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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
MARDI 27 MARS 2001
À QUOI SERT L'ARTICLE L 420-5 ?
M. Patriat ministre du Commerce
L'exaspération des professionnels et des entrepreneurs indépendants français face aux pratiques des grandes surfaces est loin, très loin, d'être un phénomène nouveau. Aujourd'hui, nos amis du syndicat de la coiffure, présidé par Christian Belloc, protestent contre les prix destructeurs des services dans les hypermarchés. Récemment, on a pu déplorer la disparition, très dommageable en milieu rural, des stations services indépendantes éliminées par la vente du carburant à bas prix, comme simple produit d'appel, dans les centres commerciaux. Sporadiquement, dans le passé, d'importants mouvements récurrents se sont ainsi développés, particulièrement le poujadisme dans les années 1950, et plus spécifiquement encore celui de Nicoud contre les grandes surfaces dans les années 1970. De telles protestations, dont les hommes politiques ont gardé la crainte en mémoire, dénonçaient alors les formes hypertrophiées de la grande distribution. Sous cette pression, ou pour prévenir la réapparition du phénomène, les dirigeants français ont toujours imaginé de restreindre la concurrence.
La réglementation conservatrice française n'est d'ailleurs pas si récente. Dès les années 1820, face au développement des magasins de nouveautés, qui étaient des bazars parisiens de 400 ou 500 m2 spécialisés dans les divers produits textiles, les pouvoirs publics ont imaginé de taxer le développement du commerce multiple. Cela a créé la première réforme des patentes sous Louis Philippe en 1840. Dans ce cadre, est né un phénomène au départ français : le grand magasin qui apparaît avec le "Bon Marché" de Boucicaut puis le "Louvre" etc. dans les années 1850. Le frein apporté aux supermarchés dans les années 1950 créera un autre phénomène très français : l'hypermarché "Carrefour" sur 10 000 voire 20 000 m2. La perverse loi Royer de 1973 permettra aux groupes d'hypermarchés d'accaparer le développement dirigiste de l'urbanisme commercial. Et ainsi de suite. On n'en finirait plus de souligner les effets redoutables, pour les petites entreprises individuelles du commerce, et pour les consommateurs, de la prétention de l'État à contrôler l'initiative en matière de distribution, au nom de la sauvegarde du petit commerce et de l'artisanat.
Le dernier état de cette réglementation française figure à l'article L 420-5 du code de Commerce ; cet article résulte d'une chaîne évolutive d'intervention du ministère du Commerce se prétendant à la rescousse des "petits commerçants et artisans" qu'on enfonce sans vergogne de charges et de taxes ! : "Sont prohibées les offres de prix ou pratiques de prix de vente aux consommateurs abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation, dès lors que ces offres ou pratiques ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'éliminer d'un marché ou d'empêcher d'accéder à un marché une entreprise ou l'un de ses produits."
Cet article est complété par des dispositions pénales très dures, au moins en apparence. Ainsi l'article L 420-6 dispose : "Est puni d'un emprisonnement de quatre ans et d'une amende de 500 000 F le fait, pour toute personne physique, de prendre frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en uvre de pratiques visées aux articles L 420-1 et L 420-2. Le tribunal peut ordonner que sa décision soit publiée intégralement ou par extraits dans les journaux qu'il désigne, aux frais du condamné." De même l'article L 464-2 dispose d'inquiétants pouvoirs au profit du prétendu "Conseil (étatique) de la concurrence" :" Il peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d'inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie et à la situation de l'entreprise ou de l'organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n'est pas une entreprise, le maximum est de 10 000 000 F".
Cela est très impressionnant. Sur le papier. Dans la pratique cependant il ne se passe rien. Les tribunaux et les instances feutrées d'arbitrage administratif comme le conseil de la concurrence ne condamnent (pratiquement) jamais les grandes surfaces. Tout cela sert surtout à protéger les gros, au nom de la défense des petits. Moyennant quoi, les souteneurs se révèlent racketteurs, et l'étatisme ne se prive guère d'étrangler en France l'entreprise individuelle.