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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

JEUDI 25 AVRIL 2002

RÉFORME OU RÉVOLUTION

De Louis XVI à Gorbatchev l'échec des réformes a toujours conduit au chaos des révolutions

Préparant une émission qui aurait dû être consacrée sur Radio Courtoisie à la Russie et à la réforme tentée par Gorbatchev, je ne puis me défaire de penser à ce que cette expérience nous enseigne pour la France.

Secrétaire Général (1) de 1985 à 1991, Mikhaïl Gorbatchev a voulu réformer un système sclérosé et même nécrosé, plombé par divers facteurs. Il a échoué dans sa volonté de Réforme. Cet échec a conduit la Russie à 7 ans de chaos sous le régime de Eltsine, chaos ne relevant pas seulement du coma éthylique. Quelle qu'ait pu être la pureté de ses intentions, il est logique, ayant échoué, qu'il ait été balayé entre le putsch d'août 1991 et la décomposition de l'Union soviétique de novembre et décembre.

Nous avons connu en France un exemple historique remarquablement comparable. C'est celui du roi Louis XVI. 200 ans après malgré une historiographie sectaire, aussi bien chez les républicains de diverses nuances que chez de nombreux écrivains royalistes, on commence à comprendre la vérité (2). Louis XVI voulait réformer la France. Et, contrairement à la légende, il travaillait d'arrache pied. Son sérieux fascinant est attesté par ses notes considérables, tracées d'une écriture méthodique et serrée qui ne trompe pas. On peut dire ce que l'on veut sur la base de l'ignorance commune. Mais le fait archiviste incontestable est que le roi est probablement mort d'avoir été trop sérieux (3) au milieu d'un peuple trop frivole et d'une Cour irresponsable.

Le fait non moins contestable est aussi que, dans les 15 années qui ont précédé la Révolution française, et qui lui ont permis de mûrir, la Réforme royale a échoué (4). Elle s'est heurtée à la résistance conservatrice du système et à celle de certaines couches privilégiées, en tête desquelles il faut cesser de penser exclusivement aux archaïques droits féodaux du clergé et du second ordre, il faut surtout se représenter les autres corps intermédiaires infiniment plus pesants.

Il en a été de même avec Gorbatchev. Le monopole du parti communiste et le KGB étaient bien sûr d'horribles héritages du léninisme. Il fallait les balayer et Gorbatchev était pratiquement parvenu à faire disparaître la partie la plus visiblement hideuse du régime (5). Dès 1986, Sakharov pouvait rentrer à Moscou et les voyages à l'Étranger, y compris l'émigration, commençaient à devenir possibles. On pouvait envisager la suppression du Goulag.

Mais deux énormes blocs étaient impossibles à reformer

1. D'abord l'agriculture kolkhozienne

On doit rappeler qu'avant d'échouer à réformer la Russie, Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev avait déjà fait ses preuves en échouant de 1977 à 1983 dans la gestion de l'agriculture soviétique. Et, depuis 1991, on n'est pas encore parvenu à privatiser en Russie la terre agricole.

Il est vrai qu'en France les personnalités les plus brillantes de notre énarchie ont séjourné au ministère de l'Agriculture, à commencer par M. Chirac. Nous vivons toujours dans un régime étatisé, coopératisé, collectivisé, protégé,

- avec son "statut" du fermage, promulgué par une Ordonnance d'octobre 1945 (cf notre bulletin du 14.10.94 De la Non-Réforme du Fermage) , "statut" contemporain du "statut de la fonction publique" et de la création de la sécurité sociale... -avec le droit de préemption des SAFER... - et avec des subventions atteignant 40 % du revenu agricole...- cependant que la dette agricole, supérieure à 100 milliards d'euros, dépasse la valeur des terres. Mais, au moins en France, il n'y a plus guère que 600 000 exploitations et le produit agricole n'est guère plus que 4 % du produit intérieur brut.

Tel n'était pas le cas en Union Soviétique, où certes Brejnev avait précédé Gorbatchev, comme Chirac en France y avait précédé Rocard, dans la gestion de l'Agriculture. Mais la masse paysanne russe était demeurée et demeure encore une réalité colossale, une force immobile indépassable, malgré des décennies de massacre étatique (6).

2. L'autre système impossible à réformer était la défense nationale de l'URSS.

Je voudrais bien qu'on mesure l'importance d'un point souligné par Andréï Gratchev (7). Car ayant été très proche de Gorbatchev, étant aujourd'hui sympathisant de Poutine, il aurait a priori toutes les raisons de minimiser ou de relativiser ce chiffre :

Selon des estimations confidentielles du Politburo, en 1986-1987, la part de l'économie soviétique orientée vers la défense nationale atteignait 70 % du produit intérieur brut.

Cet immense empire n'a jamais cessé de vivre sur les plus immenses ressources naturelles de la Planète que ce soit les ressources forestières, pétrolières, les gisements de métaux non ferreux ou le potentiel d'énergie hydraulique.

Et plus des 2/3 de l'activité du pays, de l'industrie, de la recherche, du sport, de la technologie, etc. étaient orientés vers l'effort de défense. L'impossibilité grandissante de réformer cette chose-là s'est évidement aggravée dans les 18 années dites de la "stagnation" brejnevienne, entre 1964 et 1982. Le pouvoir y était accaparé, Brejnev n'en finissant pas de mourir, par une troïka formée du maréchal Oustinov, de Gromyko et d'Andropov, au sein de laquelle Oustinov dirigeait les dépenses militaires pratiquement sans contrôle, exactement comme la structure de la sécurité sociale en France fonctionne en fait sans qu'aucune personnalité responsable ne la contrôle.

Ceci est, en France, aggravé depuis le plan Juppé, comme en URSS le passage des deux vieillards impuissants succédant à Brejnev, Andropov en 1982 et Tchernienko en 1984 ont aggravé le désastre.

Osons voir et osons dire que la France d'aujourd'hui est presque aussi rongée que ne l'était l'Union soviétique. Elle est ruinée par le cancer de la dépense publique et des prélèvements obligatoires qui atteignent, emprunts d'États compris, 55 % de la richesse créée par les Français.

Dans notre pays et sa langue de bois, nous appelons cela "effort de cohésion nationale". Le résultat final risque d'être aussi brillant qu'en URSS. Sous Brejnev et Gorbatchev l'absence de réformes a été l'occasion d'aggraver le cancer de la défense. En France, si la réforme ne se fait pas, la descente aux enfers de notre pays continuera. Il est donc temps de donner un coup d'arrêt à la pensée unique et à la technocratie, si l'on veut éviter le chaos révolutionnaire.

JG Malliarakis
© L'Insolent
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  1. Depuis la succession de Lénine en 1921, le Secrétaire Général du parti communiste de l'Union soviétique était le maître du pouvoir. L'article 126 de la Constitution de 1936, puis l'article de 7 de la Constitution de 1977 avaient transformé cet état de fait stalinien en système de droit socialiste.
  2. En particulier grâce aux travaux des Girault de Coursac auxquels je me sens un devoir de rendre hommage en cette occasion et dont les livres sont disponibles aux éditions François-Xavier de Guibert 3, rue Jean-François Grebillon 7500 Paris.
  3. Il était aussi sans doute trop honnête politiquement et trop respectueux de ses devoirs constitutionnels. Il convoque les États Généraux pour obtenir 3 réformes qui supposent constitutionnellement l'accord des intéressés aux termes des Lois de l'ancienne France : a) la suppression de l'esclavage dans les colonies ;b) la suppression du servage (qu'il n'a pu supprimer que dans ses propres domaines) ; c) une réforme fiscale mettant fin aux exonérations de la taille. Notre démocratie française ne s'embarrasse pas de telles précautions quand par exemple elle modifie arbitrairement l'âge de la retraite ou la durée du temps de travail. Ne parlons même pas de l'impôt voté par une assemblée composée de bénéficiaires de la dépense publique, élus par une majorité de non-contribuables.
  4. Et en particulier la réforme du système corporatif tentée par Turgot en février 1776 et à laquelle il fallut renoncer partiellement en mai de la même année cf. Steven Kaplan "La Fin des Corporations" (Fayard).
  5. Je ne perds évidemment pas de vue qu'en 1990 encore le KGB pouvait se permettre d'assassiner un prêtre comme Alexandre Men en Russie.
  6. Pour être vraiment franc et quelle que soit l'inertie, la pénurie, l'arriération ou le gâchis de ces récoltes russes mangées à plus de 50 % par les rats, je ne suis pas sûr que le fait d'avoir détruit la France rurale soit par ailleurs à mettre au crédit de nos énarques.
  7. cf. Andreï Gratchev "Le Mystère Gorbatchev" La Terre et le Destin (Éditions du Rocher) pp. 158-159.

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