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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
JEUDI 7 MARS 2002
LA PREMIÈRE VRAIE GAFFE DU PRÉSIDENT GEORGE WALKER BUSH
Nous sommes les alliés des Américains. Nous ne sommes ni leurs ennemis ni leurs vassaux.
S'agissant d'un peuple ami, le miel obséquieux des uns comme le fiel sournois des autres sont également déplacés et hypocrites. Ajoutons par surcroît que depuis la campagne électorale américaine à partir du printemps 2000, comme depuis la guerre en cours déclenchée par les attentats de l'automne 2001, le président Bush a été la cible, en Europe, de dénigrements excessifs et systématiques, instrumentalisant ses prétendues "gaffes". Tout cela ne nous le rendait que plus sympathique sachant précisément d'où venaient ces campagnes. Soulignons aussi que ses actes concrets méritent jusqu'ici une appréciation plutôt positive.
Mais, tout ceci étant rappelé, il nous semble que la décision prise par son gouvernement le 5 mars, de taxer les importations d'acier, de manière à la fois discriminatoire et unilatérale est une décision inacceptable dans son principe, grave dans ses conséquences générales et qui se révélera certainement néfaste, y compris, pour les véritables intérêts nord-américains à moyen terme.
On relèvera sans doute, pour tenter de les excuser ou de les minimiser, que ces mesures sont présentées comme du "protectionnisme provisoire". Traditionnellement une telle politique (d'ailleurs erronée) est invoquée par les administrations qui la pratiquent au nom des "industries naissantes". Cet argument n'a strictement aucun rapport avec la situation de la sidérurgie américaine, qui se trouve être précisément déclinante. Or, le vrai secret de l'énorme productivité américaine, comme du faible taux de chômage aux États Unis et en Grande Bretagne est que jusqu'ici rien n'y était fait en faveur des activités en déclin, malgré les pressions de la démagogie syndicale ou patronale.
Pour s'en tenir aux mesures actuelles, le président Bush aurait donné un répit de 3 ans aux producteurs d'acier américain pour s'adapter aux pressions du marché mondial.
Les taxations les plus lourdes, pour s'en tenir à celle des intrants de l'industrie automobile passeraient ainsi de 30 % la première année, à 24 % la deuxième, et 18 % la troisième.
Mais comme le fait remarquer le Wall Street Journal (6 mars) les premières victimes de ces mesures seront "les industries manufacturières des États-Unis qui dépendent de l'acier, allant de géants de la mécanique lourde comme Caterpillar jusqu'aux petits équipementiers automobiles du Middle West. Les plus petites entreprises consommatrices d'acier ressentiront les plus graves conséquences car elles ne sont pas protégées par des contrats à long terme comme le sont au contraire de nombreuses grosses industries." Ce simple mécanisme différentiel, bien connu de la plupart des économistes, aurait dû arrêter le gouvernement Bush.
Nous relèverons aussi, en date du 3 janvier 2001 une étude détaillée de M. Robert W. Crandall partenaire de la Brookings Institution et spécialiste reconnu de l'industrie sidérurgique insistant à l'avance sur la "Futilité des mesures protectionnistes dans la Sidérurgie". À nouveau le New York Times (6 mars) relève que Robert Crandall dénonce dans cette affaire une "menace pour le redressement de la conjoncture américaine". Le même New York Times fait état, par exemple, de la réaction hostile de M. Gerald O'Driscoll, de la Heritage Foundation, pourtant très proche des républicains pour qui la décision de Bush "ne répond à aucune justification d'ordre économique".
Mais d'autres considérations, d'ordre international, nous montrent que ces dispositions, prises sous l'effet de pressions syndicales, vont porter un grave préjudice aux intérêts mondiaux des États-Unis. Certes, une exception sera faite en faveur du Canada et du Mexique (NAFTA oblige), et d'une poignée de pays comme l'Argentine, la Thaïlande et la Turquie. Très fortement débitrices des Américains, ces 3 nations seraient immédiatement prises à la gorge en cas de resserrement de leurs exportations.
Mais les principales victimes, l'Europe, Taïwan, la Corée du sud et même la Chine sont elles aussi des partenaires des États Unis et elles les ont suivis dans la construction de l'OMC. Comment imaginer qu'elles resteront inertes dans le cadre de l'OMC qui précisément avait déjà condamné l'attitude protectionniste américaine dans le passé ?
À juste titre, l'Europe, annonce une réaction dure. En décembre, M. Pascal Lamy, Commissaire chargé du Commerce extérieur, avait déclaré par avance qu'une nouvelle orientation protectionniste constituerait "un signal pervers et inouï lancé au monde".
À Bruxelles, on envisage plusieurs scénarios :
Le recours à l'OMC serait la plus logique.
Mais l'Europe pourrait également contingenter les importations d'acier en provenance des pays tiers de peur d'être submergée par des productions qui s'écoulaient jusqu'ici sur le marché nord-américain. Une telle orientation serait très dangereuse car elle induirait une escalade mondiale des barrières douanières fermant pour plusieurs années les perspectives de développement résultant du libre échange et de la compétition économique. Telle est la conviction de tous les économistes : mais cette certitude n'a qu'un défaut, celui de n'être pas partagée par les politiciens et les gens de "l'anti-mondialisation" (Attac etc.)
L'Europe envisage aussi dès maintenant, trouvant trop lentes les procédures de l'OMC de prendre d'autres mesures de rétorsion, de taxer des produits américains ou d'activer les sanctions autorisées dans l'affaire des aides fiscales américaines aux exportations (Foreign Sales Corporations), jugées illégales par l'OMC et dont le montant s'élèverait à 4 milliards de dollars.
Dès maintenant l'Union européenne mais aussi le Brésil, la Russie et le Japon ont fait savoir qu'ils allaient porter l'affaire devant l'Organisation mondiale du commerce.
Rappelons que récemment, les États-Unis ont été condamnés par l'OMC pour avoir fait d'autres clauses de sauvegarde (viande ovine en décembre 2000, produits de substitution des céréales en mai 2001, tubes et tuyaux de canalisation en février 2002).
Évidemment certains commentateurs, comme les bons apôtres du quotidien de la pensée unique française Le Monde (7 mars) ne se privent pas de monter cette affaire en épingle et d'écrire : "disant le Bien et le Mal au gré de ses intérêts, l'Amérique choisit de ne s'appliquer que les règles qui lui conviennent". L'éditorial du Monde est ainsi intitulé : "Hypocrite M. Bush" et il conclut par la sentence : "C'est déloyal." Et Dieu sait si Le Monde s'y connaît en déloyauté.
Il est hélas à craindre que le président Bush ait, dans cette affaire surtout en vue les élections intermédiaires de novembre et certains États de veille implantation sidérurgique (l'Ohio, la Pennsylvanie, la Virginie occidentale) où les républicains souhaitent gagner des sièges sur les démocrates.
Il faudra bien que l'Amérique choisisse vraiment entre l'assomption des responsabilités mondiales qui sont actuellement les siennes et les petites considérations de sa politique intérieure.
Il faudra bien aussi que l'Europe s'affirme à son tour comme gardienne des libertés.
JG Malliarakis
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