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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
MARDI 5 JUIN 2001
L'hyper taxation du tabac, politiquement si correcte, et quelques-uns de ses effets funestes
Dans son discours sur l'Europe du 28 mai, soigneusement préparé, nous dit-on, M. Jospin a laissé beaucoup de questions dans le flou. Des slogans, certes dangereux, comme celui de l'harmonisation fiscale ou du modèle social, se heurteront de toutes manières à de solides résistances. Mais au moins, un projet a conquis le cur du Premier ministre français : l'Europe des polices.
Selon une conception socialiste de plus en plus répandue, la mission principale assignée aux polices européennes ne serait pas d'ailleurs la lutte contre le Crime, au sens ordinaire du mot. Ce ne serait pas la protection des personnes et des biens. Ce serait prioritairement la répression de la délinquance financière et du blanchiment d'argent.
Sans peut-être s'en rendre compte, M. Jospin nage de la sorte dans une réalité alimentée précisément par le fiscalisme dans l'Union européenne. Ainsi en est-il d'un trafic, autrefois considéré comme anodin, mais qui s'est développé au gré d'une parafiscalité strictement délirante, frappant les cigarettes.
En gros, depuis 20 ans, le prix fiscal du tabac s'est multiplié par 5. Et mathématiquement, il s'en est suivi une croissance exponentielle du trafic de l'ordre d'une multiplication de 1 à 15. Non moins mathématiquement, des sociétés mafieuses se sont spécialisées dans cette branche devenue financièrement brillante. Entre la France et l'Espagne la très ancienne contrebande basque a renouvelé ses antiques traditions. Entre l'Italie et les Balkans, c'est une vieille société secrète des Pouilles, la Sacra Corona Unita qui tient le haut du pavé.
Le 28 mai dans la région de Brindisi, les carabiniers ont pu ainsi mettre la main sur l'un des grands patrons de ces réseaux, le citoyen Vito Di Emidio, âgé de 34 ans, considéré comme l'un des 30 bandits les plus dangereux recherchés dans toute la Péninsule et qui contrôle depuis 1995 la contrebande des cigarettes.
Ce trafic a pour particularité de permettre à la Sacra Corona de quadriller le littoral d'accueil des cigarettes en provenance du Monténégro. Les policiers italiens affirment d'une part que le gouvernement autonomiste du Monténégro de M. Djukanovic serait étroitement lié à ce trafic. Nous n'en croyons rien mais le soupçon explique peut-être que les autorités occidentales soient devenues très circonspectes désormais vis-à-vis des vaillants défenseurs de la démocratie au Monténégro en dépit du dernier scrutin. Un journal aussi politiquement correct que la Repubblica (11 janvier 2001) accorde la plus grande publicité aux accusations du Ministre italien des Finances, M. Del Turco contre Milo Djukanovic. Quelque temps auparavant (5 novembre 2000), d'autre part, la Commission européenne dénonçait devant le Tribunal fédéral de New York la collusion étroite entre ces réseaux de trafic et deux géants du tabac, Philip Morris et Reynolds.
Il est vrai qu'on est en présence de chiffres devenus impressionnants. Pour les années 1998-1999, l'Europe des 15 estimait la fraude fiscale sur les cigarettes à environ 10,3 milliards d'euros (= 67 milliards de francs français) dont 2,6 milliards d'euros (= 17 milliards de francs français) soustraits de la sorte au Budget communautaire européen.
En mars 2001, la législation italienne a conféré au trafic des cigarettes ses lettres de noblesse puisqu'il est désormais considéré comme un délit de type mafieux. La détention de stocks illicites sera désormais punie par le Code pénal italien proportionnellement au poids de tabac, allant jusqu'à 5 ans de prison pour les détenteurs, 8 ans pour les organisateurs.
La logistique territoriale acquise par grâce à la contrebande de cigarettes permet également à la Sacra Corona Unita des Pouilles de coopérer avec les clans albanais organisateurs de l'immigration clandestine en Europe de provenances albanaise, bosniaque, kossovare, kurde, turque, pakistanaise, via l'Italie. Du beau travail.
Il apparaît donc, une fois de plus, que la fiscalité galopante produit les mêmes effets que la prohibition. Elle fonde le monopole criminel du produit (alcool, drogue, tabac). Ce monopole passe progressivement sous le contrôle des groupes les plus dangereux qui se répartissent le marché. Les profits et la puissance ainsi accumulés permettent une diversification vers d'autres secteurs.
Cela ne va pas sans violence au départ. L'année 1999, fut ainsi particulièrement sanglante dans la région de Brindisi. Et ceci entraîne une répression systématique de la Sacra Corona Unita par les policiers spécialisés du ROS : 12 arrestations en décembre 2000, 76 en mars 2001, etc.
Les fonds accumulés permettent aussi la corruption de certains fonctionnaires, magistrats, politiciens.
Outre le gouvernement monténégrin clairement accusé par l'Italie, outre les politiciens albanais considérés comme très louches, on a arrêté, dans la très honnête Suisse, en août 2000, le président du Tribunal correctionnel de Lugano pour complicité avec les trafiquants.
Les autorités françaises qui aiment tant faire la morale et trouvent si normales leurs taxes sur les cigarettes feraient donc bien de réfléchir aux conséquences inéluctables de leur taxation politiquement si correcte et pavée de si bonnes intentions.