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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
MERCREDI 24 AVRIL 2002
NOS ÉNARQUES ET LEURS COMMUNICATEURS N'ONT RIEN COMPRIS
MM. Juppé et Raffarin à Marmande le 22 avril
"On croyait que c'était le moment de se battre contre Le Pen, et on s'aperçoit que leur seule préoccupation est de se battre contre Bayrou."
La journée du mardi 23 avril a permis de mieux situer, non seulement la réalité exacte des résultats du scrutin du 21 avril mais surtout les réactions et les stratégies qui se décident dans les états-majors politiques "estomaqués" (1), à l'idée de ce second tour Chirac-Le Pen.
Je voudrais d'abord commencer par une remarque, peut-être un peu iconoclaste, mais qui me paraît essentielle depuis le début de cette campagne présidentielle : il n'y a pas beaucoup de différence, quoi qu'ils en disent respectivement, quand on examine honnêtement et froidement les orientations des programmes des candidats Chirac et Le Pen.
Tout en étant favorables à certains allégements par rapport à l'extrême fiscalisme hérité de 20 ans de socialisme, ni l'un ni l'autre ne se prononce clairement en faveur des choix radicaux de libertés économiques, scolaires et sociales dont nous pensons que la France a besoin. Ni l'un ni l'autre n'ont encore jugé nécessaire de prononcer, par exemple, une seule phrase de nature à se rallier les suffrages (1 114 000 voix, 3,9 %) qui se sont crânement portés, pour la première fois, sur Alain Madelin, alors que celui-ci n'avait visiblement aucune chance de l'emporter.
Plus généralement que ce soit sur l'Europe, sur la décentralisation, sur les retraites, sur la fiscalité, sur l'insécurité (2), sur la mondialisation, il n'y a guère que des nuances (3). La seule position dont la formulation soit vraiment inconciliable porte sur l'avortement et sur le Pacs (4).
On nous promettait un duel d'énarques. Nous aurons donc un duel de jacobins. L'un comme l'autre sont attachés à des institutions périmées, façonnées en 1958 par une pensée plébiscitaire et bonapartiste.
Le drame du bonapartisme est que deux pieds trouvent difficilement leur place dans une seule botte. Et ces deux-là semblent se détester personnellement depuis un demi-siècle. Le chef de l'État est un homme très affectif : en 1995 il avait contre lui un ami de 30 ans. Le voici confronté à un ennemi de 50 ans. C'est quelque chose comme Tintin rencontrant pour la nième fois l'infâme Rastapopoulos.
D'autre part, puisqu'il est désormais assuré d'être encore président le 5 mai au soir, M. Chirac peut bien faire semblant d'oublier qu'il représente moins de 20 % des Français qui ont bien voulu ne pas s'abstenir et ne pas glisser dans l'urne un bulletin blanc. Les électeurs l'oublieront-ils ?
Nous avons entendu son discours de Rennes. Il parle "au nom de tous". Avec beaucoup d'autorité, il écarte ce qu'il appelle "l'intolérance". Il impose le "respect de l'Autre", le "débat démocratique". Ce qui est dommage c'est qu'après s'être si vertueusement exprimé, il se comporte comme il le fait. Le président le moins populaire que la France ait connu depuis 40 ans (5) refuse de débattre avec son adversaire, et manifeste envers lui une haine et, disons-le, une intolérance, qu'il n'a jamais laissé paraître vis-à-vis de staliniens ou des trotskistes.
On a vu aussi à la télévision, et c'était un spectacle ravageur, la noria des dirigeants de la droite chiraquienne, venus, les uns consulter l'oracle, les autres tenter de négocier ce que sera demain la fameuse Union pour la Majorité Présidentielle.
Cette appellation ridicule semble avoir été inventée dans l'entourage de M. Juppé. Ont-ils présent à l'esprit qu'au soir du 21 avril, cette "majorité présidentielle" pèse 19,6 % de votes en faveur du président sortant, et qu'au 5 mai elle comprendra le parti communiste et la CGT ? Curieux concept que cette "majorité".
En réalité, la classe politique aurait pu mesurer, au vu des résultats circonscription par circonscription, qu'en Métropole, plus de 300, 319 estime le Monde contre 76 en 1997 seront arbitrées par les suffrages de ces 5,5 millions de Français (6) que l'on veut considérer comme des citoyens de seconde classe, beaucoup moins intéressants que les 70 000 ou 90 000 gamins manipulés par les syndicats d'enseignants et qu'on a fait défiler dans les rues pour protester contre le résultat d'une élection.
Vraiment, le prétendu "sursaut de la démocratie" qui prétend supprimer les petits partis (7) n'est pas à la hauteur des enjeux.
On éprouve le sentiment de relire les pages terribles que Beau de Loménie consacre (8) aux journées de juin et juillet 1940, le drame national en moins, le ridicule en plus. On n'ose même pas comparer un Raffarin, politicien de série B inventé par Juppé, à un Pierre Laval.
Un des participants des discussions d'hier (9) me fournit la conclusion :
"On croyait que c'était le moment de se battre contre Le Pen, et on s'aperçoit que leur seule préoccupation est de se battre contre Bayrou".
(1) Dont l'un comme l'autre ont fait un thème central.
(2) Ce sont sans doute les nuances qui séparent un parti protestataire d'un parti gouvernemental. En 1998 Chirac et Le Pen étaient d'accord sur la candidature de Trichet la présidence de la Banque Centrale Européenne. Jean-Marie Le Pen en fait une affaire nationale. Son discours actuel est dans la droite ligne du fameux "appel de Cochin". Quant au chauvinisme et à la xénophobie, rappelons que jamais Le Pen n'a été aussi loin dans son expression qu'un certain discours "des odeurs" prononcé à Orléans par notre moraliste suprême.
(3) L'expression semble être du chef de l'État lui-même,
(4) C'est d'ailleurs le premier point du programme lepéniste que le New York Times (23 avril) monte en épingle. On voit beaucoup mieux du point de vue de Sirius. Vu de près ce n'était pas si frappant. Il est d'ailleurs piquant de constater que cette prise de position a entraîné une condamnation (vague) venant des autorités religieuses.
(5) La chose a été dite par le président à ses interlocuteurs du 23 avril (Le Monde du 24 avril imprime : Et comme le président du groupe RPR au Sénat, Josselin de Rohan, exprimait encore son désaccord, le chef de l'État a clos le débat : "L'époque des petits partis est terminée.")
(6) Plus impopulaire que Giscard d'E (9) Maurice Leroy, un proche de François Bayrou cité par Le Monde daté du 24 avril.
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