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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
VENDREDI 19 AVRIL 2002
LES GROS MONOPOLISTES FRANÇAIS CHERCHENT À MANGER LES PETITS
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel : un arbitraire politique conduisant à d'inquiétants arbitrages politiciens.
L'audition de M. Pierre Lescure, président pourtant débarqué de Canal+, par le fameux CSA, Conseil supérieur de l'audiovisuel, devrait mettre, par son principe même, la puce à l'oreille de tous ceux qui pensent encore que la France vit actuellement sous le régime de la liberté du commerce et de l'industrie, du droit de propriété, du respect des contrats et de l'article 17 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
M. Messier est un personnage parfaitement significatif, peut-être même est-il un peu trop caricatural, de la technocratie française (1). Il ne saurait ni de près ni de loin être tenu pour un entrepreneur. C'est exclusivement un énarque appuyé par d'obscurs réseaux de pouvoir. Il s'est hissé par l'intrigue à la tête d'un fleuron de l'industrie et de la finance française, l'ancienne Compagnie Générale des Eaux. Tout en s'octroyant lui-même des rémunérations et des options d'achats en capital énormes, au mépris des épargnants, il a conduit son groupe ridiculement rebaptisé Vivendi à une situation d'empire médiatique. Nous sommes maintenant en présence d'un obèse inquiétant et grotesque "Vivendi Universal" à composante hollywoodienne.
Or, Vivendi tire sa substance traditionnelle de grasses situations monopolistiques hexagonales. Ainsi sur le marché des télécommunications, on apprenait encore ce 17 avril que 3 opérateurs seulement, Bouyghes, France Télécom et la SFR, filiale de Vivendi seront présents en France sur le marché des portables de la 3e génération, les acquéreurs des fameuses licences UMTS.
Cette situation écarte tout compétiteur qui serait éventuellement conduit à une "stratégie commerciale agressive". C'est-à-dire que sera empêchée toute véritable concurrence. Cette situation on s'en doute donne toute satisfaction à nos gros opérateurs monopolistiques "à la française" Mais elle coûtera cher aux Français.
On en vient alors à la situation de Canal+. Cette chaîne est aujourd'hui contrôlée au plan financier par Vivendi (2). Elle aussi détient une rente monopolistique sous la houlette du CSA. Cette rente a été créée au début des années 1980 par les socialistes (3). Cette rente fonctionne désormais dans le cadre de la loi de 1986, adoptée quand M. Léotard était ministre de la Culture (!) et de la Communication du gouvernement de Jacques Chirac. Canal+ est en France la seule chaîne cryptée, autorisée à fonctionner comme elle le fait, sur abonnement, avec une part considérable de films et beaucoup de spectacles sportifs, en particulier des rencontres de podosphère. (4)
Seulement voilà. Canal+ n'a pas été attribué à M. Messier et aux studios hollywoodiens. Son fond de commerce repose sur une autorisation arbitraire donnée par un comité politique, hier la Haute autorité, aujourd'hui le CSA présidé par M. Baudis, ci-devant maire de Toulouse.
Or, ce comité politique dispose d'une monnaie d'échange au profit de M. Pierre Lescure, monnaie d'échange au profit de la gauche caviar toute puissante à Canal+ et qui se mobilise en sa faveur (5), et contre Vivendi groupe désigné comme représentant de la méchante finance américaine, alors qu'il n'est sous la coupe que d'un énarque français pur porc, légèrement mégalomane et ouvertement accapareur parce que parfait produit de la culture monopoliste.
L'arme contre Messier ou la monnaie d'échange est que la Convention renouvelant à Canal+ l'autorisation d'émettre a été signée non par Messier mais par Lescure. Or, l'article 42-3 de la loi du 30 septembre 1986 modifiée dispose : "L'autorisation peut être retirée sans mise en demeure préalable en cas de modification substantielle des données au vu desquelles l'autorisation avait été délivrée, notamment des changements intervenus dans la composition du capital social ou des organes de direction et dans les modalités de financement".
Nul ne peut prévoir au départ jusqu'où cette clause peut être invoquée. On conviendra cependant qu'elle introduit une faculté d'arbitraire politique incroyable permettant des arbitrages inquiétants.
Rappelons en effet que Canal+ n'est pas seulement l'exutoire de la gauche caviar et de tous les branchés. Canal+ est aussi un instrument puissant de la police de la pensée au travers de ses fameux Guignols de l'Info ou des "vrais faux journaux" de M. Zéro, en face duquel nos politiciens acceptent d'être tutoyés. Canal+ c'est aussi le Paris-Saint-Germain. Et, surtout, c'est la banque centrale du cinéma français, cette "exception culturelle" dans laquelle la seule chaîne câblée a injecté 145 millions d'euros en 2001, ceci amenant 400 célébrités et saltimbanques du cinéma subventionnés à pétitionner contre la "bête immonde" Messier.
Cette bataille de monopoles gros et petits, de subventionnés et d'accapareurs, devrait faire comprendre à quel point la France d'aujourd'hui se tient de plus en plus à l'écart du droit et des libertés.
(1) Contrairement à ce que propage l'AFP (cf. Dépêche du 17 avril intitulée "Jean-Marie Messier, un patron à l'américaine".)
(2) L'échafaudage financier fait que le capital de Vivendi Universal est détenu à 59 % par Vivendi, 29 % par le groupe Seagram de la famille Bronfman et 12 % par Canal+. Edgar Bronfman, qui était le numéro 2 de Vivendi Universal, a quitté le navire le premier.
(3) "Née par décision de François Mitterrand, créée par André Rousselet, par Pierre Lescure et une équipe très réduite, Canal+ a vite prospéré" écrit ingénument Le Monde du 18 avril.
(4) Un autre petit monopole hertzien, celui de la Première Chaîne généraliste privatisée TF1 a été attribué, comme par hasard, au groupe de travaux publics Bouyghes, cet excellent opérateur que l'on retrouve aussi sur le marché du téléphone portable en face de Vivendi et de "l'opérateur historique" France Télécom.
(5) cf. en première page ce titre du Monde (18 avril) "Canal+ appelle à la révolte contre Messier".
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