COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
JEUDI 8 MARS 2001
"LE PEUPLE, OUI, MAIS À CONDITION DE NE PAS VOIR SA GUEULE"
Cette forte pensée de Louis-Ferdinand Céline va-t-elle servir de point de repère à nos dirigeants politiques ? On pouvait se le demander en faisant le bilan de cette campagne des élections municipales 2001 à quelques heures du scrutin. Partout il n'est question que de contradictions, non pas seulement, traditionnellement, entre droite et gauche, mais entre les élus, les candidats programmés par les appareils et leur propre base sociologique.
Fin janvier, par exemple, on notait la plus grande mobilisation de fonctionnaires depuis 1995. Or, il ne s'agissait pas de protester contre le plan de l'énarque Juppé, mais de contester la situation faite à la fonction publique par un gouvernement élu en grande partie par un électorat de fonctionnaires en 1997.
Le Monde (3 mars) soulignait, un peu perfidement, la faible mobilisation des socialistes eux-mêmes : à Paris, au moment où l'on annonce à toute force le succès de la gauche, le meeting triomphal du 1er mars, appuyé par les maires de Sao Paolo, de Londres et de Rome, n'a vu que 4 000 Parisiens réels, dont les 516 candidats et leurs conjoints, se déplacer au Zénith pour applaudir M. Delanoë. Ils étaient 4 000 au Zénith de 1998, 5 000 au Palais des Sports en 1999, et un peu moins de 5 000 déjà au Zénith en 1997.
Partout, au contraire, on a assisté à des claques provoquées en partie par les éleveurs bovins mécontents, mais également par d'autres professions. On peut prétendre que la droite est infiltrée dans les rangs de la FNSEA. Incidemment la représentativité de notre gloire nationale Bové en prend alors un certain coup. Il est vrai que le 31 janvier aux élections professionnelles sa Confédération paysanne a perdu la moitié (2 sur 4) des Chambre d'agriculture qu'elle contrôlait. Difficile de soutenir que la droite noyaute les agents hospitaliers des syndicats SUD-CRC. Si la droite est infiltrée partout pourquoi M. Hollande est-il amené à constater que "la droite ne fait pas campagne" pour se féliciter de sa propre prestation en Corrèze ? Est-il sérieux de voir la main de l'Élysée quand M. Jospin se fait houspiller par les ouvriers des papeteries Job à Toulouse ? Quand les syndicats cégétistes chahutent Mme Guigou en Avignon ? Pour une fois, on trouvera quelque bon sens dans les propos de la secrétaire fédérale CGT du Vaucluse : "il ne faut pas que Guigou cherche midi à quatorze heures, le gouvernement avait tout le temps de répondre aux revendications".
On devra bien se souvenir dans les annales de ce que le premier ministre après quelques inoffensifs jets d'œufs, bien prévisibles, au Salon de l'Agriculture, a renoncé à se rendre à Saint-Étienne soutenir un député de son propre parti, et pis encore, à se rendre à Dôle pour conforter son ministre de l'Environnement Mme Voynet qui se trouve être à la fois son allié essentiel au sein des Verts, et en grande fragilité politique.
Il est certes plausible que des utilisations politiques interviennent, aussi bien de la part de l'opposition que du parti communiste. Mais le phénomène essentiel est que le système actuel subit une crise majeure. Il est fondé sur la redistribution. C'est cela que la CGT appelle "répondre aux revendications" de secteurs dépendant de l'étatisme. Or, cette redistribution est, désormais, à bout de souffle. De manière criarde, arrivent de nouvelles détresses. Cette année c'est, depuis 4 mois, le drame des éleveurs sinistrés par les paniques alimentaires. À la suite des deux catastrophes de décembre 1999, il y eut les dommages causés à la forêt et au littoral. L'intervention de l'État, universellement attendue, se révèle scandaleusement insuffisante, comme elle l'est dans divers dossiers permanents (insécurité mais aussi aide aux handicapés, aux familles d'enfants autistes, recherche sur les maladies rares, etc.) Le peuple ne comprend plus que l'étatisme soit devenu impuissant parce que sa boulimie de gestion l'empêche de faire aux urgences. Aujourd'hui, le peuple français en est au stade de la protestation. Le peuple irrite beaucoup nos technocrates.
JGM