit de ne pas exécuter la loi qu'il a pourtant rédigée, la loi qu'il a proposée et qu'il a fait enregistrer par une assemblée nationale à ses ordres.
Dans ces conditions, la délicieuse Mme Guigou constate que le déficit est encore entre les mains de l'Acoss. Cet autre bidule, bien réel celui-là, "gère" la trésorerie générale de la sécurité sociale. L'Acoss est actuellement présidée par un représentant du Medef, M. Bernard Caron. Celui-ci déclare au nom des partenaires sociaux unanimes, qu'il n'est pas question d'aller vers "une contribution du régime général au financement du Forec".
On se trouve en fait devant plusieurs scandales. Ni le mot ni le pluriel ne sont surévalués.
Le premier scandale est qu'un rapporteur parlementaire ait été dans l'obligation de se transporter au ministère de la solidarité le 14 février pour découvrir une partie de la réalité.
Le second scandale est qu'on viole délibérément un principe légal promulgué en juillet 1994 et dont l'évidence ne devrait échapper à personne : toute exonération de charges imposée par l'État aux régimes sociaux doit être intégralement prise en charge par le budget de l'État.
Or, le gouvernement ergote sur l'application d'une règle qu'il n'a pas eu l'audace provocatrice de faire abroger par sa majorité. Il revient au mécanisme bien connu du maquignonnage entre administrations. Puisque les exonérations ont produit une baisse de chômage, celle-ci a bénéficié aux comptes sociaux. Donc ceux-ci doivent contribuer au financement des exonérations. De tels raisonnements spécieux durent en France depuis à peu près aussi longtemps qu'il existe un système de sécurité sociale hypocritement étatiste.
Le troisième scandale est qu'on continue de bercer les Français dans l'illusion que les 35 heures ont été une bonne politique qu'elles ont réduit le chômage, etc.
À l'époque où l'on votait la 1re loi des 35 heures nous nous permettions d'ironiser : si la limitation du temps de travail à 35 heures est supposée "créer des emplois" pourquoi pas 30 heures, 25 heures ? Attention au-dessous, il faudra recourir à l'immigration ! La seule frivolité de notre moquerie était de s'en tenir à une analyse moyenne. En fait dès la fixation d'une barre à 35 heures, dans certaines professions, la France est entrée dans une pénurie de main d'œuvre qualifiée.Or cette pénurie sectorielle peut être constatée dans des branches aussi différentes que l'informatique ou l'hôtellerie restauration, sans parler des soins hospitaliers. Elle amène certains esprits faux à suggérer qu'on généralise le retour au laxisme légal vis-à-vis de l'immigration.
Bien d'autres nuisances vont compléter ce qui n'est qu'un exemple.
Il serait donc faux de limiter le coût économique et financier de la réglementation des 35 heures à son seul poids dans les comptes sociaux.
Il serait encore plus faux de réduire à des simples données d'apparence comptable la prise en compte de la nuisance de cette réglementation. Cette nuisance s'analyse, aussi, en termes de compétitivité, en termes de progrès de la fraude, et en termes de démoralisation générale du pays.
.. JG Malliarakis