Ce 26 avril, M. Jean-Marc Sylvestre consacrait sa chronique économique officieuse, sur la Radio dÉtat France Inter à 7 heures 25 au programme économique du candidat Le Pen
Un mot dabord sur le chroniqueur. Il a beaucoup de talents. Il était économiste. Cest-à-dire quil était ce que les politiciens et les journalistes appellent un "libéral", pire encore on dit maintenant un "ultra libéral" : il osait tenir compte dans ses billets des années 1980, de la réalité des marchés. Cétait un crime, du point de vue des intellectuels de gauche et un blasphème au regard de la bourdieuserie germanopratine. Et comme à Paris il vaut mieux être un ami des intellectuels de gauche que des économistes, M. Sylvestre a fait discrètement repentance. Il sest mis, visiblement à partir de 1993 (1), au service du monopolisme à la française. Sa pensée sest trouvée contaminée par la vapeur de la cloche à fromage de la Maison de la Radio.
Cest bien dommage pour un quotient intellectuel comme le sien. Mais les dons de Dieu étant, eux, sans repentance, son raisonnement nest pas entièrement rouillé.
Il sest donc employé, pendant lespace des quelques minutes qui lui sont allouées, à qualifier le programme économique du candidat Le Pen. Et son jugement est tombé, comme un couperet de guillotine sur une encolure de chouan : "incohérent". Fouquier-Tinville dixit. Et les tricoteuses dapplaudir.
Je crois le procès non seulement malhonnête, puisque déséquilibré, mais profondément dangereux pour ceux quil sagit de protéger, MM. Chirac et Jospin notamment. Ce que les deux personnages représentent est manifestement démonétisé, on devrait lavoir mesuré sans appel le 21 avril. Le second est retourné dignement dans sa case. Et on est appelé à juger aussi toutes les politiques économiques suivies en France depuis la démission dAntoine Pinay en janvier 1960. Et toutes ces politiques ou presque (2) ont été incohérentes et néfastes.
Cette vérité ne peut être ignorée daucun économiste français.
Il est loisible de penser, sur le terrain de la morale, que tel ou tel point du programme, dit ou "non-dit", de Jean-Marie Le Pen est, ou serait, inacceptable. Mais alors, si lon veut parler de morale il faut le faire de façon précise et non allusive (3). Et, pour être vraiment convaincant, il faut aussi quon se demande ce quil y a dans le programme moral, dans la crédibilité morale de son adversaire.
Cest, là aussi, un jeu dangereux, et nétant pas moraliste professionnel, je me garderais de vouloir contribuer à larbitrer. Pour être tout à fait complet aussi, il ne semble pas vraisemblable que la politique soit le lieu de la pureté moral absolue. Depuis Savonarole et Robespierre nous savons même en occident ce que valent les moralistes lorsquils prennent le pouvoir. Relativement au moralisme et à la politique, il semble que la Sagesse consiste à dire : "rendez à César ce qui est à César et rendez à Dieu ce qui est à Dieu".
Bien quelle ait fait la fortune éditoriale de Mme Forrester et la gloire médiatique de M. Bové, lincohérence économique est toujours inquiétante.
Mais M. Sylvestre devrait se rendre compte quelle lest beaucoup moins sagissant dun opposant, qui fera difficilement plus de 35 % des suffrages exprimés au second tour, que dans lhypothèse où un président réputé "de droite" serait élu sans difficulté avec le soutien de la CGT, soutien dont il na récusé ni lincongruité, ni limmoralité intrinsèque. Sil y a "populisme" et "péronisme" cest bien dans cette seconde équation.
Du point de vue des marchés financiers, je minquiéterais beaucoup plus de cette hypothèse. Et il semblerait quils sen inquiètent, grâce au concours des médiats français. Tant il est vrai que la politique rejaillit toujours sur léconomique (4).
Quant à regarder les grandes lignes des deux programmes économiques, puisque M. Sylvestre et la radio dÉtat nous y invitent, on en arrive à considérer, avec quelque surprise, non seulement que le plus absurde des deux nest pas forcément celui quon pense, mais que linstrument de mesure proposé par M. Sylvestre et la Radio dÉtat nest autre que léquilibre entre les dépenses et les recettes de lÉtat. Or cétait précisément le mérite (peut-être le seul point intéressant ?) de la campagne de premier tour de M. Chirac que davoir récusé ce critère posé par la propagande jospinienne (5).
À linverse la confrontation entre un ancien auditeur à la Cour des comptes et un entrepreneur indépendant contient une symbolique économique dans laquelle le président sortant est moins gagnant que la chronique de France Inter voudrait le suggérer.
Non, finalement, on aurait tort, du côté de lÉtat-Major chiraquien, de vouloir situer cet affrontement dans une perspective économique.
(1) Au moment où le gouvernement Balladur a adopté la ligne du "commerce administré" lors des négociations de lUruguay Round.
(2) Presque tous les gouvernements français depuis plus de 40 ans ont, notamment, développé la dépense publique et les prélèvements obligatoires. Pour être vraiment précis et complet, on ne fera de relatives exceptions que pour le (relatif) coup de barre antisocialiste des gouvernements Fabius de 1984 et Chirac de 1986. Le paradoxe est que sur la base du souvenir de quelques bonnes mesures de ce dernier certains ont pu espérer (pendant la campagne de lhiver 1994-1995) autre chose que ce qua fait, hélas, "linoubliable" gouvernement Juppé entre 1995 à 1997 quand M. Chirac a détenu TOUS les leviers de pouvoirs politiques constitutionnels (présidence, gouvernement, assemblée, sénat, régions, départements).
(3) "Que votre parole soit : ce qui est, est, ce qui nest pas, nest pas. Tout ce quon y ajoute vient du démon".
(4) Et réciproquement.
(5) Dont le succès a été médiocre.