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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
VENDREDI 12 AVRIL 2002
PLAIE DU COMMUNAUTARISME EN FRANCE
En 1905 la Loi a séparé les Églises et l'État.
Depuis 1901 la Loi proclame aussi que l'association est libre en France : elle ne saurait donc être obligatoire
Tel que nous le recevons, quotidiennement "médiatisé", le conflit du Proche Orient est affreux. Il n'entre cependant pas dans le cadre de cette chronique de "prendre parti". Un proverbe (1), dit d'ailleurs : "la douleur étrangère est un rêve".
Le cauchemar, et nous le faisons tous, serait que ce rêve s'exporte comme une guerre fraîche et joyeuse sur le sol européen. Et, s'agissant de la France, la voie d'accès idéale semble bien être tracée par le communautarisme.
Le communautarisme est une plaie. Nous devons éviter que cette plaie ne devienne purulente et qu'elle soit le foyer d'une gangrène. Peut-être est-ce trop tard, peut-être sommes nous au contraire à la veille d'une prise de conscience. Je préfère investir ce qui me reste d'optimisme dans cette seconde hypothèse.
Tout d'abord on a le devoir de reconnaître aux familles spirituelles le droit légitime de s'assembler pacifiquement et de s'associer librement, c'est-à-dire pourvu que les individus demeurent libres de leurs allégeances et non prédéterminés. Sous le nom barbare de communautarisme en effet se dissimule un très ancien phénomène, caractéristique des âges les plus archaïques que l'on nomme plus légitimement le tribalisme.
Dans le prologue de sa lumineuse Histoire de l'empire espagnol d'Amérique Salvador de Madariaga (2) écrit ainsi : "L'Histoire naît en général de motifs compliqués qui gravitent autour de l'un ou l'autre de deux grands motifs : l'amour de la tribu et l'amour de la vérité". (3)
"L'amour de la tribu" a déserté depuis longtemps, la référence à une histoire de France écrite à la Michelet. Mais il s'est réinvesti sous une forme encore plus perverse dans de petites tribus.
Nous n'avons certes de ce point de vue le droit légal de boxer en France seulement avec une main dans le dos. Prenons cependant un seul exemple : celui du discours revendicatif et révolté de la jeune génération issue de l'immigration que l'on entendait couramment en France parler il y a 10 ans comme si la prospérité de la France devait tout à "l'exploitation" du travail immigré. Ce discours est devenu mémoire accusatrice.
Avec ce discours, et il en existe d'autres, répondant aux mêmes besoins, on peut tout se permettre. Allons au cinéma, allons voir n'importe lequel de ces films crachant en France, librement et impunément, sur la France, sur les Français, sur les Françaises, et surtout sur les Franchouillards. Mesurons-les à ce même mètre étalon économique ; mesurez aussi ce que l'on dit sur le "colonialisme" et en particulier sur la guerre d'Algérie. Mesurons financièrement combien cet État, perpétuellement assailli par des besoins d'argent que l'incurie de ses dirigeants "socialistes" a développée, peut rechercher, à partir d'une telle propagande, en l'organisant à partir de "communautés" revendiquant la double allégeance (4).
Les communautés, quelle qu'elles soient, ne sont pas seulement irrecevables du fait qu'elles utilisent le droit, déjà contestable, à la double citoyenneté ; elles sont aussi, ou plutôt elles le sont d'abord par le chantage qu'elles exercent sur les individus en les incorporant de force. Les "grands frères" de nos cités, ravagées par l'assistanat et l'argent de la drogue, ne détiennent leur ascendant sur les "petits frères" que du fait de ce mécanisme tribal et mafieux.
M. Jospin a ainsi osé faire référence à ce qu'il appelle la "communauté arabo-musulmane en France". On ne saurait accepter un tel concept extrême. Il ne saurait en effet exister en France de "communauté arabo-musulmane, qui fondée sur le droit coranique (par définition puisqu'elle serait "musulmane") engloberait, contre leur gré, des individus sur la base de leur origine.
Il serait outrecuidant et pourrait paraître "décalé" de noter que le centenaire de la Loi de 1901 a marqué l'occasion manquée. Peu nombreux ont été ceux-ci qui osèrent dénoncer les carences de cette loi. On rappellera par exemple, que es Alsaciens et les Mosellans n'en veulent pas, car ils préfèrent de beaucoup la législation allemande, qui donne une bien meilleure signification à la liberté d'association.
Pour résumer disons que le défaut fondamental de 1901, loi visant alors principalement en France l'organisation du catholicisme, ses congrégations et ses diocèses, c'est de combiner le laxisme associatif à l'arbitraire administratif. L'État et l'Administration se trouvent investies par certaines associations qui s'autocongratulent et s'autosubventionnent. Et cela touche tout le système français, les partis politiques, les mutuelles affairistes, les centrales syndicales, les ligues de vertu républicaine, pour en arriver, à la fin du cycle, aux communautés forcées.
Il est donc sans doute compréhensible de s'alarmer de ce qui se passe au Proche Orient (5).
Mais il est prioritaire de réformer ce qu'y doit l'être en France, maillon faible de l'Europe, d'y défendre les droits de l'individu et de la délivrer de la plaie du communautarisme.
(1) Proverbe grec ou proverbe turc ? Est-ce important ?
(2) Dans son "Essor et Déclin de l'empire espagnol d'Amérique" (1953 réédité en 1986 chez Albin Michel)
(3) Et il ajoute quelques lignes plus loin "C'est l'amour de la tribu qui imposa à l'Angleterre, à la France et à la Hollande la nécessité de noircir l'Espagne".
(4) Il en est d'ailleurs de la logique cette "double" allégeance comme des deux "natures" de la christologie : un peu comme ce que saint Maxime le Confesseur appelle la "périchorèse", qui fait que l'une des natures embrase l'autre "comme la flamme embrase le fer", sans le détruire
(5) Comme tout le monde, certes, comme tous les téléspectateurs, même très occasionnels, j'avoue évidemment être écuré par ce drame, qu'on pourrait croire ramené 3 000 ans en arrière Il sera difficile de persister à nous vendre perpétuellement, confortablement, entre Paris, Londres, New York, Milan ou Barcelone, la croyance au Progrès humain, avec de telles images de cars scolaires en feu, avec ces gosses de 16 ans dont la seule perspective héroïque est de s'immoler eux-mêmes pour frapper une foule d'innocents. Je ne suis ni juif ni arabe, je ne dispose d'aucun instrument de mesure pour évaluer la qualité du sang humain, pour comparer le désespoir dans le regard des enfants et la douleur des mères. Elle me semble strictement la même dans les deux camps. On ne pourra pas, non plus, chercher à savoir qui est le sympathique petit David du jour et qui est le gros méchant Goliath. Peut-être les rôles se sont-ils inversés à trente siècles de distance. Peut-être pas. Va savoir.