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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

MARDI 3 JUILLET 2001

JG Malliarakis

LE LOBBY DES MUTUELLES PART À LA CONQUÊTE DE NOUVEAUX PRIVILÈGES FISCALISTES

Notre vieille connaissance M. Jean-Pierre Davant, président de la Fédération nationale de la Mutualité française, intervenait le 2 juillet sur la chaîne gouvernementale France 2.

En dépit de la mise en place de la démagogique CMU, — cette "couverture maladie" qui se prétend "universelle", — de très nombreux Français n'ont pas accès à une assurance complémentaire maladie. Partant de ce constat, M. Davant a lancé l'affirmation que " l'État doit mettre en place un dispositif de crédit d'impôts pour permettre à ces personnes d'acquérir une mutuelle complémentaire ". Il développe à ce propos l'argument suivant : " Les pouvoirs publics accordent déjà des déductions fiscales pour encourager les fonds de pension, l'accès au logement ou à l'emploi, pourquoi n'aiderait-il pas nos concitoyens à entrer dans un dispositif de solidarité ? "

La FNMF, — en clair le Lobby des Mutuelles — a décidé de cette campagne à l'occasion de son assemblée générale le 30 juin, à Paris. Au nom des quelque 1 200 délégués de cette fédération d'entreprises, de statut mutualiste, et qui tiennent encore — avec les mutuelles communistes de la FMF (Fédération des mutuelles de France) — environ 65 % du marché de l'assurance maladie complémentaire, les orateurs ont développé la rhétorique de "l'inquiétude face à la persistance des inégalités d'accès aux soins".

Les pouvoirs publics semblent conscients des lacunes de la loi du 27 juillet 1999 instituant la CMU pour la gloire de Mme Aubry. 24 mois après sa promulgation, le gouvernement doit présenter au Parlement, théoriquement fin juillet, un rapport d'évaluation sur son application. L'initiative du lobby des mutuelles arrive donc à point nommé. Et tirant partie de cette échéance les mutualistes revendiquent un crédit d'impôt "afin d'aider nos concitoyens à accéder à une vraie couverture complémentaire, ne pratiquant ni sélection, ni exclusion des risques."

Rappelons à ce sujet qu'en droit européen (depuis les directives de 1992) aucune assurance maladie ne saurait proposer ni sélection ni exclusion des risques. Et les mutuelles sont assez hypocrites en se présentant elles-mêmes comme non sélectives dans la pratique.

Cette résolution sur l'accès aux soins a été adoptée, comme on l'imagine aisément par l'ensemble des délégués mutualistes, "présents ou représentés" lors de l'assemblée.

Les militants mutualistes étaient rassemblés comme il se doit à la Maison de la Mutualité, qui appartient à leur organisation. Au menu de la réunion, figuraient aussi le nouveau Code de la Mutualité, promulgué en avril par ordonnance et qui conforte leurs privilèges, et également la situation de la Sécurité sociale, où la FNMF fait mine de considérer comme essentielle la "politique du médicament".

En fait, de l'aveu même de la FNMF, cette réunion fut surtout l'occasion, pour le mouvement mutualiste, d'engager ce nouveau combat en faveur de ce que le mouvement baptise "une politique fiscale plus juste et plus solidaire." Une politique fiscale qui les avantage un peu plus….

Les défenseurs du système monopoliste de sécurité sociale, aussi bien les pouvoirs publics que les mutuelles en conviennent désormais : l'assurance maladie obligatoire ne permet plus, à elle seule, de garantir un réel accès aux soins.

L'aveu est de taille !

La faiblesse de la couverture des soins primaires par les régimes obligatoires constitue malheureusement une exception française : 53 % seulement des dépenses de médecine de ville sont remboursées par la Sécurité sociale, qui se replie de plus en plus sur le financement des dépenses hospitalières. De ce fait, avant le vote de la loi sur la CMU, plus d'un Français sur cinq – et un chômeur sur trois – déclarait avoir déjà renoncé à se faire soigner pour des raisons financières. Parmi les 15 % de personnes qui, à cette date, ne bénéficiaient pas d'une couverture complémentaire, près de la moitié expliquait que cette protection était trop chère pour eux.

La création de la CMU a résolu, sur le papier, le problème d'accès aux soins pour les personnes dont le revenu est inférieur à 3 600 francs par mois. Mais le problème reste entier pour de nombreuses personnes dont les ressources sont supérieures, même de peu, à ce très modeste plafond. La situation est particulièrement injuste pour les bénéficiaires de l'allocation adulte handicapé et ceux du minimum vieillesse, qui se voient exclus à une cinquantaine de francs près. Différentes inégalités de traitement apparaissent curieusement au sein même du dispositif de CMU. Ainsi, les droits des anciens titulaires de l'aide médicale, dont les revenus vont jusqu'à 4 000 francs par mois, pourraient être prolongés jusqu'à la fin de l'année. La prise en charge des soins dentaires, théoriquement plafonnée, est différente selon que le volet complémentaire est géré par une caisse primaire ou une mutuelle.

M. Jacques Viallet, représentant de la "Mutualité interprofessionnelle" emploie ainsi, à ce sujet, l'étonnante expression de "CMU à multiples vitesses". Une telle situation peut sembler étrange s'agissant d'une institution réputée "universelle", quoiqu'elle soit, en vérité, purement hexagonale.

La FNMF a demandé en juin que les caisses et les organismes mutualistes soient traités à égalité, avec un remboursement "au franc le franc" des sommes versées aux bénéficiaires de la CMU.

Mais on comprend bien que le nouveau marché, celui qui intéresse le Lobby des mutuelles, c'est celui des exclus de la CMU.

Une récente enquête du Credes établit que ce n'est pas l'état de santé, mais le revenu, la taille de l'entreprise et le statut juridique qui conditionne le niveau de protection complémentaire. Ainsi, 59 % des ouvriers non qualifiés n'ont pas de complémentaire ou un contrat faible, contre 24 % des cadres. M. Maurice Duranton représentant de la Mutualité fonction publique déclare donc que " Les pauvres sont de moins en moins représentés quand on monte dans la hiérarchie des contrats. "

La FNMF revendique donc un régime de réduction d'impôt en faveur de toutes les personnes qui ont, à titre individuel, souscrit à une assurance complémentaire santé " solidaire et viagère ". Un foyer sur deux n'étant pas imposable, ce dispositif serait complété par un nouveau crédit d'impôt, octroyé tout simplement par l'État et réservé aux foyers dont les revenus dépassent le plafond de ressources de la CMU. Ce crédit d'impôt serait fixé à 1 000 francs par an et par personne majeure plus 250 francs par mineur à charge, évalue M. Duranton.

Dans un système fiscal aussi complexe et arbitraire que le nôtre les réductions d'impôts s'appliquent en effet à des domaines aussi variés que l'épargne dirigiste, l'habitation principale, la transmission anticipée du patrimoine etc. L'exonération des revenus de l'assurance vie représente près de 26 milliards de francs par an, et l'abaissement du taux de la TVA sur les travaux domestiques est évalué à environ 20 milliards.

La FNMF dirigée, en la personne de M. Davant, par un fonctionnaire des impôts joue donc sur du velours. Elle va conquérir un nouveau privilège. Et elle va le faire à l'heure où l'on pourrait imaginer que les règles européennes normalisent une situation de concurrence.

Mais quelle importance a donc l'Europe et sa libre concurrence aux yeux de la Mutualité française monopoliste et privilégiée, hexagonale et universelle ?

• JG Malliarakis
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