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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

MARDI 26 JUIN 2001

Non, M. Fabius, vous n'êtes pas raisonnable sur le SMIC

Dans le jeu de rôle gouvernemental, Fabius nous est présenté comme Monsieur Raisonnable. Et le débat sur le taux d'augmentation du SMIC a été l'occasion d'une intéressante surenchère où le Ministre des Finances s'est attribué, une fois de plus la tâche de rassurer les milieux libéraux.

Oublions un instant la perspective présidentielle : cela nous met évidemment très mal à l'aise vis-à-vis des démagogies ahurissantes qu'on croyait oubliées. Nous observons en effet que toutes les décisions sont prises en fonction d'un jeu stratégique de go ou de Kriegspiel destiné à occuper certaines cases, à ratisser les électorats additifs dont on fait les majorités. Comme ce jeu est aussi un jeu de billard où certaines cartes semblent tirées contre leur camp, tout le monde s'y perd.

Sur l'augmentation du SMIC, M. Fabius avait fait mine (24 juin) de considérer le taux de 4 % comme raisonnable. Pour faire bonne mesure, on remarquera que les pressions en faveur d'un taux plus élevé ne venant pas seulement de la CGT mais par exemple aussi des chevènementistes, qui proposaient 5,6 %.

La synthèse est venue le 25 juin au soir après une réunion où Mme Guigou a annoncé une augmentation de 4,05 % au 1er juillet. Cette augmentation est la plus forte depuis 1992, année caractérisée par la brillante gestion de M. Bérégovoy, lequel avait augmenté le SMIC de 4,3 %. Observons d'ailleurs la série des augmentations décrétées depuis 1990 : 6,8 % en 90 (Rocard), 2,3 % en 91 (Cresson), 4,3 % en 92 (Bérégovoy), 2,3 % en 93 (Balladur), 2,1 % en 94, 4 % en 95 (Juppé), 2,5 % en 96, 4 % en 97 (Jospin), 2 % en 98, 1,24 % en 99, 3,2 % en l'an 2000 et 4,05 % cette année. De coups de pouce en coups de pouce, coups de pouce manifestement très politiques, le SMIC est passé en France, en valeur mensuelle de 5 000 F à 7 000 F en valeur brute sur 10 ans.

Depuis la Loi de 35 heures, le SMIC a pris une dimension plus conceptuelle que par le passé qu'on le considère d'un point de vue horaire, il passe alors de 42,02 F à 43,72 F (= 6,67 euros) ou mensuel 7 338 F bruts. Ces francs bruts sont évidemment à ramener à une valeur nette, qu'on se garde bien d'évoquer mais aussi à un coût pour l'entreprise, charges comprises.

L'une des revendications des bureaucraties syndicales est de supprimer la différence entre SMIC 35 heures et SMIC 39 heures. Puisqu'il y a minimum, il doit être le même pour tous… C'est ce qu'exprime M. Jalmain, dirigeant CFDT, habituellement de bon aloi. Il fixe un ultimatum, accordant généreusement un délai de 12 mois aux super technocrates qui nous gouvernent : " une seule valeur du SMIC pour l'ensemble des salariés au 1er juillet 2002 ". Délai de réflexion ? Ou échéance électorale ?

Au niveau désormais atteint, — car il a atteint et même dépassé le niveau des revendications jugées les plus démagogiques,, il y a 10 ans entre CGT et Front national — le SMIC est devenu un total paradoxe.

Il est à la fois trop élevé et trop bas.

Si l'on prétend envisager le SMIC comme salaire de subsistance, alors, il est évidemment trop bas. Il ne permet pas à un chef de ménage de pourvoir aux besoins standard d'une famille. Il n'est pas non plus incitatif au travail si on le compare à l'ensemble des minimums sociaux.

Or, depuis la création du " SMIG " initial Salaire Minimum Garanti, instauré en 1950 par la IVe république, par la suite le SMIC a été inventé 20 ans plus tard par le gouvernement Chaban-Delmas, puis le SMIC a connu la hausse inconsidérée des 10 dernières années. Cette évolution a précisément tendu à transformer son niveau en valeur de référence.

Ce n'est plus du tout une protection des salaires les plus modestes rongés il y a 50 et 20 ans par l'inflation. C'est devenu un salaire d'embauche. Et 2,5 millions de salariés français touchent le SMIC : ils sont 14 % aujourd'hui contre 8 % en 1994. Le SMIC devient ainsi une sorte de norme.

Et à l'inverse, le SMIC est devenu trop élevé si on l'observe en tant que " coût pour l'entreprise ". Ce point a été développé de façon fort claire par M. Denis Gautier-Sauvagnac, administrateur patronal de l'assurance chômage repris par France Inter (26 juin). À dire froidement les choses, le niveau élevé du SMIC est à l'évidence un facteur grave du chômage dans notre pays. Aucun politique n'a le courage de le dire, M. Fabius moins que les autres puisqu'il demeure membre d'un gouvernement, Ministre non seulement des Finances (publiques) mais " de l'Économie et des Finances ". Il fait mine de considérer comme raisonnable un taux qui, certes, correspond à la moyenne 1990-1999 mais qui a eu pour effet d'augmenter de 40 % le SMIC sur 10 ans, et de laisser des centaines de milliers de Français, jeunes et moins jeunes sur le carreau.

Bien entendu, les médiats, par stupidité, ignorance, lâcheté, démagogie ou idéologie, aiment à présenter le SMIC comme un salaire de subsistance. Nous entendrons ainsi France Info (26 juin) décrire la situation et interviewer d'émouvants spécimens des 32 000 agents d'entretien du département du Nord, rémunérés au SMIC et dont la vie ne correspond évidemment pas à la description du paradis soviétique telle qu'on pouvait la lire dans de nombreux journaux, livres, manuels d'histoire et géographie d'hier.

Être vraiment raisonnable pour un homme d'État ce serait de trancher "le nœud gordien ". L'image était chère à Georges Pompidou, qui en a fait le titre d'un livre et qui cependant ne l'a pas tranché lui-même. M. Fabius, agrégé de lettres, a sans doute quelque idée de l'acte symbolique accompli par Alexandre, il y a plus de 2300 ans. Il se garde bien de l'imiter, par peur du ridicule, peut-être, par crainte de paraître réactionnaire et ultralibéral, plus probablement.

• JG Malliarakis
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