Revenir à la page d'accueil ... Accéder à nos archives ... Utiliser le Moteur de recherche

COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

VENDREDI 20 AVRIL 2001

HARO SUR LES LABOS

Il n'est de si bonne ambiance qu'on ne puisse gâcher (Witold Gombrowicz)

Mes amis lecteurs me pardonneront, je l'espère, une digression personnelle. Jusqu'au milieu des années 1980, en effet, sans avoir jamais éprouvé de ma vie la moindre sympathie pour le système soviétique, je croyais encore que l'État pouvait, dans certaines circonstances, faire de belles et de grandes choses pour le bien du peuple et la dignité de la nation. Je crois avoir définitivement compris le caractère illusoire de cette hypothèse grâce à Alain Besançon. Il pose en effet la question : combien de médicaments l'État soviétique, l'État ouvrier et paysan fondé par Lénine et continué par Staline, devenu sous Krouchtchev l'État du peuple tout entier a-t-il mis au point en 70 ans d'existence ? Ne cherchez pas trop. La véritable réponse est : zéro.

Cette surprenante carence n'est pourtant pas faute d'une très importante recherche scientifique d'État en Union Soviétique. Mais, partout dans le monde, les progrès médicaux et pharmaceutiques sont réalisés par des équipes de très haut niveau qu'il faut payer à la fin de chaque mois. À la fin de sa vie, l'ingénieur russe Kalachnikov n'avait qu'un train de vie fort modeste, alors qu'il avait mis au point un produit qui a fait le tour du monde. C'était un homme très désintéressé. Mais hélas, on ne lui doit pas de découvertes dans le domaine de la santé.

Aujourd'hui, toutes les personnes de bonne volonté, tous les hommes de progrès, toutes les femmes de dialogue, toutes les minorités sexuelles, raciales, philosophiques, toutes les personnes décentes et politiquement correctes concélèbrent le retrait par les 39 plus grands laboratoires mondiaux d'une procédure intentée contre l'État sud africain et sa loi permettant d'y contourner le droit de propriété intellectuelle sur les molécules.

Il faut applaudir. Applaudissons donc ! Au nom des 4,7 millions de Sud africains victimes du sida que ne ferait-on pas ? C'est le plus important contingent du monde : il correspond à un taux national de séropositivité estimé à 19 % de la population de ce très grand pays…

Notons cependant que la loi sud africaine de 1997 ne cherche pas à combattre le Sida, mais à s'approprier les recherches d'autres pays et d'autres systèmes de droit. Avec les moyens scientifiques non négligeables dont elle dispose, l'Afrique du sud pourrait se situer en pointe dans la recherche sur un mal qui risque de la déstabiliser, et de frapper plus durement son peuple que ne le fit l'apartheid.

Eh bien non. La recherche sur le Sida est essentiellement le fait de quelques affreuses multinationales du médicament, concentrées dans quelque pays dont les ressortissants sont avides d'argent comme les États Unis, la Suisse, les Pays Bas et parfois même la France, — lorsque ces recherches n'y contreviennent pas aux règles de la loi sur les 35 heures, à la retraite à 60 ans ou au principe de précaution.

Est-ce sur fonds publics que ces recherches s'effectuent ? En fait, fort peu. Et pourtant l'argent public dans le domaine de la santé n'y est pas négligeable. Songeons même que le budget du système public américain Medicare est supérieur à celui de notre chère (très chère) sécurité sociale française. S'agissant de la recherche d'État sur le Sida en France, il semble bien que le CNRS d'État avait mis à la retraite, contre son gré, un directeur de recherche qui s'est donc rendu aux États-Unis pour y continuer ses travaux, apparemment d'utilité publique, dans une fondation privée… On remarquera aussi que la recherche publique sur les maladies génétiques rares fait l'objet, en France, non pas d'investissements publics, mais des campagnes spectaculaires et pathétiques du Téléthon, et que même la recherche sur le cancer donne lieue au moins à deux campagnes très "privées" dont une au moins a mené le malheureux M. Crozemarie en prison, etc.

Quant au Sida on rappelera le rôle que l'administration française, particulièrement le monopole public de la revente du sang donné, a eu non pas dans la lutte contre ce mal, mais dans sa propagation.

Que va-t-il se passer si la loi sud africaine de 1997 n'est pas amendée, si elle fait effectivement école dans quelques pays touchés par la maladie de l'expropriation étatique, pire encore que celle du Sida ? Il se passera que la recherche pharmaceutique cessera d'être rentable, particulièrement dans des domaines aussi spectaculaires et dramatiques que celui du Sida. N'étant plus rentable elle risque bel et bien d'être abandonnée par le privé. Abandonnée par le privé elle ne sera probablement pas reprise par les États.

Ose-t-on en effet comparer, au su de l'opinion, les chiffres consacrés à la recherche publique sur l'encéphalite spongiforme bovine à ceux que l'État investit dans la destruction des troupeaux ?

Il est donc commode et bien vu de crier haro sur les labos privés et sur leur soif de profit.

Quitte à déplaire, nous ne serons pas du nombre.

JG Malliarakis

© L'Insolent

Revenir à la page d'accueil ... Accéder à nos archives ... Utiliser le Moteur de recherche

    Vous pouvez aider l'Insolent ! : en faisant connaître notre site à vos amis • en souscrivant un abonnement payant