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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

LUNDI 8 AVRIL 2002

RÉTABLIR LE POUVOIR LÉGISLATIF ET LE VOTE DE L'IMPÔT

Michel Debré, rédacteur de l'actuelle Constitution, rêvait-il des habits neufs de la monarchie  ?

Il n'a engendré qu'une guenille de république.

Considérant les prochains comices présidentiels qui se tiendront en France ces 21 avril et 5 mai, on ne peut pas se contenter d'observer passivement la faiblesse dans les sondages des deux candidats officiels, l'un chef de l'État, l'autre chef du Gouvernement.

Certains sondages sont même, à 40 %, plus alarmistes pour la somme Chirac-Jospin que ne l'avaient été ceux des Fêtes de Pâques à partir desquels nous considérions comme des "Sondages de Basses eaux" une prévision de 41,5 %. Cela peut donc encore descendre…

En réalité, cela semble correspondre à une tendance observable depuis plus de 30 ans qu'existe en France l'élection du chef de l'État au suffrage universel.

Voici en effet ce qu'obtenaient au 1er tour les protagonistes du 2nd tour :

En 1965 De Gaulle + Mitterrand 76 % des exprimés 64 % des inscrits

En 1981 Mitterrand + Giscard, 54 % des exprimés 43 % des inscrits

En 1995 Chirac + Jospin 44 % des exprimés 34 % des inscrits

Sur 30 ans il y aura donc eu une baisse de 30 points du pourcentage d'intérêt aussi bien chez les électeurs inscrits que relativement aux suffrages exprimés.

On peut donc reconnaître ici tendanciellement une crise de la Constitution de 1958 au travers de l'effondrement de ce que l'on a considéré comme la clef de voûte du système, parachevé par la réforme référendaire du 28 octobre 1962, acquise par seulement 13 millions de votes positifs contre 8 millions de non et 6 millions d'abstentions.

D'emblée cette loi constitutionnelle n° 62-1 292 du 6 novembre 1962 avait quelque chose de paradoxal. Elle prétendait instituer enfin "l'accord entre l'État et le peuple dans ses profondeurs". La doctrine gaullienne constante en avait été maintes fois formulée depuis le discours de Bayeux du 16 juin 1946, considéré comme fondateur. Or, en fait "d'accord profond" elle n'obtenait elle-même que celui de 47 % des électeurs inscrits.

Cette nouvelle et décisive rédaction de l'article 7, en instituant l'élection du président de la république au suffrage universel direct, ne faisait qu'accentuer les diverses contradictions d'une loi fondamentale rédigée à la hâte pendant l'été 1958 sous l'influence dominante de Michel Debré, esprit brillant certes mais fiévreux (1) Pour faire court, disons que l'esprit de cette constitution, de rédaction très proche des textes alors en vigueur dans différents pays d'Amérique latine, ressemble fort à celui d'une dictature romaine transitoire, destinée seulement à assurer une formule de salut public pendant quelques années.

On s'est cependant installé dans le costume mal taillé de cette loi constitutionnelle passagère et bancale. On s'est habitué à cette élection plébiscitaire, laquelle accentue par son mécanisme de second tour, de conception dramatique, une bipolarisation personnalisée. Ses défauts criards sont devenus les haillons d'une guenille de république, là où son rédacteur imaginait peut-être un habit neuf de la monarchie…

À partir de 1985, sous l'influence d'Édouard Balladur, M. Chirac (2), soutenu pour la circonstance par M. Giscard d'Estaing (3), se rallia à l'idée totalement funeste puis, en 1986-1988 à la pratique de la cohabitation.

Celle-ci a rajouté encore un handicap supplémentaire à la viabilité de la 5 république, et même elle porte de plus en plus atteinte à la crédibilité de la France. (On l'a encore vu lors du Conseil européen de Barcelone le 16 mars cf. 18.3 Les Deux Dupondt à Barcelone)

La France est le seul pays européen affligé d'une telle incertitude.

Mais l'on doit aussi admettre que, de toutes manières, cohabitation ou pas, quinquennat ou pas, la tare congénitale du système actuel réside dans la combinaison de facteurs imaginés dès le texte de 1958, aggravés par la réforme de 1962 instaurant l'élection présidentielle au suffrage universel.

Pour nous en tenir à la forme actuelle du document constitutionnel, tant de fois révisé, ce qui l'a toujours caractérisé, et ce qui le caractérise encore, c'est tout simplement la confusion des pouvoirs entre les mains d'un très puissant pouvoir exécutif.

Or, toute vraie démocratie suppose, à la fois, la séparation des pouvoirs avec un très fort pouvoir législatif . C'est ce pouvoir qui inclut le vote de l'impôt (4).

Ne parlons même pas en France d'un pouvoir judiciaire. Le Titre VIII de la Constitution, — les articles 64 et suivants, — ne prévoit qu'une "autorité judiciaire" dont le président de la république est supposé "garant", certes de son "indépendance", et où l'alinéa 4 de l'article 64 prévoit que "les magistrats du siège sont inamovibles". La belle affaire puisqu'ils ne sont que des fonctionnaires de l'État, nommés et rémunérés par le pouvoir exécutif ! Leurs velléités syndicales, et même leurs coalitions bien réelles, s'apparentent sur ce point à celles du corps enseignant. Elles n'ont pas grand-chose à voir avec la démocratie et avec les préoccupations des usagers de leurs administrations.

Quant au pouvoir législatif, dans ce système, tout a été fait pour l'abaisser, l'encadrer, le restreindre et le contraindre.

Les articles 34 et 37 définissent, l'un de manière restrictive le domaine de la Loi, l'autre de manière extensive celui du Règlement.

Le Titre V organise les rapports entre le gouvernement et le parlement. Il l'organise mal. Et ceci pour les circonstances les plus tragiques : l'article 35 affirme que "la déclaration de guerre est autorisée par le parlement". Peut-il s'y opposer ? L'article 36 dispose : "L'état de siège est décrété en Conseil des ministres. Sa prorogation au-delà de 12 jours ne peut être autorisée que par le parlement". Qu'en serait-il de son renouvellement au 13 jour ? En connaisseur, Bonaparte ne disait-il pas "une constitution doit être courte mais obscure" ?

Plus civilement, la dérive a permis au Conseil constitutionnel (Titre VII) de s'ériger librement et arbitrairement en censeur de la conformité des lois à l'esprit de la Constitution sur la base de documents vagues et discutables tel le sinistre Préambule de la Constitution de 1946.

Le travail parlementaire est strictement limité par toutes sortes d'entraves, dont la moindre n'est pas celle de l'article 40 interdisant aux parlementaires, et à eux seuls, de prendre l'initiative de mesures "dépensières" (mais elles le sont toutes !) sans contrepartie fiscale, ceci sans parler de la fameuse "constitution financière de l'État", résultant d'une loi organique de 1959, qu'on ne parvient pas à réformer.

En revanche le consentement de l'impôt par les contribuables, principe juridique qui existait déjà à la base des États Généraux de l'ancienne monarchie, (5) pas plus que celui du consentement des assujettis aux régimes de sécurité sociale ne se trouve ni organisés ni même reconnus par notre 5 république.

Mais le titre le plus obscur, le plus mal rédigé, le plus indigent aussi, est celui qui traite du Gouvernement. Ce Titre III n'englobe que les articles 20 à 23. Il ne comporte que quelques lignes courtes et contradictoires par rapport aux dispositions amples et pompeuses du Titre II, qui le précède et traite du président de la république, au gré des articles 5 à 19 : 16 articles contre 4 alors que l'article 20 affirme que "le gouvernement conduit la politique de la nation".

Venant après une campagne présidentielle largement marquée par une grave indifférence jusqu'à ce jour, on doit espérer et même on devrait exiger, que la campagne législative de mai-juin soit le point de départ d'un rétablissement des droits du parlement, de son pouvoir législatif incluant le vote véritable de l'impôt. Il en résultera une meilleure force au gouvernement qui en sera issu, et une plus grande qualité de notre vie publique démocratique.

JG Malliarakis

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(1) Mystique du gaullisme, fondateur de l'École nationale d'administration en 1945, militant déchiré de l'Algérie française, Michel Debré avait conçu un cadre institutionnel exclusivement en fonction du général De Gaulle ; la chose est certaine. Elle s'explique, peut-être, par l'idée d'une restauration monarchique au profit des princes d'Orléans. On rappellera au besoin que, maire d'Amboise, Michel Debré avait la réputation (en fait totalement usurpée) d'être un sympathisant du comte de Paris.

(2) Dont M. Balladur n'était alors que le fidèle "ami de 20 ans".

(3) Seul Raymond Barre eut le courage, alors, de dénoncer cette dérive.

(4) Le système britannique ne fait pas exception, où la force considérable du Premier ministre, presque paradoxale, s'appuie sur un parlementarisme lui même très fort et très vivant : "le parlement de Westminster peut tout faire excepté de transformer un homme en femme". Idem, sous des formes très différentes dans la pratique du système américain où le président ne peut pratiquement rien sans la coopération du Congrès. Rappelons à ce sujet que le pouvoir législatif anglo-saxon est étroitement lié à l'émergence du pouvoir budgétaire très fort des assemblées.

(5) Et c'est bien ce principe qui se trouve à l'origine du pouvoir et de la légitimité de toutes les assemblées parlementaires, notamment ceux du parlement britannique.

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