COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
LUNDI 3 DÉCEMBRE 2001
JG Malliarakis
LE MIRACLE BRITANNIQUE EST-IL FINI ?Depuis 1997 Tony Blair
s'opposait à la hausse des prélèvements
Au début des années 1970, ruinée par 25 années d'État Providence, la Grande Bretagne apparaissait définitivement moribonde. Un pays de seconde zone, dévasté, décadent, surimposé, rongé par l'inflation, le déficit budgétaire, la réglementation administrative et syndicale. Vint alors le gouvernement de Margaret Thatcher, considéré comme fort peu souriant avec ses bonnes veilles recettes d'épicier et une clique de (très méchants) réformateurs dénoncés comme ultra libéraux par nos brillants intellectuels français.
Premier miracle britannique : l'Angleterre s'est alors redressée.
Ce pays qu'on croyait mort est redevenu un acteur majeur sur la scène internationale.
Au cours des années 1990, Thatcher puis John Major sont évincés du pouvoir. Leur a succédé le néo travailliste Tony Blair, inventeur du concept de New Labour pour le Royaume-Uni et promoteur d'une "troisième voie", tenant compte de la supériorité de l'économie de marché sur l'étatisme.
Deuxième miracle britannique : l'Angleterre maintient alors les acquis du thatchérisme, et demeure notamment en première ligne de l'initiative privée, de la déréglementation, de la moindre fiscalité, de la libre entreprise et de l'emploi. Un nombre considérable de Français s'y expatrient
Ce 2 décembre 2001, cependant, 150 ans après le 1er coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte, Tony Blair accordait à l'édition dominicale du quotidien The Independent une interview qui fait figure de coup d'État : la hausse des impôts y est présentée comme le seul moyen de redresser le système de soins : " Je pense, déclare-t-il, que la meilleure solution est de recourir à la fiscalité générale."
La brèche a été ouverte le 27 novembre, à la Chambre des communes par le chancelier de l'Échiquier (ministre des Finances) Gordon Brown : "Si vous voulez un service public digne de ce nom, vous devez en payer le prix, même si cela nécessite une hausse de la fiscalité". Cette nouvelle doctrine est complètement contraire au credo du système "thatchérien" puis "blairiste", fondé sur le refus d'accroître les prélèvements obligatoires. Le credo blairiste a été défini lors de son arrivée au pouvoir en 1997 : " Nous n'avons aucune intention d'augmenter les impôts ", disait-il alors et il le répéta lors de la dernière campagne électorale victorieuse.
Au contrair, Gordon Brown considère comme un retard de son pays le fait que le Royaume-Uni consacre à peine plus de 6 % de son produit intérieur brut aux dépenses de santé contre 9 et 10 % dans les autres pays de l'Union européenne
L'Angleterre travailliste a institué la gratuité des soins en 1948 dans le cadre du National Health Service. Ce système fait de l'État le dispensateur de soins. Les bons esprits trouvaient alors cette avancée remarquable et cependant depuis la fin des années 1960, le National Health Service connaît une situation de pénurie qui perdure. Même le thatchérisme n'est jamais parvenu à réformer le NHS.
L'Angleterre possède deux fois moins de lits d'hôpitaux et de médecins généralistes que la France, avec une population comparable. Il faut souvent attendre six mois, voire un an, avant d'y obtenir un rendez-vous chez un spécialiste via le NHS. Faute de dépistage, le taux de mortalité pour certains cancers est, nous dit-on, plus élevé que sur le continent. Lors des dernières élections, les travaillistes ont proclamé qu'ils sauveraient le National Health Service. Le 27 août dernier, M. Alan Milburn secrétaire d'État à la Santé en était cependant réduit à annoncer que les personnes patientant depuis plus de 18 mois pourraient se faire opérer sur le continent aux frais du National Health Service. La Grande-Bretagne comptait quelque 42 000 malades en attente d'une opération depuis plus d'un an.
Or avec une croissance estimée pour 2002 entre 2 et 2,5 % l'Angleterre ne peut plus compter sur la seule expansion pour financer, la rénovation des services publics à fiscalité constante, Aujourd'hui on évalue à 3 % la hausse nécessaire du taux de base de l'impôt sur le revenu.
Déjà le très populaire Sun, (3 500 000 exemplaires) et le Financial Times, qui avaient appelé à voter Blair commencent à retirer leur soutien aux travaillistes auxquels ils reprochent aussi la quasi renationalisation de Railtrack. Le miracle britannique est-il en passe de s'évanouir ? Pas sûr, car l'opinion des Anglais évolue, elle aussi : en 1999, ils étaient 79 % à accepter de payer davantage d'impôts pour améliorer le NHS, ils ne sont que 54 % aujourd'hui à être favorables à la solution Blair.
JGM