COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

LUNDI 5 NOVEMBRE 2001

JG Malliarakis

L'ÉTAT DÉSERTE SON PROPRE OUVRAGE

Il faut d'urgence que le canal du Midi soit rendu à la propriété privée

Splendide réalisation de Louis XIV, classé au patrimoine mondial depuis 1996, le Canal du Midi, propriété de l'État français, est aujourd'hui en péril.

Péril esthétique, péril financier et même péril physique.

Ainsi son promoteur l'intendant Pierre-Paul Riquet de Bonrepos avait-il fait planter 100 000 platanes le long des 450 km de berges. C'est un des charmes essentiels du canal qui attire chaque année plus de 11 000 amoureux du tourisme fluvial. Mais ceci répondait, originellement, à un impératif d'ordre technique : celui de prévenir le risque d'affaissement. 300 ans plus tard, l'Office national des forêts réclame une dotation de 15 millions de francs par an pour l'entretien et le renouvellement de ces superbes sujets, laissés à l'abandon pendant des décennies. Or, VNF, l'établissement public gestionnaire depuis 1991 dispose à peine du tiers de ce budget…

De 1988 à 1991 le Premier ministre était M. Michel Rocard, appelé par M. Mitterrand à Matignon en sa qualité de meilleur économiste de Conflans-Sainte-Honorine. Comme il était aussi maire de ladite commune et que cette ville est le port d'attache de la batellerie française, on s'est alors pris d'un intérêt tout provisoire pour la navigation fluviale, cadet des soucis d'un État dont la grande passion depuis deux siècles est le joujou ferroviaire.

Alors l'État, avec lenteur et majesté, a créé, sur le papier en 1991, l'Établissement Public d'Intérêt Commercial Voies Navigables de France. Et l'Établissement Public VNF est même devenu "opérationnel" en 1993, gérant désormais tous les canaux de France. Mais si sa direction nationale est basée à Béthune ce n'est pas seulement dans un souci de décentralisation. C'est aussi en vertu d'une conception unilatérale, et d'ailleurs hexagonale, du transport fluvial minier ou industriel lourd.

Certes, les technocrates souligneront que le budget global est passé de 11 millions de francs à 86 millions. Mais de l'aveu même de M. Jacques Noisette, responsable des relations publiques à VNF "on continue à parer au plus pressé " Depuis la création de VNF, toute occupation du domaine public — de la pancarte indiquant un supermarché à une maison flottante — est en théorie soumise à redevance. "On a tellement laissé faire n'importe quoi qu'il nous est impossible de faire la chasse aux dépotoirs, cabanons et voitures oubliées", se lamente-t-il. Cette vision, en partie mutilante, est reprise par Libération (3 octobre) mais elle reflète mal le fond du problème. D'autres exemples pourraient être soulignés : non seulement le domaine public est, par nature, soumis aux pires atteintes esthétiques et écologiques, mais l'administration et ses faux nez, — tout Établissement Public d'Intérêt Commercial en est un — en serait ni gérer, ni embellir, ni même protéger le capital historique. Dans un pays comme la France, où ce capital historique est immense, non seulement elle ne parvient pas à la faire fructifier, mais encore par sa monstrueuse politique subventionniste, elle s'emploie, — sans le vouloir (cela est pire encore) — à le faire dépérir.

On remarquera, à l'inverser, le rôle d'une modeste association toulousaine Canal à la Une, fondée 1997 par Sylvie Robin, avec trois amies de la région., Sans aucun soutien au départ, elle a ouvert un pôle d'information près de l'abbatiale Saint-Pierre, puis une antenne girondine à Castets-en-Dorthe, la porte atlantique du canal. Canal à la Une organise régulièrement des manifestations dans des lieux évocateurs. Des liens de confiance ont également été noués avec les élus et les institutions. En 3 ans, Canal à la Une s'est ainsi dotée d'une banque de données livresques et photographiques incontournable. Consulté mensuellement par dix mille internautes son site Internet lui a permis de trouver des partenaires pour valoriser le potentiel touristique du canal, tel M. Michel Dusseau un jeune chef bien connu de la restauration française.

Si on laisse VNF ne pas entretenir le canal du Midi, non seulement le canal deviendra une immense poubelle sur le modèle soviétique, mais on peut craindre que faute d'entretien les platanes meurent et la voie d'eau elle-même sera en péril.

L'étatisme n'est plus capable de concevoir ni de gérer un patrimoine de cette qualité ; il faut donc lui arracher des mains tant qu'il en est encore temps.

Le canal du Midi doit être ainsi rendu à la propriété privée des villes, des régions et de leurs habitants.

• JGM •

Pour accéder au Courrier précédent