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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
L'EUROPE, LES BUREAUCRATES ET LA SÉCURITÉ SOCIALE
On entend souvent, à propos de l'Europe, ou plutôt de la construction européenne, des commentaires affligeants. Cela tient, sans, doute à ce qu'on appelle pudiquement le "déficit démocratique" des institutions communautaires.
En réalité, ni les effrois souverainistes des uns, ni les espérances un peu niaises des autres ne sont fondés.
Tout d'abord, on doit le rappeler, Bruxelles n'est pas le siège d'un Super État. Les prélèvements communautaires sont largement redistribués encore aux agricultures nationales et en tout premier lieu aux organismes accapareurs de l'agriculture française. Ils sont certes importants puisqu'ils représentent 1,8 % du produit intérieur. Mais cela est 30 fois moins que le taux des prélèvements franco-français qui avoisine 55 % en tenant compte des emprunts et déficits. Il y a plusieurs milliers de fonctionnaires communautaires entre Bruxelles, Luxembourg et Strasbourg. Pour la moitié d'entre eux, ce sont des traducteurs. Et ils sont moins nombreux que les fonctionnaires municipaux de la Ville de Paris.
On s'effraie aussi, beaucoup plus légitimement, de la compilation réglementaire effectivement colossale que nécessite cette construction. Il est parfois ubuesque et souvent courtelinesque d'apprendre certaines choses, comme la préoccupation pour le calibrage des bananes ou la sollicitude pour la teneur en cacao du produit stratégique appelé chocolat.
Tout cela tient au caractère intergouvernemental de la co-décision théorique et pratique. Parler pour le moment de Super État, ou même de fédéralisme en gestation, est donc absolument décalé. L'édifice actuel ne fait qu'empiler les structures administratives des États-Nations tels qu'ils sont apparus en Europe au XVIe siècle en cherchant seulement à en estomper doucement certaines contradictions. On tend, avant tout, à rapprocher sans heurter les habitudes, les routines, les étroitesses de nos 15 bureaucraties rivales et jalouses.
Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir, non pas seulement pour aboutir à une véritable Europe fédérale, mais même simplement pour que les décisions prises soient appliquées. Le Conseil Européen formé des 15 chefs de gouvernements (1) comme les Conseils des ministres, statuent pourtant pour toutes les matières importantes, à l'unanimité. Or, il s'en faut de beaucoup, en dépit de la lourdeur des procédures, pour que les directives adoptées à l'unanimité entrent pleinement dans les faits.
Ceux qui en doutent devraient s'astreindre à une lecture comparative plus régulière à la fois du Journal Officiel de la république française et des déclarations européennes.
Quand l'Europe s'inquiète de la persistance du déficit allemand, du déficit français ou du déficit italien, les réactions sont un peu différentes. Le gouvernement français biaise et truque ses comptes. Le chancelier Schröder a une attitude inverse : il produit des déclarations un peu outrancières en direction de son opinion nationale mais il prend des mesures, etc.
Or, dans les premiers jours de mars, on a franchi une nouvelle étape dans l'écart entre la production législative et réglementaire hexagonale et l'effort déclaratoire de l'harmonisation européenne.
Il y a d'abord eu des déclarations, graves, sur la résistance aux règles européennes envisagées de la part de divers "opérateurs historiques" historiques, aussi bien EDF que Gaz de France, Air France que la SNCF.
Mais il y a plus grave et plus significatif.
Depuis 1992 on avait signé, juré, croix de bois, croix de fer, des directives abolissant en principe tous les monopoles d'assurances. En 1998, le commissaire européen Mario Monti en appelait même à ce qu'il désignait comme une "grève générationnelle", afin d'assurer une retraite décente aux jeunes Européens cotisant actuellement, et ceci par la mise en place d'une épargne concurrentielle. On commencerait par les régimes dits complémentaires.
Eh bien, au 4 mars 2002, 10 ans après les directives signées à l'unanimité en 1992, l'État français a promulgué une Loi de l'État créant un nouveau monopole de retraite complémentaire par répartition "au bénéfice", c'est-à-dire au détriment des 500 000 derniers exploitants agricoles de notre pays.
On est donc bien loin des illusoires espérances du début des années 1990. Il faudra peut-être encore 10 ans ou 20 ans pour que ces monopoles putrides disparaissent à tout jamais, et, en tout état de cause, ils ne disparaîtront pas spontanément.
De même, le 26 février, le sous-ministre Kouchner, accompagné du directeur des hôpitaux, et du président de la Fédération hospitalière de France signait à Londres un protocole bien révélateur avec le ministre de la Santé britannique M. Milburn. En cette occasion, Kouchner déclarait superbement "L'Europe de la santé est en marche". Car le Service national de santé britannique, créé en 1945, demeure un organisme purement étatique en dépit des efforts successifs de Mme Thatcher, de John Major et de Tony Blair. Conçu en 1942, sous l'influence soviétique (2) le tas de rouille irréformable du NHS continue sa dérive puante et chaque année apporte son nouveau lot de découvertes scandaleuses. En comparaison la médecine française vit le bonheur libéral : c'est dire. Et comme techniquement elle est encore très bonne, elle va sous-traiter les insuffisances de l'Angleterre dans ce domaine.
On devrait s'en féliciter et, surtout, sans vain cocorico, on devrait comprendre en France que nous sommes désormais confronté à un grand marché européen de la Santé. On rappellera à l'inverse d'ailleurs qu'à l'automne dernier pour pallier à la pénurie d'infirmières dans le système français, manque aggravé par l'inepte législation dite des "35 heures" on a commencé très officiellement à faire appel à des infirmières espagnoles.
Agissant sur un très vaste marché, ayant vocation à se déployer dans un contexte européen qui sera bientôt étendu à 27 pays, l'offre française de soins devrait être soustraite à toute velléité de planification : c'est l'évidence.
Eh bien cette évidence n'est pas accessible à nos bureaucrates.
Car le Journal Officiel de la république française en date du 5 mars 2002 page 4173 publiait un décret "portant création de l'Observatoire de la démographie des professions de santé et de l'évolution de leurs métiers", visant à faire "maîtriser" par les énarques et par les gens de Bercy ce que, manifestement, ils ne sauraient comprendre.
Manifestement l'État bureaucratique hexagonal a donc choisi de renforcer encore une politique d'étatisation de la médecine complétant le plan Juppé de 1995 et les ordonnances Barrot de 1996. On tient à tout prix à s'aligner, ici, sur cette Angleterre tant décriée (3). Or, le ratio de médecins français rapportés aux seuls habitants de la France tend déjà, dans le système actuel à diminuer de 2 % l'an. Les programmateurs de notre technocratie n'en ont cure : pour eux le médecin demeure l'ennemi fondamental de toute politique de maîtrise des dépenses puisqu'il apparaît comme l'ordonnateur de ces dépenses, et par conséquent le responsable du déficit des caisses.
Dans la sécurité sociale étatisée hexagonale, le programme de l'assurance maladie ne se préoccupe certainement pas de développer une offre de soins en fonction du marché européen de la santé, mais au contraire de restreindre les dépenses françaises.
L'ambition secrète du système serait d'aboutir à une médecine sans médecins, une pharmacie sans laboratoires et sans médicaments nouveaux, un hôpital sans chirurgiens ni infirmières.
Avec la bureaucratie hexagonale, "c'est possible" ! Il est donc véritablement urgent de se débarrasser de la bureaucratie hexagonale et des monopoles qu'elle protège.
JG Malliarakis
(1) Auxquels est ridiculement adjoint le seul chef de l'État français.
(2) C'est-à-dire au moment où Churchill avait fait entrer des travaillistes dans son cabinet de guerre (rappelons que le système français, remontant à 1941, est inspiré de celui créé par Bismarck).
(3) La perfide Albion est surtout décriée en France là où, en fait, elle nous donne des leçons.
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