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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

VENDREDI 26 AVRIL 2002

NON M. SYLVESTRE VOUS N'ÊTES PAS L'ARBITRE

L’enjeu du 2nd tour de scrutin entre Chirac et Le Pen ne gagne pas à être arbitré sur le terrain de la cohérence économique.

Ce 26 avril, M. Jean-Marc Sylvestre consacrait sa chronique économique officieuse, sur la Radio d’État France Inter à 7 heures 25 au programme économique du candidat Le Pen

Un mot d’abord sur le chroniqueur. Il a beaucoup de talents. Il était économiste. C’est-à-dire qu’il était ce que les politiciens et les journalistes appellent un "libéral", pire encore on dit maintenant un "ultra libéral" : il osait tenir compte dans ses billets des années 1980, de la réalité des marchés. C’était un crime, du point de vue des intellectuels de gauche et un blasphème au regard de la bourdieuserie germanopratine. Et comme à Paris il vaut mieux être un ami des intellectuels de gauche que des économistes, M. Sylvestre a fait discrètement repentance. Il s’est mis, visiblement à partir de 1993 (1), au service du monopolisme à la française. Sa pensée s’est trouvée contaminée par la vapeur de la cloche à fromage de la Maison de la Radio.

C’est bien dommage pour un quotient intellectuel comme le sien. Mais les dons de Dieu étant, eux, sans repentance, son raisonnement n’est pas entièrement rouillé.

Il s’est donc employé, pendant l’espace des quelques minutes qui lui sont allouées, à qualifier le programme économique du candidat Le Pen. Et son jugement est tombé, comme un couperet de guillotine sur une encolure de chouan : "incohérent". Fouquier-Tinville dixit. Et les tricoteuses d’applaudir.

Je crois le procès non seulement malhonnête, puisque déséquilibré, mais profondément dangereux pour ceux qu’il s’agit de protéger, MM. Chirac et Jospin notamment. Ce que les deux personnages représentent est manifestement démonétisé, on devrait l’avoir mesuré sans appel le 21 avril. Le second est retourné dignement dans sa case. Et on est appelé à juger aussi toutes les politiques économiques suivies en France depuis la démission d’Antoine Pinay en janvier 1960. Et toutes ces politiques ou presque (2) ont été incohérentes et néfastes.

Cette vérité ne peut être ignorée d’aucun économiste français.

Il est loisible de penser, sur le terrain de la morale, que tel ou tel point du programme, dit ou "non-dit", de Jean-Marie Le Pen est, ou serait, inacceptable. Mais alors, si l’on veut parler de morale il faut le faire de façon précise et non allusive (3). Et, pour être vraiment convaincant, il faut aussi qu’on se demande ce qu’il y a dans le programme moral, dans la crédibilité morale de son adversaire.

C’est, là aussi, un jeu dangereux, et n’étant pas moraliste professionnel, je me garderais de vouloir contribuer à l’arbitrer. Pour être tout à fait complet aussi, il ne semble pas vraisemblable que la politique soit le lieu de la pureté moral absolue. Depuis Savonarole et Robespierre nous savons même en occident ce que valent les moralistes lorsqu’ils prennent le pouvoir. Relativement au moralisme et à la politique, il semble que la Sagesse consiste à dire : "rendez à César ce qui est à César et rendez à Dieu ce qui est à Dieu".

Bien qu’elle ait fait la fortune éditoriale de Mme Forrester et la gloire médiatique de M. Bové, l’incohérence économique est toujours inquiétante.

Mais M. Sylvestre devrait se rendre compte qu’elle l’est beaucoup moins s’agissant d’un opposant, qui fera difficilement plus de 35 % des suffrages exprimés au second tour, que dans l’hypothèse où un président réputé "de droite" serait élu sans difficulté avec le soutien de la CGT, soutien dont il n’a récusé ni l’incongruité, ni l’immoralité intrinsèque. S’il y a "populisme" et "péronisme" c’est bien dans cette seconde équation.

Du point de vue des marchés financiers, je m’inquiéterais beaucoup plus de cette hypothèse. Et il semblerait qu’ils s’en inquiètent, grâce au concours des médiats français. Tant il est vrai que la politique rejaillit toujours sur l’économique (4).

Quant à regarder les grandes lignes des deux programmes économiques, puisque M. Sylvestre et la radio d’État nous y invitent, on en arrive à considérer, avec quelque surprise, non seulement que le plus absurde des deux n’est pas forcément celui qu’on pense, mais que l’instrument de mesure proposé par M. Sylvestre et la Radio d’État n’est autre que l’équilibre entre les dépenses et les recettes de l’État. Or c’était précisément le mérite (peut-être le seul point intéressant ?) de la campagne de premier tour de M. Chirac que d’avoir récusé ce critère posé par la propagande jospinienne (5).

À l’inverse la confrontation entre un ancien auditeur à la Cour des comptes et un entrepreneur indépendant contient une symbolique économique dans laquelle le président sortant est moins gagnant que la chronique de France Inter voudrait le suggérer.

Non, finalement, on aurait tort, du côté de l’État-Major chiraquien, de vouloir situer cet affrontement dans une perspective économique.

JG Malliarakis
©L'Insolent

(1) Au moment où le gouvernement Balladur a adopté la ligne du "commerce administré" lors des négociations de l’Uruguay Round.

(2) Presque tous les gouvernements français depuis plus de 40 ans ont, notamment, développé la dépense publique et les prélèvements obligatoires. Pour être vraiment précis et complet, on ne fera de relatives exceptions que pour le (relatif) coup de barre antisocialiste des gouvernements Fabius de 1984 et Chirac de 1986. Le paradoxe est que sur la base du souvenir de quelques bonnes mesures de ce dernier certains ont pu espérer (pendant la campagne de l’hiver 1994-1995) autre chose que ce qu’a fait, hélas, "l’inoubliable" gouvernement Juppé entre 1995 à 1997 quand M. Chirac a détenu TOUS les leviers de pouvoirs politiques constitutionnels (présidence, gouvernement, assemblée, sénat, régions, départements).

(3) "Que votre parole soit : ce qui est, est, ce qui n’est pas, n’est pas. Tout ce qu’on y ajoute vient du démon".

(4) Et réciproquement.

(5) Dont le succès a été médiocre.

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