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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
JEUDI 11 AVRIL 2002
SI VOUS VOULEZ DÉCENTRALISER SUPPRIMEZ DONC LE DÉPARTEMENT
Le 10 avril à Rouen, M. Chirac s'est prononcé pour "une importante révision de la Constitution"
Dans le flot des nouvelles et déclarations de la campagne présidentielle on apprenait par l'AFP ce 10 mars qu'après M. Jospin en Corse, M. Chirac en Normandie s'est prononcé pour la décentralisation. Il critique sans doute pour la circonstance ce qu'il considère comme "l'entêtement, l'improvisation et l'irresponsabilité" de ses adversaires socialistes, Mais, président sortant, M. Chirac se prononce aujourd'hui pour "une importante révision de la Constitution", avec référendum à la clé. Ce n'est pas rien. Le président de l'Assemblée de Corse, M. José Rossi, applaudit, demandant que cela soit fait "dès le tout début du quinquennat".
La réaction de M. Sapin, ministre de la Fonction publique est que M. Chirac ne fait que "puiser à pleines brassées son inspiration dans le projet de Lionel Jospin". Cela est significatif.
Décentralisation cosmétique ou réforme régionale revivifiante ?
On peut donc dire que sur ce point, superficiellement, la classe politique est généralement d'accord pour une décentralisation cosmétique. On doute, en revanche, que l'établissement soit résolu à entreprendre la nécessaire réforme régionale revivifiante. Et cette réforme passerait d'abord par la suppression du département.
Ce n'est pas par hasard, par exemple, que les finances départementales se sont engouffrées dans la voie sans issue du financement public de la Dépendance et de la gestion du 4e âge (cf. notre bulletin du 10 avril).
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Le vrai couronnement de l'édifice jacobin le plus indécrottable c'est l'élection du président intéresse cependant de moins en moins les français ; et, si à 10 jours du 1er tour, les bruits, les chiffres et les rêves les plus contradictoires se propagent autour du résultat, il est à peu près certain désormais que la France ne pourra pas faire demain l'économie d'une réforme régionale dont pratiquement aucun programme ne semble se préoccuper (1).
Plus de deux siècles après son invention artificielle et à sa création volontariste en 1791, la circonscription territoriale du département aurait dû tout simplement disparaître. Cela commençait déjà à être visible dès la très prudente réforme Chaban-Delmas de 1972. Cela est encore plus clair depuis 20 ans avec l'entrée en vigueur des Lois de Décentralisation de Gaston Defferre de 1982 et 1983.
Disparaissant en tant que collectivité territoriale, lieu de Pouvoir et de Budget, le département cesserait de prélever abusivement sur la matière imposable créée par les Français productifs. Ne perdons jamais de vue que ces superpositions de structures, stériles donnant lieu à de nombreux gaspillages et à d'innombrables sinécures. Le conseil général, s'ajoutant au conseil régional, les élections respectives se chevauchant, les hôtels de départements s'additionnant aux hôtels de régions, avec leurs huissiers, leurs coûts d'entretien, etc.
D'autres circonscriptions territoriales ont disparu par exemple l'arrondissement et le canton
Après tout l'arrondissement était une des plus anciennes subdivisions territoriales de notre pays. Il correspondait grossièrement aux bailliages et sénéchaussées de l'Ancien régime, eux mêmes continuateurs immémoriaux du pagus gallo-romain et même des tribus gauloises. Après avoir porté le nom de "district" (loi du 22 décembre 1789) et disposé d'importantes prérogatives pendant la période "fédéraliste" de la révolution, cette circonscription, supprimée par la terreur jacobine, avait été rétablie sous le Consulat par la loi du 28 pluviôse an VIII. Plus tard, elle servit de base à la représentation parlementaire pendant presque toute la durée de la 3e république. Le coup fatal ne lui fut porté que par la suppression des conseils d'arrondissement du fait du régime de l'État français en 1940. En dépit d'une telle histoire glorieuse à laquelle n'avait pu mettre un point presque final qu'un pouvoir couramment tenu pour illégitime, l'arrondissement n'existe pratiquement plus. Il ne survit, mélancoliquement, qu'en la personne de son symbolique sous-préfet ou de sa charmante parèdre la sous-préfète, l'un comme l'autre cantonné dans de poétiques et paisibles sous-préfectures ; et personne ne crie au scandale.
Idem pour le canton. Celui-ci pourrait avantageusement, se substituer à la commune rurale, désertée de toute activité villageoise spécifique, simplement du fait de l'automobile. Tout le monde accepte sans broncher que le canton soit seulement la circonscription électorale des élections dites générales (2).
Il serait logique de précipiter l'évolution du département vers une destinée comparable. Il ne servirait plus qu'à l'énigme d'un code postal qui deviendrait indéchiffrable pour le commun des mortels et il survivrait dans les calembours géographiques (3).
En effet, il est généralement admis qu'un État de type européen normalement constitué, peut se contenter de 3 (et pas 4) niveaux de collectivités pour des raisons fonctionnelles :
- La Municipalité,
- La Région
- Et enfin l'État national persistant à se reconnaître dans son équipe de podosphère, son hymne révolutionnaire et sa compagnie ferroviaire subventionnée.
Certes un pays comme la Belgique a imaginé d'y ajouter des communautés linguistiques permettant une vie parlementaire à 5 étages. Ce n'est pas le modèle de survie de l'État-Nation (4).
La France n'en est pas encore là. Simplement, aucun de ses dirigeants n'a eu le courage de trancher entre l'inutile survivance départementale et la nécessaire virtualité régionale. On en arrive ainsi à une répartition aberrante de fonctions, à l'une le social, à l'autre l'économique, au premier la vieillesse et les hospices, à la seconde la jeunesse et les écoles Tout ceci paralyse presque définitivement l'hypothèse que soit enfin parachevée la réforme des circonscriptions administratives qui avait vocation à donner naissance à de véritables régions françaises
(1) Nous ne devons pas confondre ici la question de la Régionalisation vivifiante du cadre français avec le projet pas nécessairement contradictoire d'une Europe fédérale.
(2) Rappelons que, curieusement dénommées, ces élections désignent les assemblées départementales ou "conseils généraux"
(3) De ces ingénieuses petites trouvailles certaines familles persistent à se gargariser, se disputant seulement la paternité entre la tribu bourgeoisie parisienne de droite des Cochin et la dynastie intellectuelle périgourdine de gauche de Reclus. "Ainsi la France entière fut mise en calembours".
(4) l'État-Nation est apparu au xvie siècle, dans presque toute l'Europe y compris dans les Pays-Bas espagnols, demeurés catholiques et devenus, pendant la guerre de Trente ans "Pays-Bas belges", "Pays-Bas autrichiens," opposés aux "Provinces unies" néerlandaises et protestantes etc. ceci sur la base du cujus regio ejus religio (paix d'Augsbourg de 1555). C'est à la même époque, d'ailleurs que la Turquie ottomane et la Perse séfévide imaginent respectivement de s'affirmer l'une comme "sunnite" l'autre comme "chiite" Il est historiquement probable que cet "État-Nation" vit ses dernières décennies en Europe et probablement dans l'orient islamique. Mais cette hypothèse n'enlève rien au fait que les niveaux de "collectivités territoriales" ne doivent pas être inutilement multipliés, comme on a tendance à le faire actuellement en France, en refusant de trancher entre municipalité d'agglomération et anciennes communes urbaines, en créant des "pays", et autre ferments d'anarchie et de corruption.