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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

MARDI 12 MARS 2002

CE DUEL D'ÉNARQUES OCCULTE LA NÉCESSITÉ D'UNE ALTERNANCE VÉRITABLE

La bipolarisation politique française empêche désormais toute perspective de vrai changement économique et social

De nombreux signaux, les uns innocents les autres un peu trop médiatiques pour ne pas être suspects cherchent à nous rappeler, malgré notre tendance à l'indifférence que la France est en campagne électorale. À en croire les rumeurs et les gazettes il s'agirait d'élire un personnage appelé président de la république. L'article 7, modifié en 1962, de la constitution de 1958, prévoit que cette formalité s'accomplit au suffrage universel direct, comme dans toute république bananière qui se respecte.

Au fil des 40 années de cette pratique les règles s'en sont affinées. Destiné au départ à éliminer les candidats de fantaisie un mécanisme de parrainage de plus en plus contraignant et de plus en plus lourd a tendu à écarter aussi les opinions jugées, en haut lieu, déplaisantes ou incorrectes, y compris lorsqu'elles représentent 15 % voir 20 % des électeurs ou des contribuables.

À l'usage, le dispositif du second tour, réduit à deux compétiteurs, a cristallisé très rapidement un phénomène de bipolarisation. Cela est en totale contradiction avec la doctrine exprimée dans le discours fondateur prononcé par le général De Gaulle à Bayeux le 16 juin 1946, considéré comme base doctrinale de nos institutions (1).

Une autre évolution pratique se révèle contraire aux principes originels. Le président dépend de plus en plus de l'investiture d'un parti ; Aucun des candidats en lice en semble pratiquement plus autre chose que l'expression de sa propre organisation.

Mais une dernière dérive constitutionnelle interpelle plus particulièrement l'observateur du fait économique et social : depuis le scrutin de 1965, l'écart programmatique n'a pas cessé de se réduire entre les deux principaux protagonistes, duellistes du second tour.

Déjà en 1969, après avoir fait lui-même un "tabac" au 1er tour, le communiste Duclos pouvait à plus ou moins juste se désintéresser du 2nd, en renvoyant dos à dos le gaulliste Pompidou et le centriste Poher : "bonnet blanc et blanc bonnet". La réalité était qu'en 1965, face au général De Gaulle, il y a avait eu un débat d'idées très large, et qu'en 1969 le rapport de forces entre la gauche réformiste et la gauche marxiste était encore très favorable à cette dernière. De plus, à l'époque la divergence entre centristes et gaullistes était encore très forte. Puis, on a vu l'écart de resserrer lors des duels Giscard Mitterrand de 1974 et 1981, Mitterrand Chirac de 1988, Chirac Jospin de 1995, et enfin l'actuel "match retour" intervenant après 5 ans d'une cohabitation dont on fait sembler d'inventer un caractère conflictuel. Or, cette confrontation ne s'est guère manifestée depuis 1997, date de la formation du gouvernement le plus long et le plus immobile de toute l'histoire de la république en France.

Ces derniers jours les directeurs de la communication des deux campagnes, instrumentalisant de toutes petites phrases, laissant les journalistes faire mousser et forcer la signification de membres de phrases ("une certaine usure du pouvoir" devient une mise en cause de l'âge du président sortant), inventant des points de friction, dans l'espoir de "susciter l'intérêt" autour de propositions auxquelles personne ne croit, surtout pas ceux qui les mettent en avant.

Les médiats ont aussi beaucoup fait de gonflette aussi autour du 3 énarque de la campagne. On présente comme un terrible gêneur un homme de l'État, sans doute estimable, puisque son principal mérite est d'avoir su démissionner avec élégance. Au moins cette fois, dans cette fonction qui brigue mais qui ne semble guère devoir lui échoir, il n'aura pas à se donner cette peine, étant clairement distancé dans les sondages non seulement pas ses deux autres anciens condisciples mais même par un trouble-fête plus dérangeant pour l'idéologie dominante. Or, même Les Échos (11 septembre) se mettent de la partie en rangeant le 3 énarque dans la catégorie des "3 principaux candidats" : au nom de quoi ? Les autres candidats se prévalant d'un groupe parlementaire, y compris le candidat du parti communiste ne sont-ils pas porteurs de projets signifiants ?

Nous sommes, par exemple, en désaccord total avec l'idéologie du parti communiste. Mais nous n'en constatons qu'avec plus de regret que cette idéologie, contrairement à une illusion d'optique trop répandue, n'a pas reculé depuis 20 ans en France malgré ses échecs colossaux dans le reste du monde. En 1981, le candidat du parti communiste obtenait 15,3 % à l'élection présidentielle et les candidats du parti aux législatives dépassaient 16 %. Ces scores se sont certes divisés par 2 s'agissant de l'appareil stalinien proprement dit. Mais ils se sont largement transférés au profit de l'extrême gauche trotskiste (Laguiller, Besancenot, Gluckstein) : est-ce vraiment un progrès pour les défenseurs de la Liberté (2)

Il est donc parfaitement lâche de croire ou de faire comme si le marxisme et la technocratie, les deux piliers idéologiques de l'Ena, de l'école de la magistrature et des réseaux de journalistes étaient en recul dans ce malheureux pays.

Remarquons par exemple que, dans le discours de la pensée unique tout homme politique proposant de diminuer effectivement la pression sociale et fiscale française, – la plus élevée du monde industriel – ou de liquider les monopoles sera stigmatisé d'étiquettes infamantes telles que "populiste" ou "ultralibéral".

Tout est donc fait pour suggérer que l'idée de faire évoluer la France vers plus de liberté ne représenterait pas plus de 5 % des Français. Or, c'est bien cette idée qui constitue la véritable alternance par rapport à 66 ans de dirigisme et d'alourdissement du tribut social, inauguré par le Front populaire et poursuivi par Vichy et la Libération et à peine interrompus par les deux redressements lors des passages d'Antoine Pinay aux Finances en 1952 et 1958.

Faut-il rappeler, quand même, combien ces 66 années ont vu s'égrener de désastres et de reculs pour la France ?

JG Malliarakis

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(1) Celui qu'on allait appeler en 1958 pour refonder les institutions républicaines en péril concluait ainsi en 1946 : "Soyons assez lucides et assez forts pour nous donner et pour observer des règles qui tendent à nous rassembler quand, sans relâche, nous sommes portés à nous diviser contre nous-mêmes !" Or, sans ce mythe gaullien du "rassemblement", l'édifice de 1958-1962 perd tout fondement.

(2). Pendant le même temps d'ailleurs dans la sphère des idées est apparu le très pernicieux courant se réclamant de "l'anti-mondialisation" incarné par la Coordination paysanne du camarade Bové et le mouvement Attac du camarade Cassen. De tels courants comptent encore moins d'opposants dans la classe politique et dans les médiats que n'en comptaient les "comités Vietnam" en 1967, comités au sein desquels est apparu le mouvement de mai 1968.

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