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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
VENDREDI 8 JUIN 2001
LA RITOURNELLE DE LA FACTURE DU MÉDICAMENT
La vraie question qu'il faut se poser, au lendemain de la réunion annuelle de la Commission des comptes de la Sécurité sociale, ce n'est précisément pas celle dont Mme Guigou a fait son cheval de bataille : la politique du médicament. La vraie question c'est d'abord : pourquoi relance-t-on dans le public ce dossier du médicament, qui devrait demeurer essentiellement technique ?
Et pourquoi le relance-t-on sur une base aussi démagogique que celle des "835 médicaments inutiles" à la première page de Libération (7 mai) ?
La réponse à cette question est précisément dans les comptes de la sécurité sociale.
1° Tendanciellement, le retour à l'équilibre est faux. Il provient d'un excès inattendu des recettes du fait de la bonne conjoncture exceptionnelle de l'an 2000. Les dépenses vieillesse et maladie continuent de croître de manière dangereuse, encouragées par l'apparence des " bons résultats ".
2° Structurellement, l'intervention étatique, au lieu de diminuer, s'accroît.
En 1994, la Loi Veil avait timidement mis en avant les principes :
D'autonomie financière, et de responsabilisation, des branches (maladie, vieillesse, famille)
De clarification des comptes qui seraient désormais présentés au parlement
Et de compensation par l'État de toutes ses décisions arbitraires.
Hélas, dès 1996, la réforme constitutionnelle suivie des Ordonnances de MM. Juppé et Barrot rétablissaient et même renforçaient la main mise de l'État sur les caisses de sécurité sociale. Le résultat se mesure clairement aujourd'hui. Ce n'est pas une plus grande rationalité, c'est un plus grand désordre, fruit de la démagogie politicienne. On a "fait les 35 heures" (discours politique). L'intendance est supposée suivre. Et ce sont les comptes opaques de la sécurité sociale qui trinquent
Il faut désigner un bouc émissaire pour ce budget à la dérive qui atteint les 2000 milliards de francs français. On focalise donc sur 1 milliard de francs français gaspillés en médicaments probablement inutiles. Le Monde (8 mai), favorable au gouvernement et à sa manuvre affirme que " Les mesures présentées devraient permettre d'obtenir, d'emblée, des économies annuelles comprises entre 2,2 et 2,5 milliards de francs pour un secteur correspondant à des remboursements de 95 milliards par les régimes d'assurance-maladie."
2,2 milliards sur 2000 c'est un gain de 0,11 %. La ficelle est un peu grosse ! Elle ne répugne pas à Mme Guigou.
S'agissant, d'ailleurs, de l'excès de la consommation médicamenteuse en France, il faudrait bien sûr s'interroger sur les responsabilités du système.
Ce n'est pas seulement parce qu'ils ont des bleus à l'âme que se bourrent d'anxiolytiques. C'est parce qu'on leur a fait croire que c'était gratuit, rationnel, sans danger et pas cher. S'ils avaient un minimum de culture économique et philosophique, ils sauraient que "gratuit" est totalement contradictoire avec "pas cher".
Après les avoir éduqués dans cette illusion du "gratuit" et du "pas cher", on a rendu les Français progressivement dépendants, accrocs, à la drogue médicamenteuse. En volume, la France est aujourd'hui, le plus gros consommateur au monde de pilules, dragées, gélules, poudres et suppositoires en tout genre. Le prix nominal en est maintenu par l'administration, artificiellement assez bas au-dessous des niveaux allemands, anglais, américains, suisses ou japonais. La population française sert ainsi accessoirement de cobaye. Elle en est très fière. Les autres pays se contentent de racheter nos laboratoires et d'encaisser les royalties de leurs brevets.
Les études les plus sérieuses font dresser les cheveux sur la tête, par exemple :
La revue britannique The Lancet a révélé aux Français une étude réalisée par la faculté de médecine de Toulouse auprès de 1 000 femmes enceintes et portant sur 8 000 ordonnances a montré que, pour 59 % d'entre elles, les prescriptions comportaient au moins une fois un médicament à risque ftal connu. Une étude menée en 1998 par la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) a estimé à 9 millions le nombre de prescriptions d'antibiotiques pour les seules pharyngites aiguës. Près de 8 millions d'entre elles seraient "inutiles" .
Des dizaines de milliers de journées d'hospitalisation sont la conséquence d'accidents médicamenteux. Ils frappent principalement les personnes âgées de plus de 65 ans, celles dont les ordonnances comportent en moyenne au moins 5 principes actifs
Pour une fois, on serait (presque) d'accord avec les propos de la conférence de presse de M. Jean-Pierre Davant (5 juin): " Quand on examine la politique des pouvoirs publics durant ces dernières années, on balance entre échec et coupable allégeance. [ ] Il est seulement indécent de laisser gaspiller les ressources collectives en finançant des produits sans intérêt thérapeutique, mais il est grave de constater que dans le même temps des patients, faute de ressources suffisantes, renoncent à des médicaments utiles, et il est encore plus grave que par un mauvais usage, le médicament qui est destiné à soigner devienne un facteur d'altération de la santé et participe à remplir, au mieux, nos lits d'hôpitaux. [ ] Il nous paraîtrait inimaginable que face à cette nouvelle donne les pouvoirs publics nous annoncent dans quelques jours un assortiment de vieilles recettes éculées, avec pour accommodement principal, une baisse des remboursements. Si tel était le cas, ce serait la seconde en peu de temps. "
Pour ne pas sortir de cette paradoxale autodestruction, le remède prescrit par l'État, suivant l'ordonnance du Dr Guigou, sera pire que le mal. On se propose en effet de ramener à 35 % le niveau de remboursement des 835 médicaments jugés inutiles. Ce ne serait pas admissible pour les mutuelles qui seront amenées à compléter le remboursement : sur 100 F, l'assurance monopoliste de base remboursait 65 F, la mutuelle complémentaire 35. Ce serait le contraire : on comprend l'ire de M. Davant lui-même porte parole attitré du lobby des mutuelles. Mais pourquoi cette mesure chêvre-chou : si un médicament est jugé inutile, on doit le rembourser à 0.
On voit très précisément dans cette affaire, le rôle pervers que joue actuellement le monopole et le rôle bienfaisant qui pourrait être celui d'une vraie concurrence. L'État arbitre ne sait jouer que sur un registre de faux juste milieu. Dans un arbitrage administratif, tel médicament n'est pas inutile, il est "à moitié inutile" comme si une femme pouvait être "un petit peu enceinte". Dans un système concurrentiel celui qui désire à toutes forces le remboursement des placebos payera plus cher. La vérité s'imposera très vite.
Mais il est tellement plus simple de désigner "les laboratoires pharmaceutiques", dans leur ensemble, comme responsables de tous les maux de la Terre, y compris du naufrage du Titanic.
Car, Eisberg, n'est-ce pas ce fameux groupe financier de Saõ Rico, propriétaire des laboratoires Peary ? C'est promis, Eisberg sera "poursuivi et puni". (cf. L'Étoile Mystérieuse, édition 1948 page 62).