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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
VENDREDI 29 MARS 2002
MORT ET RÉSURRECTION DES ASSASSINS UTOPISTES ET COMMUNISTES
Sergio Cofferati chef des cégétistes italiens, surnommé "le Chinois":
"Il faut défendre l'article 18 et les droits du Travailleur.
C'est comme une digue, si elle cède, nous sommes tous engloutis."
Nous essaierons d'être bon princes en ce jour messianique du Serviteur souffrant (1). Admettons sans doute que l'assassin de Nanterre n'était qu'un pauvre fou. Sa qualité de militant de gauche, trésorier local de la Ligue des Droits de l'Homme, d'ancien volontaire "humanitaire kossovard", d'assesseur électoral régulier pour le compte des Verts, et d'ancien adhérent du parti socialiste, crédibilise à l'évidence la thèse de la démence. Impensable l'idée que ce malheureux ait eu un geste de révolte et de dégoût devant le spectacle donné par les politiciens.
Restons donc dans le flou, l'absurde, le sanglant, l'accidentel, le sacrificiel. La radio d'État France Inter (en boucle les 27 et 28 mars) résumait joliment l'analyse unique de ce drame, comme s'il était acquis que les seules victimes présentables étaient les victimes de gauche : "8 morts dont 4 communistes et 1 vert". Certains sont plus morts que d'autres. C'est bien connu. Les 3 conseillers municipaux de droite, eux aussi abattus dans cette tuerie, cela ne compte pas. Nous sommes ici au cur de ce qui fut la banlieue rouge et dont les technocrates ont fait la préfecture du Département des Hauts-de-Seine. Soyons heureux et soulagés seulement de ce que ce fou n'a jamais eu l'idée de fréquenter la droite. On imagine le scénario et les commentaires s'il eût été militant lepéniste, ou même sympathisant d'Alain Madelin, ou seulement amant imaginaire éconduit de la baronne Thatcher. Nous l'avons échappé belle ! On aurait encore crié aux méfaits de l'ultralibéralisme.
Car la règle du jeu l'impose. Tout le mal, nous dit-on, viendrait en Europe de la déréglementation sauvage, cette déréglementation des ventes d'armes qui en retire le monopole de détention aux voyous patentés, mais aussi celle qui dénature le courant électrique au péril des appareils électroménagers, et de l'emploi chez Moulinex, cette déréglementation qui fait exploser les avions en vol, celle qui fait dérailler les trains, cette déréglementation qui fait déposer le bilan des caisses retraites, dès lors que tout cela n'est plus "garanti par l'État".
Il était naturel qu'en France, patrie des Droits de l'Homme (2), on glisse très vite sur la mort, à Bologne, d'un universitaire assassiné sur sa bicyclette le 19 mars. Dès le 23 mars, en effet, on "informait" les Français que les manifestants de gauche, protestant in extremis contre le terrorisme, démontraient l'innocence de leur camp dans ce meurtre lâche et abject. Par définition un universitaire sur sa bicyclette cela ne peut être qu'un homme de gauche et ceux qui l'ont tué ne peuvent être que des gens de droite, et, vu leurs méthodes, des gens d'extrême droite.
Dans nos archives
Eh bien non. Dès le 20 mars, les Brigades Rouges du prétendu "parti communiste combattant", revendiquaient l'assassinat (3). Leur manifeste compte 28 pages illisibles et incompréhensibles, où il n'est fait référence qu'à "l'impérialisme" et pèse 140 grammes de tirage sur une imprimante ordinaire. Même en italien, la dialectique en est claire comme du jus de réglisse visqueux.
Mais l'idée peut se résumer ainsi : il fallait que Marco Biagi meure parce qu'il était le pivot intellectuel d'une politique très efficace de retour à l'emploi des chômeurs italiens.
Comme Stolypine en 1911 devait être abattu puisque, rendant les paysans russes propriétaires de la terre, il bouchait l'horizon radieux de la révolution bolchevique, Biagi, du fait de sa réforme du statut des travailleurs italiens, méritait évidemment la mort
Il nous semble donc important de rappeler les grands traits de cette politique.
Avant même de pouvoir réformer en profondeur le Code du Travail italien, le ministre du Travail libéral et fédéraliste Roberto Maroni, au nom du gouvernement Berlusconi investi en juin 2001, avait entamé un virage grâce auquel les petites et moyennes entreprises italiennes ont pu embaucher, en dépit de la conjoncture, 400 000 employés supplémentaires.
Dans le même temps l'emploi dans les grands groupes reculait de 29 000 postes de travail, dont 19 000 du fait des compressions de personnels dans les services autrefois monopolistes du gaz, de l'eau ou de l'électricité. Ceci aboutissait à un gain net de 371 000 emplois dans l'économie italienne, et à un recul du taux de chômage de 9,9 % à 9,1 %. (4)
C'est bien cela que les appareils bureaucratiques des centrales syndicales trouvent intolérable, en France aussi bien qu'en Italie. Il leur faut à tout prix s'attacher à la conservation statutaire et à l'État-Providence le plus archaïque.
En Italie, un des piliers du système est constitué par l'article 18 du Statut des travailleurs remontant non pas à 1935 ou à 1945, comme on pourrait l'imaginer, mais à 1970, c'est-à-dire à une époque où le modèle dominant était la grande entreprise. Cet article protège judiciairement l'emploi, dans un pays où la magistrature est noyautée par les anciens communistes.
Réformer l'article 18 était un des grands dossiers du professeur Biagi, à une époque où, comme les chiffres l'attestent, l'avenir de l'emploi réside dans les petites unités de production. Le nouvel article 18 ne s'appliquerait pas au-dessous de 15 salariés. C'est exactement pour cela qu'on l'a tué.
Aujourd'hui, le frère de Berlinguer, qui fut le grand dirigeant historique du parti communiste italien après Togliatti peut déclarer, (5) que "l'espoir est revenu après une période de découragement."
Ce découragement des uns s'exprime en termes d'angoisse conservatrice apocalyptique pour les autres. Le camarade Cofferati fait ainsi cette déclaration bien caractéristique : "Il faut défendre l'article 18 et les droits du travailleur. C'est comme une digue, si elle cède, nous sommes tous engloutis." (6) Cofferati est le secrétaire général de la CGIL, sigle qui veut dire exactement Confédération générale italienne du travail, et qui n'a jamais cessé d'être l'exacte homologue de notre CGT.
Comme on le voit, le camarade Cofferati ne se préoccupe pas de donner du travail aux chômeurs, qui sont encore plus de 2 millions. Et pourtant, on doit mesurer qu'en Italie, les 2/3 de ces chômeurs se situent dans le Mezzogiorno : exactement 1,4 million sur un effectif total de 2,1 millions de chômeurs dans l'ensemble du pays. Ceci donne aussi les limites du "jacobinisme social" dont la réforme Biagi fait également litière. Le nouvel article 18 ne s'appliquerait pas dans les provinces méridionales.
Si les cégétistes des deux côtés des Alpes défendent ainsi bec et ongle l'héritage d'une législation archaïque, et le primat des grands monopoles étatistes, ce n'est pas par pure bêtise, fût-elle combinée d'une indiscutable méchanceté. L'alliage porte à la fois sur l'intérêt matériel de l'implantation et de la mainmise sur les comités d'entreprises de ces grosses structures et sur le modèle étatiste dérivé à la fois du marxisme le plus indécrottable et d'une l'empreinte planificatrice stalinienne indélébile.
C'est très exactement au nom de tout cela que les Brigades Rouges du "parti communiste combattant" frappent. Il existe donc une évidente parenté dialectique entre les crimes des organisations clandestines et les rigidités des bureaucraties syndicales. Depuis l'apparition des Brigades Rouges en 1974, qui ont commencé à s'en prendre aux ouvriers de la droite nationale italienne, puis qui se sont rendues coupables de l'assassinat d'Aldo Moro en 1978, le mécanisme ne s'est jamais démenti. À partir des années 1980 (7), le "communisme armé" a reculé en Italie. Des figures historiques comme Tony Negri ou Renato Curcio ont laissé la place à d'autres successeurs et exécuteurs de l'ombre, en même temps que le parti communiste vitrine légale faisait lui-même sa mue. Mais la dialectique est restée la même, de plus en plus archaïque et singulièrement révoltée, maintenant, contre l'évolution du monde, qui leur échappe.
Faute de pouvoir s'en prendre à des politiciens de premier plan, ils frappent des économistes, mais comme ils disent "l'espoir est revenu".
Peut-on exprimer l'idée que notre espoir d'hommes libres est de les voir rejetés par la conscience des peuples ?
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(1) Nous écrivons ces lignes le jour du Vendredi Saint de l'actuel comput ecclésiastique romain.
(2) Singulière patrie puisque par ailleurs, ces Droits de l'Homme ne connaissent pas de frontières.
(3) Par un coup de téléphone de signature au Resto del Carlino, organe "historique" de la gauche de Bologne et par un texte expliquant leur geste sur Internet diffusé par une agence de communication locale de Caserta
(Adresse du site www.caserta24ore.it
L'adresse électronique du document archivé par l'agence est :
http://digilander.iol.it/caserta24ore/news/mar02/21-03-br.htm
Nous adresserons au besoin ce document à ceux de nos abonnés qui aurait des difficultés pour l'obtenir directement à l'adresse en lien)
(4) Rappelons que, de la sorte, l'Italie est en train de dépasser la France malgré le handicap des provinces du Sud de la Péninsule. Le taux de chômage français était en février 2002 de 9 %.
(5) Sans doute en se félicitant de la montée des courants dits d'anti-mondialisation, car il n'ose explicitement applaudir à l'assassinat. Les staliniens italiens sont plus subtils que les nôtres.
(6) Cité complaisamment par Le Monde du 22 mars.
(7) Cette période vit aussi la stabilisation de la vie politique avec les gouvernements Cossiga (août 1979 septembre 1980), puis Spadolini (juin 1981 novembre 1982) et surtout Craxi (août 1983 mars 1987) Cette coïncidence n'est nullement fortuite. En 1994, malgré sa victoire électorale, le gouvernement Berlusconi n'avait duré que 226 jours. Sans doute les inspirateurs de l'assassinat imaginaient-ils faire, à nouveau, voler en éclat la Maison des Libertés victorieuse des élections du printemps 2001.
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