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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
MARDI 5 MARS 2002
NON M. JOSPIN VOUS N'ÊTES PAS VRAIMENT BIEN DIFFÉRENT DE M. CHIRAC !
Le Mensonge de base est de nous imposer le choix strictement binaire entre Chirac et Jospin.
Même Blondel ne s'y trompe pas !
Un sondage publié par Libération (4 mars) donne Jospin gagnant avec 4 points d'avance. Cela inverse une tendance généralement affirmée depuis quelque 12 mois tendant à nous faire croire en la réélection de M. Chirac.
Cette nouvelle, virtuelle, comme d'ailleurs étaient virtuelles les annonces de pronostics précédents, laisse la plus grande partie des Français indifférents. Une semaine plus tôt, en effet, 74 % des sondés, c'est-à-dire une écrasante majorité de l'échantillon représentatif, et, de toute évidence, une proportion considérable de la population représentée, nos compatriotes, déclaraient ne pas percevoir de différence sensible entre Chirac et Jospin. Vox populi, vox Dei (1).
D'autres phénomènes sociologiques se manifestent lorsqu'on examine les sondages sous un angle qui doit bien se concevoir comme apparemment "politique" traditionnel droite/gauche. (2) Mais une autre coupure s'introduit désormais, entre les partis de l'établissement et les partis protestataires. Nous avons la faiblesse de considérer cet antagonisme comme beaucoup plus significatif, du point de vue de l'avenir des Libertés sociales en France, que la plupart des querelles traditionnelles (3).Dans nos archives
14.1 Quelques éléments de Teuladologie
13.2 Présidentielle ou pas présidentielle
29.1 "L'Actionnaire prédateur" vote Jospin
16.1 Premiúres le´ons de l'affaire Enron
Or, cette coupure n'a cessé de s'aggraver depuis 20 ans, entre le peuple français et sa classe politique. Elle était déjà sensible dès le milieu des années 1980. Elle s'est accentuée dans les années 1990 (4). Et, d'élection en élection, on a vu grandir les formes de rejets, le nombre des abstentions, le nombre des votes blancs et nuls, et on a vu en même temps s'accroître régulièrement le score des partis marginaux.
On en arrive aujourd'hui au point que les deux candidats "monopoleurs", représentatifs de la classe politique et de l'énarchie, etc. MM. Chirac et Jospin additionnés représentent, à eux deux, dans les sondages moins de 45 % des voix exprimées au premier tour. Depuis 12 mois, on a vu osciller les scores respectifs de Chirac et Jospin, on n'a toujours pas vu leur pourcentage additionné, très faible, devenir majoritaire.
3 autres candidats, sur un total de 17 ou 19 actuellement déclarés, disposent, au moins formellement, d'un groupe parlementaire : MM. Hue, Madelin et Bayrou. Or, non seulement leurs scores à tous trois ne sont pas fameux dans les sondages, mais leurs discours respectifs sont toujours dirigés contre le Système, terrain sur lequel ils paraissent il est vrai assez improbables à l'électeur moyen.
On comprend donc que M. Jospin, tout autant que M. Chirac, cherche à paraître dissemblable de son adversaire, car ils s'adressent, l'un comme l'autre, à des publics apparemment antagonistes, chacun labourant respectivement "à gauche" et "à droite".
Ainsi le 3 mars sur TF1, M. Jospin dit à propos des Retraites : "C'est une urgence, c'est le premier grand dossier social et de société de la prochaine législature et de la prochaine mandature [ ] Jacques Chirac parle de fonds de pension individuels. Nous, nous parlons d'une épargne salariale collective qui serait sous le contrôle des syndicats".
Ce dossier est effectivement capital et ce n'est pas nous qui contredirons sur ce point M. Jospin. Nous l'avons développé maintes fois.
Nous demeurons quand même plus réservés lorsqu'il affirme ne pas s'être engagé dans le passé à résoudre le problème. Pour un protestant, M. Jospin tient là quand même un propos un peu jésuite. Nous relisons en effet, depuis son discours d'investiture du 19 juin 1997 (cf. notre Courrier du 23 juin 1997), une série d'affirmations formulées de manière ambiguë, laissant croire qu'il prendrait les choses en main, mais sans jamais s'y engager formellement.
À chaque fois, c'était des trompe l'il ; On n'allait pas tarder, s'agissant de cette "urgence des urgences", à créer une commission qui remettrait un rapport afin que, toutes affaires cessantes, on se retrousse les manches, de sorte que, au bout du compte, la patate chaude refroidissant puisse être consommée lors d'une prochaine législature.
Le dossier des retraites avait déjà perdu 6 ans, de 1991 (date de la sortie du Livre Blanc sous Rocard) à 1997 (date de l'investiture du gouvernement Jospin). Au total nous en sommes maintenant à 11 ans de perdus, après avoir proclamé l'urgence, avec pour seule réforme la diminution unilatérale des engagements du système décidée par M. Balladur et Mme Veil en 1993.
Dans sa grossière démagogie, M. Blondel ne s'y trompe pas.
Dans une interview qui fait la "Une" des Échos (4 mars) non seulement il reprend l'interpellation de Mme Notat du 3 mars (cf. notre Courrier du 4 mars) renvoyant plus ou moins dos à dos les deux candidats mais il embouche à nouveau les trompettes optimistes du rapport Teulade de janvier 2000 (cf. nos Courriers des 3 janvier 2000 et du 12 janvier 2000) La teuladologie et la blondelologie relèvent en fait de l'analyse d'une même imposture et d'un même concept de "mise en garde", car Blondel comme Teulade met en garde, ce qui en langage clair s'appelle du chantage.
Voilà comment Blondel, secrétaire de Force Ouvrière ose s'exprimer : "une légère augmentation de la part du PIB consacrée aux retraites permettrait de sauvegarder nos régimes par répartition jusqu'en 2020 au minimum. Nous pensons qu'il est possible, ajoute M. Blondel, de revenir aux 37,5 annuités de cotisation pour tout le monde. Je voudrais que tous les candidats réaffirment que la retraite à soixante ans est un droit. [ ] Je ne crois pas aux fonds de pension à la française ni à l'épargne salariale. [ ] Dans le premier cas, c'est un coup de poing contre la répartition, dans le second, une fissure." (Les Échos 4 mars 2002) C'est très précisément la logique du rapport Teulade du 11 janvier 2000.
Face à ce chantage, tendant à bloquer toute réforme la sécurité sociale il n'y a guère de différence entre M. Jospin faisant appel en 1999 à Teulade pour bloquer la réforme des retraites et M. Chirac se proclamant garant de la sécurité sociale.
Mais en vérité il n'y a pas de différence non plus entre les deux projets l'un soi-disant individuel de "fonds de pensions à la française" qui ne seront pas individuels, et l'autre "contrôlé par les syndicats" qui ne sera pas favorable aux salariés, et qui n'est qu'un cache sexe pour une épargne un peu plus contrôlée par l'État.
Le technocrate Jospin et le technocrate Chirac disent sur le fond exactement la même chose.
JG Malliarakis
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(1) Du moins quand on atteint de pareils pourcentages
(2) Les deux grandes coupures traditionnelles en France sont, politiquement, les suivantes :
A) Il existe certes, du point de vue électoral, circonscription par circonscription, et même bureau de vote par bureau de vote une coupure droite/gauche. C'est une coupure largement plus "culturelle" que véritablement sociale. Ses racines sont très anciennes. Elles remontent, en France, bien avant la Révolution : "cathares" contre "dominicains" au XIIIe siècle, "huguenots" contre "papistes" au XVIe siècle, etc. presque toujours dans les mêmes régions.
B) Il existe aussi une coupure entre centralistes et régionalistes : elle remonte, elle aussi, à l'Ancien régime, à la ligue du Bien public du XVe siècle etc.
(3) Telles que celle relative à la Laïcité de l'école, paradigme de la division droite/gauche depuis le XIXe siècle.
(4) En particulier à la faveur du débat sur la ratification du traité signé à Maastricht en 1991, la plupart des mouvements protestataires s'investissant alors (paradoxalement à notre avis) dans un combat "souverainiste" identifiant les institutions européennes à la classe politique française.
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