Revenir à la page d'accueil ... Accéder à nos archives ... Pour accéder au Courrier précédent

COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

LUNDI 25 MARS 2002

EST-CE LA FIN OU LA RELANCE DU MULTILATÉRALISME ?

(À g.) Le président français en compagnie de Nelson Mandela (À dr.) Le président sénégalais Abdoulaye Wade… Est-ce la fin des" bons sentiments" ?

À Monterrey on a prétendu, du 18 mars au 22 mars, faire réfléchir, ou s'exprimer les représentants des quelque 195 États Membres de l'ONU sur le financement global du développement. Et le très vague "consensus de Monterray", préparé de longue date a encore de quoi nous laisser perplexe.

Car ce multilatéralisme onusien, à base de programmes d'assistanat économique "globalisé", n'est que le reflet des bons sentiments affichés par les hommes de l'État. Ainsi la première question que l'on doit se poser est, donc, celle de la réussite et de la pertinence de ces bons sentiments.

Avant même la fin du Bloc soviétique, certains nous annonçaient, au printemps 1990, l'apparition d'un Monde sans conflit. L'été suivant, Saddam Husseïn envahissait l'émirat de Koweït et il s'en suivit une crise qui est encore loin d'être résolue. Puis nous avons vu le développement d'une série de conflits nouveaux aux conséquences assez atroces, aussi bien dans l'Afrique des grands lacs que dans le Caucase, en passant par le Sud Est européen.

Depuis que l'on a inventé l'expression "processus de paix", que ce soit en Colombie ou au Proche-Orient, jamais les populations civiles n'ont été aussi clairement prises en otages, pour ne pas dire en sandwich, entre leurs "protecteurs" et leurs "libérateurs".

Le prophète pitre Fukuyama annonça la fin de l'Histoire vers 1997. Le bougre y croit encore. Mais on constate que l'Histoire persiste à recommencer toujours.

Comment donc s'étonner de voir combien les bons sentiments se trouvent une fois de plus ridiculisés par ce consensus de Monterrey, qui prétend les mettre en œuvre de manière "globale", tel une moderne et monstrueuse Tour de Babel.

De ce point de vue, en lisant les discours, de 5 à 6 minutes, prononcés par les différents protagonistes, on ne retirera certainement pas le sentiment d'une supériorité intellectuelle du Nord sur le Sud.

Si on compare par exemple les deux ou trois discours francophones les plus représentatifs, celui du Sénégalais Wade et celui du Corrézien Chirac, pour ne même pas parler du très ironique propos du Premier ministre belge M. Verhofstadt, c'est évidemment le compatriote et successeur de Léopold Sedar Senghor qui mérite le plus notre considération. C'est certainement lui qui fait le plus honneur à la pensée française et à la logique de Port Royal.

Citons substantiellement les 4 idées fortes énoncées par Abdoulaye Wade, président de la République du Sénégal.

1 idée forte : "L'aide ne saurait, à mon avis, qu'être un appoint à un système qui fonctionne déjà et non pas constituer l'essentiel qui fait fonctionner le système." (il reprend aussi la même idée en conclusion tant elle est, techniquement essentielle).

2 idée forte : "L'Afrique, paradoxalement, a voulu se développer par une voie qui n'a jamais fait ses preuves, car on ne connaît nulle part dans le monde, un pays qui se soit développé par l'aide et la dette. Cela signifie qu'il faut rechercher autre chose, qu'il faut faire preuve d'imagination."

3 idée forte : "Vouloir traiter tous les pays en voie développement avec les mêmes concepts et la même stratégie nous fait penser à un médecin qui voudrait guérir tous les malades de sa clinique avec le même médicament."

4 idée forte : "le développement de l'Afrique se fera par le secteur privé et pas autrement."

L'occident, qui s'autoculpabilise si facilement depuis 40 ans, devrait songer ici à faire repentance, pour n'avoir pas été capable de dire de telles choses pourtant évidentes, avec une telle force.

Si au contraire nous lisons le discours de "la France officielle", qui tient sur deux pages et demie, on n'y trouve rien de pareil. On remarque seulement un exceptionnel talent à parler pour ne rien dire, mais aussi à renouveler l'affirmation des éternels bons sentiments multilatéralistes. En 150 secondes le discours du représentant de la république française réussit le prodige de produire un maximum de vacuité et de lieux communs. La prouesse s'enrichit d'une opération de communication. Car l'orateur de Monterrey communique sans pudeur dans le cadre deux entretiens publiés respectivement dans l'International Herald Tribune (20 mars) et Libération (22 mars, texte daté, sur le site de l'Élysée, du "vendredi 23 mars").

Ce qui est non moins extraordinaire c'est un autre renversement des rôles : un pays comme la France s'acharne à défendre, contre son intérêt, le multilatéralisme onusien. Or, une telle pratique va non seulement contre la souveraineté résiduelle de l'État républicain français mais également contre l'indépendance de l'Europe dans son ensemble.

Ce qui est extraordinaire en effet c'est que le multilatéralisme, les programmes onusiens, le prétendu "globalisme", tout cela dérive de concepts issus du monde anglo-américain, mais ce sont des conceptions que les États-Unis ne s'appliquent pratiquement jamais à eux-mêmes.

Nous devrions connaître le schéma depuis le traité de Versailles. En 1917, l'Amérique wilsonienne, dernière arrivée dans le conflit, sauve effectivement de la défaite les alliés occidentaux très mal en point après la défection consécutive à la Révolution bolchevique en Russie et au traité de Brest-Litovsk. Financière de la Victoire, l'Amérique wilsonienne en dicte les conditions qui se retrouvent dans le traité de Versailles et donne naissance à la Société Des Nations. Mais la victoire électorale des républicains fit que l'Amérique refusa opportunément d'adhérer à la Société Des Nations qu'elle avait inventée.

Le schéma n'a évolué que très légèrement (1).

Pendant sa campagne, George Walker Bush avait promis au congrès des Anciens combattants américains de Milwaukee (22 août 2000) que son pays n'entreprendrait "plus jamais de guerre invoquant les Droits de l'Homme". (2)

Seulement il faut être logique. Si l'Amérique s'écarte du multilatéralisme, et George Bush est exactement en train de le faire au Pérou, en Argentine, et dans les petits pays d'Amérique centrale (3), alors pourquoi la France, par la voix de son actuel président ou par toute autre, continuerait-elle à s'opposer à la pensée nouvelle qui s'affirme aujourd'hui par la voix du président du Sénégal, et qui se concrétisera en partie au mois d'avril lors de la conférence de Dakar (4).

Est-il permis d'insister lourdement sur le fait que la nouvelle doctrine africaine est conforme aux intérêts de l'Europe. Ce sont, en effet, les anciennes politiques "mutilatérales", multidirigistes, multiprotectionnistes, subventionnant les dictatures étatistes qui, conduisant l'Afrique à une paupérisation irrémédiable et croissante, entravant la naissance d'un secteur privé africain, ont chassé et chassent encore les populations de l'Afrique et Maghreb vers les pays du Nord, et plus précisément vers ceux de l'Europe occidentale, à la recherche de leurs systèmes d'assistanat.

JG Malliarakis

(1) Depuis l'influence de National Review dans les années 1950, c'est-à-dire depuis l'apparition du "conservatisme" américain, devenu majoritaire chez les Républicains, ceux-ci assument en général les responsabilités mondiales des États-Unis. L'isolationnisme et le protectionnisme d'un Pat Buchanan, lui-même candidat malheureux du Parti de la Réforme en novembre 2000, ont été explicitement répudiés du Parti Républicain et des rangs conservateurs.

(2) Venant après les guerres du Golfe en 1991 ou du Kossovo en 1999 comment les anciens combattants américains n'auraient pas applaudi ?

(3) La veille du discours de GW Bush à Monterrey le New York Times, journal phare du "globalisme" et du "multilatéralisme" américains accordait même plus d'importances aux relations bilatérales entre les États-Unis et le Mexique qu'à la fameuse conférence.

(4) Du 15 au 17 avril sur le thème partenariat avec le secteur privé pour le financement du NEPAD, Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique, qui se prolongera en juin par une rencontre avec le G8.

... Pour accéder au Courrier précédent