Hélas, disons-le tout de suite, la réponse est non.
L'idée de mettre en place, enfin, un fonds garantissant les retraites par répartition du système français a commencé à s'imposer dans les esprits à l'époque paradoxale où M. Bérégovoy fut successivement Ministre des Finances puis chef du gouvernement. Elle a mis quelque 10 ans à aboutir à un décret en Conseil d'État au JO n° 296 du 21 décembre. Voila le "Décret n° 2001-1214 du 19 décembre 2001 relatif au Fonds de Réserve pour les Retraites institué par l'art. 6 de la loi n° 2001-624 du 17 juillet 2001 portant diverses dispositions relatives au fonds de solidarité vieillesse et modifiant le code de la sécurité sociale" (ouf !).
Le FRR, fonds de réserve des retraites, n'est plus une simple subdivision du FSV, fonds de solidarité vieillesse. Il possède une existence juridique autonome. Il est même doté d'un conseil de surveillance composé selon les ingrédients bien connu : un paquet de représentant des ministères, un zeste de parlementaires, quelques soi-disant "personnalités qualifiées" désignées arbitrairement et 10 revenants du paritarisme syndical, à égalité : 5 viendront des bureaucraties syndicales (un siège par centrale), 5 des organisations patronales. Une curiosité : l'Union patronale artisanale, structure fantomatique ignorée des artisans et commerçants, reçoit 2 sièges contre 1 à la CGPME, un peu plus connue, et 2 au MEDEF.
En théorie, le conseil de surveillance a pour rôle "1° De fixer, sur proposition du directoire, les orientations générales de la politique de placement des actifs du fonds, conformément au troisième alinéa de l'article L. 135-8" (Art. R. 135-20). En théorie toujours, "le fonds de réserve pour les retraites est placé sous la tutelle du ministre chargé de la sécurité sociale, du ministre chargé de l'économie et du ministre chargé du budget." (Art. R. 135-18).
En pratique cela veut dire que le Fonds de réserve sera étroitement contrôlé par la citadelle Bercy et que ses placements seront ceux que désire Bercy.
Le président du FRR est au départ M. Daniel Lebègue directeur général de la Caisse des Dépôts et Consignations. Rappelons que les investissements les plus spectaculaires et les plus massifs de cet organisme ces 50 dernières années ont été les opérations immobilières d'immeubles barres que le monde envie à nos banlieues. Qu'on se rassure, ce ne seront pas les loyers de ces résidences qui "garantiront" les pensions versées aux vieux travailleurs français.
À l'époque (faut-il écrire "à l'époque bénie" ?) de M. Bérégovoy, on pensait garantir les retraites pas les capitaux retirés des privatisations. L'idée n'était point dénuée d'intérêt et nous la soutenions dans notre premier petit livre consacré à "L'Avenir de la Protection sociale en France" rédigée en 1992. Comme le temps passe.
Car aujourd'hui, les recettes des privatisations des 10 dernières années se sont envolées en maquillage du déficit courant des comptes publics français. Le maquillage était, il est vrai, "d'intérêt national" : il s'agissait d'entrer dans l'euro la tête haute sans imposer aux Français ces réformes indispensables que "les grands États" en Europe se révèlent incapables d'accomplir chez eux mais qu'ils ont imposées aux "petits pays" (pour le plus grand profit de ces derniers !).
Ne parlons pas des recettes escomptées des licences UMTS. Elles seront très inférieures au pactole rêvé naguère par nos chers technocrates. Adieu veaux, vaches, cochons, couvées
Mais c'est évidemment dans le domaine des placements que les règles prudentielles du FRR seront les plus risibles et les plus contradictoires. Pas question de placer plus de 20 % hors zone euro, mais 25 % pourront être placés hors d'Europe. Pas question de prendre plus de 5 % de risque sur une ligne (encore heureux) sauf pour les emprunts émis par les États européens, etc. On aurait pu d'ailleurs faire pire. On a vu pire.
Peut-être faut-il se féliciter de la médiocrité de cette institution.
Très rapidement le Fonds de réserve se révélera insuffisant.
Si, au contraire, le Fonds de réserve devenait "crédible", si on acceptait de concentrer ainsi, en une seule gestion étatique, la couverture du risque retraite français, cette colossale dette inavouée de l'État français, on se retrouverait en France, 10 ans après la fin de l'Union soviétique, avec le plus monstrueux secteur public du monde industriel.
JGM