COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
JEUDI 27 SEPTEMBRE 2001
LOI SÉCU SIGNÉE GUIGOU : ON DEVAIT S'Y ATTENDRE
Loi Sécu : Juppé inventeur du monstre juridique
Guigou manipulatrice du concept démagogique
Lorsque fut adoptée en 1996 l'aberrante réforme constitutionnelle, permettant à M. Juppé d'étatiser la Sécurité sociale, on pouvait savoir, et on savait, ce qui allait se passer, du moins dans les grandes lignes.
Il était, d'abord, évident que les deux réformes positives instaurées par la pauvre Loi Veil de juillet 1994 seraient effacées dans la pratique par le nouveau système. D'une part, le rapport spécial de la Cour des comptes destiné au parlement perdrait très vite son impact légitime. De document d'information, il deviendrait le prétexte à définition des lignes d'action de l'État. Et, comme tout document de cet ordre, personne ne le lirait. D'autre part, la très importante velléité de mettre en place l'autonomie des branches se verrait niée par le principe même des lois dites de financement de la sécurité sociale, combiné avec les deux prélèvements hybrides, malsains et intolérables baptisés CSG et CRDS.
De plus, il était évident que l'attention du grand public et des groupes de pression se focaliserait principalement sur les dépenses de maladie. Et, comme ces dépenses seraient indexées à la hausse par le " taux directeur " et par l'Ondam, sigle nouveau désignant l'Objectif National de Dépenses de l'Assurance Maladie, ce taux directeur, " voté par le parlement " et cet Ondam auraient un effet inflationniste en longue période sur les dépenses que l'on affirmait la prétention de juguler (cf. le discours caractéristique de M. Juppé le 15.11.1995).
Dans le prolongement de toutes ces folies, Mme Guigou est encore venue devant la commission parlementaire du 25 septembre, apporter sa touche de démagogie au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002. Dans la foulée de son collègue Fabius, Mme Guigou n'hésite pas à présenter ses projections 2002 sur la base de prévisions de croissance absolument invraisemblables dans la conjoncture actuelle. M. Fabius fait semblant de croire possible un taux de croissance de 2,5 % pour le produit intérieur brut français en 2002. La réunion de la Commission des comptes de la nation, organisme purement consensuel en temps ordinaire s'est inscrite en faux contre une telle évaluation, estimant à 1,7 % la meilleure possibilité actuellement envisageable. N'importe, les services ministériels et la majorité parlementaire " voteront " une croissance de 2,5 %. Amen. M. Emmanuelli, président de la Commission des finances s'il vous plaît (et si cela ne vous plaît pas c'est quand même comme cela) pousse le vice (Les Échos du 26) à conforter ses décisions relatives à la croissance d'une volonté de " relance économique " à l'échelle de l'Europe. Comme cela, si le taux de 2,5 % n'est pas observé en France, et il y a 99 % de chances qu'il ne le soit pas, on pourra dire que c'est de la faute aux 14 partenaires.
Une fois calculées des recettes artificiellement en hausse il est évidemment loisible de définir des objectifs de dépenses inflationnistes : +4,8 % pour l'hôpital public ; + 4,8 % aussi pour les instituts médico-pédagogiques ; +3,5 % pour les cliniques privées ; +3 % pour les dépenses dites de Ville. Pourquoi pas plus, d'ailleurs ? Les lois de financement de la sécurité sociale ne sont pas constitutionnellement ce que les initiateurs du système avaient pensé en 1995 : ce ne sont pas des " lois d'équilibre ". Si Mme Guigou fait semblant de présenter des comptes impeccablement équilibrés c'est pour que non seulement les syndicats hospitaliers soient contents, mais aussi pour que la droite soit politiquement prise à son propre piège.
Qui peut prendre tout cela au sérieux ?
Certains remarqueront quand même une nouvelle positive : le JO N° 218 du 20 septembre 2001 publiait page 14902 un Décret n° 2001-859 du 19 septembre 2001 relatif à l'organisation comptable des régimes et organismes de sécurité sociale et modifiant le code de la sécurité sociale. Ce décret dispose des articles D. 114-4-1, D. 114-4-2 et D. 114-4-3 du Code de la sécurité sociale organisant " un plan comptable unique des organismes de sécurité sociale visé à l'article L. 114-1-1 est approuvé par arrêté conjoint des ministres chargés du budget, de la sécurité sociale et de l'agriculture. "
Formidable avancée n'est-ce pas ? Ce décret fait suite à des demandes réitérées de la Cour des comptes remontant à 1952, il y a seulement 49 ans. Le plan comptable unique, basé sur la méthode des " droits constatés ", au lieu de la pratique antérieure, aura mis un demi-siècle à entrer en vigueur. Merci l'euro ?
En gros, jusqu'ici, les comptes de la sécurité sociale ressemblaient structurellement à comptabilité associative " de caisse ". Mais qu'on se rassure. Cette victoire des principes de la comptabilité publique n'aboutira pas pour autant encore à la définition d'une vraie comptabilité en partie double de ces organismes étranges au patrimoine tenu secret, aux engagements mal définis, aux évolutions arbitraires, et aux prestations modulables.
Qu'on nous permette ici de rappeler que l'argent des assurés sociaux ira encore en 2002, avec la complaisance du patronat institutionnel, les entreprises étant prises en otage, dans des caisses qu'en fait personne ne contrôle.
Avant que les organismes français de sécurité sociale présentent des comptes sincères et véritables, ce qui serait conforme aux intérêts des preneurs d'assurance, il s'écoulera encore pas mal de temps.
Espérons que ce délai sera inférieur à un demi-siècle.