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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
JEUDI 28 JUIN 2001
NON, M. FABIUS VOUS N'ÊTES PAS CRÉDIBLE QUAND VOUS PARLEZ DE LA CROISSANCE
En novembre 1999, M. Strauss-Kahn a été contraint de démissionner du fait du scandale de la MNEF. Dès lors, il a fallu trouver une pointure comparable, et qui soit propre à rassurer les milieux économiques. Ce ne fut pas facile. Après quelques mois d'intérim de M. Sauter, le Premier ministre a bien dû se résoudre à faire appel à son rival, Laurent Fabius. Celui-ci filait des jours heureux entre la résidence secondaire gersoise, son fief électoral normand et la présidence de l'Assemblée Nationale.
Le voici donc propulsé, qu'il le veuille ou non, caution économique. Le voici destiné à crédibiliser la politique du gouvernement de gauche.
On doit, certes, reconnaître qu'entre le discours tenu par les ministres de l'Économie et des Finances, Fabius aujourd'hui, Sautter hier, Strauss-Kahn avant-hier, et les propos très militants des diverses figures de proue de la "gauche plurielle" il est difficile, du point de vue de la raison et de la liberté de ne pas préférer le réalisme, ou le pragmatisme des fameux " grands argentiers ".
La première chose choquante est cependant leur rapport à l'information, et par-là, leur type de relation à la vérité. Nos ministres " communiquent " et l'on se demande souvent s'ils ne sont pas là dans ce but exclusif. Et, comme une des composantes essentielles de la pensée unique française est, à la fois, d'accorder une importance considérable aux faits économiques tout en tournant, en même temps, totalement le dos à la réflexion et à la Théorie économiques (matières supposées ultralibérales) il est couramment attendu dès ministres des Finances qu'ils s'expriment comme des oracles. Les journalistes commentent leurs propos comme ceux de météorologistes qui seraient effectivement responsables de la pluie ou du beau temps, en l'occurrence de la conjoncture.
Ceci donne lieu à de charmants quiproquos.
Invité sur France 3, le 24 juin, M. Fabius disait ainsi que la croissance française serait " probablement inférieure à 2,7 % ". Quelques jours auparavant, à l'Assemblée nationale, il avait déclaré que " la croissance serait cette année plus proche de 2,7 que de 2,9 ". Une telle formulation est mathématiquement vraie pour toute valeur du taux statistique de croissance strictement inférieure à 2,8 y compris donc pour une période de croissance zéro ou de récession.
M. Fabius ne se risque donc pas beaucoup à proférer ses pronostics de Normand. Ce 29 juin, l'INSEE devait rabattre ses pronostics " autour de 2,5 ".
Le point important n'est pas tant de faire ou de ne pas faire un pronostic crédible pour l'année 2001. Le problème est que tous les calculs de l'État sont bel et bien partis d'un pronostic, émanant à l'automne 2000 de l'inepte Direction de la Prévision du ministère des Finances, d'une croissance à 3,3 pour l'année 2001. On a prévu des recettes en conséquence, et l'État s'est installé dans des dépenses correspondantes. Ces dépenses, elles, seront effectuées. Si les recettes sont décevantes, le déficit sera aggravé d'autant. En gros : 1 point d'erreur = 15 milliards de francs sur le budget de l'État + 20 milliards de francs sur la Loi de Financement de la sécurité sociale = 35.
Or, la France est le seul pays de la Zone Euro à ne pas parvenir à réduire ses déficits. De plus, elle s'inflige à elle-même une fiscalité très lourde, et elle s'en glorifie puisque, par elle-même cette fonction expropriatrice contribue à son grand idéal d'Égalité, etc., etc.
On se souvient de la polémique entretenue pendant toute l'année 2000 autour de la prétendue cagnotte du ministère des Finances.
L'expression était irrecevable puisqu'elle désignait, en fait, un moindre déficit. L'État français ne disposait d'aucun trésor. En revanche, le discours sur la cagnotte a servi à la fois d'argument politique au gouvernement (" la France est bien gérée ") et d'incitatif puissant aux revendications catégorielles, notamment chez les fonctionnaires. " De l'argent, il y en a " est un refrain habituel de la CGT. Depuis le 5 avril, tout cela s'est renversé, on parle de moindres recettes, 10 à 15 milliards d'abord qui pourraient arriver à 30 ou 50 milliards de francs français au 31 décembre.
À partir du moment où la conjoncture se retourne, du moins dans l'esprit des prévisionnistes d'État, les facteurs en deviennent tout autres. La France se porte à merveille : ainsi M. Fabius nous affirme encore que sa croissance sera supérieure à celle de l'Allemagne. On respire ! Probablement même sera-t-elle supérieure à celle du Japon. La faute du retournement apparent de la conjoncture revient aux méchants américains. Et l'on entend à nouveau les rengaines protectionnistes : le déficit du commerce extérieur serait inquiétant, etc. (En fait ce qui est actuellement inquiétant, c'est le recul des exportations et la perte de compétitivité, et c'est aussi l'action du gouvernement).
M. Fabius comme M. Strauss-Kahn hier, raisonne comme si " la croissance " était une sorte de donnée naturelle ou accidentelle, indépendante du travail des Français, de l'effort d'investissement des Français et de l'activité des entrepreneurs. La croissance est pour lui, et pour tous ceux qui distillent cette dialectique, une chose tombée du ciel, une prévision qui s'établit en lisant les entrailles de poulet, et un fruit que l'on peut arbitrairement partagée entre ceux qui ne l'ont pas cueilli.
De ce point de vue, si raisonnable que le ministre des Finances puisse paraître, il n'est qu'un relais de la propagande du socialisme, du fiscalisme et de la technocratie.