Lorsque s'est créé le marché commun, sur la base du traité de Rome de 1957, les six États fondateurs étaient économiquement homogènes. Seul, le sud de l'Italie marquait une différence de développement notable. À partir de 1962 a prévalu, au sein cette Europe des six, un effort budgétaire en faveur de l'agriculture. L'aide spécifique au Mezzogiorno apparaissant comme une affaire spécifiquement italienne.
Puis, l'Europe s'est élargie à des pays plus pauvres, successivement : l'Irlande, la Grèce, l'Espagne et le Portugal. Se sont alors affirmées des politiques et des fonds dits de cohésion, puis des aides régionales, etc. La part dominante des subventions, toutefois, va toujours à l'agriculture.
Pour ces deux raisons, le pays qui demeure encore le plus aidé en Europe, relativement à son produit intérieur brut, se trouve, actuellement encore le plus pauvre des 15 et en même temps, proportionnellement le plus agricole. L'ensemble des dépenses de l'union en % du PIB des bénéficiaires est ainsi toujours de 3,61 % du PIB pour la Grèce (pour moitié des aides agricoles), 1,93 % pour le Portugal (où l'aide à l'agriculture est minime), 1,93 % pour l'Espagne, 1,83 % pour l'Irlande. Sans sous-estimer l'effet néfaste de toutes ces subventions, elles demeurent logiques. Et le promeneur, découvrant que l'Europe subvient à 75 % de tel programme de fouilles en Sicile ou d'aménagement de l'Acropole d'Athènes, n'en acquiert que plus de certitude qu'il s'agit bel et bien du patrimoine commun, dont une partie se trouve encore au British Museum de Londres
Si l'on veut bien sortir, cependant, du registre de l'anecdote, pour observer les grandes masses financières, on découvre que la somme des subventions de cohésion est inférieure encore aux subventions agricoles. Or, les fonds de cohésion ont pour but d'élargir l'Europe aux dimensions du continent, alors que les activités agricoles ne concernent guère plus de 3 % de la population active. Pis encore : les fonds agricoles constituent une pomme de discorde. Car elles opposent l'Europe des 15 au principal pays du processus d'élargissement, c'est-à-dire la Pologne.
En allant, encore, un peu plus loin dans les chiffres, on découvre, en valeur absolue cette fois, que sur l'année 2000, les fonds européens ont été encaissés par 5 principaux pays, dans l'ordre :
1° la France pour 12,2 milliards d'euros ;
2° l'Espagne pour 10,9 milliards d'euros ;
3° l'Italie pour 10,8 milliards d'euros ;
4° l'Allemagne pour 10,2 milliards d'euros ;
5° le Royaume Uni pour 7,8 milliards d'euros.
Il est vrai que ce dernier pays, pour ne citer qu'un exemple est contributeur à concurrence de 0,25 % de son PIB. Mais la France n'est elle-même que pour 0,10 % de son propre PIB. C'est moins que la Belgique (0,13 %) ou l'Autriche (0,27 %). Et c'est beaucoup moins que les Pays-Bas (0,44 %), l'Allemagne (0,47 %) ou la Suède (0,5 %).
Au total l'État le plus subventionné d'Europe, celui dont le poids des lobbies subventionnistes est le plus lourd, celui qui empêche l'Europe de sortir de sa délirante politique de subventions, c'est, hélas, la République française.
Le poids des lobbies subventionnistes est en France très lourd. Il explique le goût très fort pour le déficit ferroviaire, si souvent ressenti comme une sorte de devoir national presque sacré. Dans ses travaux si remarquables et si décapants ("Les Responsabilités des dynasties bourgeoises"), Beau de Loménie montre que la nationalisation des chemins de fer de 1937 n'a fait que renforcer alors, et depuis, les profits de ceux qui avaient tant bénéficié du système des concessions apparu au cours du XIXe siècle (cf. notre bulletin du 25 septembre). Au moins, dira-t-on peut-être, à titre de mince consolation ce système continue de faire travailler des entreprises françaises !
Dans le cas des subventions bruxelloises et parisiennes à l'agriculture françaises, nous avons maintes fois démontré, au contraire, que celles-ci ne profitaient aucunement, ni aux exploitants agricoles, ni à la vie rurale de notre pays. Plus généralement, le paradoxe d'une France assistée par l'Europe nous semble affreusement significatif de son abaissement. Nous devons y voir le résultat des orientations technocratiques de son économie.