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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

MARDI 25 SEPTEMBRE 2001

AU BONHEUR DES DÉFICITS FERROVIAIRES

Le beau joujou SNCF : combien coûte-t-il ?

Au début des années 1990 éclatait en France le scandale du Crédit Lyonnais. On se souvient que le trou monstrueux de cette banque étatisée fut à deux doigts de provoquer ce que les banquiers redoutèrent alors sous le nom de crise systémique. Dès le rapport parlementaire établi par M. François d’Aubert en 1993 on pouvait savoir que le périmètre des difficultés de cette puissante institution financière représenterait la bagatelle de 110 milliards de francs français, et ceci par la faute de la camarilla du Trésor protégeant M. Jean-Yves Haberer.

Au milieu des mêmes années 1990, le gouvernement Juppé de triste mémoire entreprit une vaste réforme de la sécurité sociale, imposa une réforme constitutionnelle en 1996 créant le concept de Lois de financement de la sécurité sociale, au motif que l’on prévoyait en 1995 un déficit cumulé des années récentes évalué, d’ailleurs faussement, aux environ de 130 milliards de francs français.

En ce début des années 2000 le chemin de fer français, — ce bijou national sans lequel nous serions contraints de refaire à pied les chemins de Compostelle — accumule aujourd’hui (Les Échos du 21 septembre) un endettement de l’ordre de 200 milliards de francs français. Ce chiffre énorme, pour une société d’exploitation réalisant un chiffre d’affaires de 70 milliards, est certainement inférieur à la réalité. Il est vrai qu’en 1997 le gouvernement de M. Juppé avait imaginé un subterfuge habile : les dettes de la SNCF seraient transférées fictivement à un organisme étatique supplémentaire, le Réseau Ferré de France supposé propriétaire des voies et infrastructures et dont la SNCF rémunérerait les investissements sans avoir à intégrer les dettes dans son bilan. Ce tour de passe-passe, dans la tradition du faux patriotique, n’a pas encore amené ses auteurs à se suicider.

Cependant, cette dette ferroviaire, qui représente une charge annuelle de 15 à 20 % du chiffre d’affaires cependant que les frais de personnels et de régime de retraites en accaparent plus de 80 % cela laisse peu d’autonomie pour une politique de développement de l’offre de transport. Ainsi la SNCF a-t-elle dû récemment mendier auprès de Bercy le droit d’acheter 600 locomotives dans les années à venir : un matériel dont la rentabilité ne sera jamais évoquée. Pas plus qu’on ne parle jamais de l’équilibre financier de cette merveilleuse ligne TGV de Provence inaugurée à grandes trompettes, et qui, depuis, a connu quelques déboires techniques. Un jouet si sophistiqué a vocation tomber en panne. Tous ceux quoi ont joué au train électrique le savent : c’est encore plus amusant à réparer qu’à faire rouler.

Les 130 milliards de dettes attribuées à la sécurité sociale en 1996 ont donné lieu à l’invention de la CRDS à hauteur de 0,5 % de tous les revenus. À quoi donnera lieu la constatation de la Dette ferroviaire, approximativement le double de la fameuse " dette sociale " ? Tell est la première question qui vient à l’esprit.

Mais on ne doit pas s’arrêter là. Que l’on prélève ou que l’on ne prélève pas officiellement une taxe ferroviaire, le chemin de fer est en France subventionné et monopoliste depuis très longtemps. Il l’était déjà sous le Second Empire, du fait de la " garantie d’intérêts " de 1859. Il l’est inéluctablement depuis le Plan Freycinet de 1879 créant des lignes officiellement et manifestement non rentables. Il le sera tant que l’on vivra sous le régime de la loi de 1937 du glorieux gouvernement Chautemps créant la SNCF par la fusion des réseaux.

Depuis 1987 on assiste à une lutte intense des régions pour récupérer le contrôle des trains régionaux, les TER. Ceux-ci ne représentent en tout état de cause que 20 % du trafic voyageurs, de plus en plus dominé par le tout TGV. Ne parlons même pas du trafic marchandises : il est et il sera de moins en moins ferroviaire, surtout en région. A priori, cette régionalisation des TER a pour elle la popularité. Les veilles michelines ont été avantageusement remplacées par de magnifiques voitures. Dans certaines régions, comme l’Alsace (200 km/h sur Strasbourg-Mulhouse !) ces liaisons sont à la fois techniquement performantes et économiquement justifiées. Mais pour l’heure on a surtout transféré la charge financière de la subvention de l’État vers la Région. Cette charge représente aujourd’hui entre 10 et 12 % des budgets régionaux, à peu près à égalité avec les lycées. Mais il est facile de prévoir que ce pourcentage augmentera tant que la gestion sera SNCF. Le grand défenseur de cette régionalisation n’est autre que le sénateur poitevin M. Raffarin, président de région et président des présidents de régions. Un surdoué. Il s’agissait selon lui de rompre "la spirale moins d’usagers, moins de trains, moins de gares etc." Le nœud gordien a été tranché au prix de : plus de subventions, plus de déficits, plus d’impôts.

N’ayons pas la naïveté de croire que cette coûteuse glorification du transport ferroviaire n’est destinée qu’au public. Moins de 10 % des Français habitent à moins de 1 km d’une gare. Très peu habitent la gare elle-même. Or, la voie royale du chemin de fer est d’une gare à une autre, et surtout d’une gare parisienne à celle d’une métropole régionale. Le but du jeu n’est pas seulement de permettre à 200 brillants ingénieurs de faire circuler des motrices. Tous ces équipements ont des fournisseurs. Tous ces décideurs politiques ont des électeurs.

L’usager des transports a beaucoup moins d’importance que l’électeur ou le fournisseur. La SNCF se félicite que le nombre de ses "voyageurs kilomètres" transportés, après être passé de 8 milliards en 1991 à moins de 7 milliards en 1995 est reparti à la hausse : environ 8,5 milliards en l’an 2000 : une augmentation de 6 % sur 10 ans. On aimerait aussi qu’elle soit capable de répondre plus clairement à la question : combien ça coûte…

JG Malliarakis
© L'Insolent
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