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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

LUNDI 29 AVRIL 2002

LA DÉFAILLANCE DES SONDAGES

Ouvre-t-elle la voie à des pronostics les plus surprenants ?

Ci-dessus les deux protagonistes du 5 mai "arbitrés" par John Nash…

Le président sortant M. Jacques Chirac n’a pas sollicité mon avis. Mais il ne m’en voudra pas de le lui exprimer. Car, contrairement, à 67 % de nos compatriotes, je pense qu’il a eu, techniquement sinon moralement, raison, ce 23 avril à Rennes, de renoncer officiellement au "débat démocratique" dont il se réclamait 48 heures plus tôt.

Dans un tel jeu, en effet, il vaut mieux perdre un pion qu’une dame. Et comme il aurait probablement reculé de 5 ou 6 points dans un débat télévisé, mieux vaut pour lui profiter de l’aubaine de sondages effectués à la sortie des urnes, sondages hâtifs (1) lui donnant 78 % contre 22 % et chercher à verrouiller à son profit cette situation, quitte à perdre 1 ou 2 points sur la question du refus de débattre, dont il arrive même à faire un principe présentable. Ce refus de saut, impardonnable pour un parachutiste et que Saint-Simon eût appelé une "cacade", devient un point d’honneur. On ne se bat pas en duel avec un manant.

Seulement voilà. Les sondages sont défaillants. Ô ironie ! Pour la première fois que les médiats ont obtenu de pouvoir les publier jusqu’au bout, on n’en lira plus guère dans la presse française et personne ne semble encore protester (2).

En créant une situation absolument nouvelle, et imprévue, l’absurde article 7 de la Constitution, réformé en 1962, et contre lequel cette chronique s’est toujours montrée extrêmement critique, vient de provoquer un jeu qui n’a plus rien à voir avec ce à quoi les politiciens et les électeurs français sont habitués depuis 40 ans.

Cela est si vrai que les instituts de sondages baissent les bras. 9 sondages avaient été publiés dans les 9 derniers jours autorisés précédant le 21 avril, c’est-à-dire entre le 10 et le 19. Depuis lors, seul Le Parisien en date du 26 avril a osé briser le silence et s’est cru autorisé à publier les résultats d’une étude entreprise le 23 par l’institut CSA et dont les chiffres ont quelque chose d’assez miraculeux : 81 % pour le candidat bienheureux de la classe politique ressoudée, soutenu par toutes les institutions morales, sociales, syndicales, religieuses et médicales du pays contre 19 % pour son très méchant rival.

C’est à l’évidence trop beau.

C’est le miracle de la Vistule, c’est l’armée rouge reculant devant les saintes icônes, c’est le rêve de "Chirac à 90 %" formulé par Cohn-Bendit étrangement en marche. Ce serait la revanche d’une gauche qui se sent injustement humiliée avec tous les bienfaits dont elle a gratifié la France et les Français depuis 1997.

Ce rêve apocatastatique naïf reviendrait à dire que rien ne s’est passé, que 5,5 millions d’électeurs se sont trompés de bulletin et vont vite se reprendre. Et il semble bien qu’au fond le secret désir des intellectuels de gauche et des bonnes consciences consiste souvent à se boucher les oreilles pour ne pas entendre la protestation profonde du peuple français, parce que cette protestation se porte sur un candidat qui leur déplaît.

Et si ce rêve ne se réalisait pas du tout ? Et si la confrontation tournait vraiment à ce que les ligues de vertu proclament : d’un côté, notre magnifique république, irréprochable, le meilleur système du monde, etc., de l’autre l’addition de toutes les mauvaises intentions. Est-on assuré qu’alors l’Institut Prophylactique des Mauvaises Intentions aurait obligatoirement raison la tentation de mettre dans l’urne un bulletin où le nombre de lettres serait égal à celles du mot de Cambronne ?

On peut affirmer que les sondeurs se trompent s’ils en sont encore à leurs méthodes de pondérations traditionnelles, par diplômes, par "CSP" = "catégorie socioprofessionnelle du chef de ménage", et autres concepts approximatifs issus d’une pensée sociologique molle.

Tels politiciens donneurs de leçons, telles belles âmes ayant échappé aux poursuites judiciaires, tels bénéficiaires de la présomption d’innocence, tiennent-ils compte dans leurs calculs des millions de citoyens surendettés, des millions de Français interdits de chèques, et des millions de gens dont la vieille voiture est prise en sandwich entre les huissiers qui veulent la vendre et les voyous impunis qui s’amusent à la brûler.

L’équilibre entre les deux candidats de second tour ne se fera pas selon les regroupements de la mécanique parlementaire bien huilée. Elle se fera dans le secret des urnes selon un jeu dont la théorisation n’a jamais été enseignée à l’Ena.

En particulier la théorie scientifique des jeux s’est trouvée entièrement renouvelée depuis 1951 par l’apport des travaux d’un mathématicien génial, qui est devenu fou, John Forbes Nash. Comme le très beau film "Un Homme d’exception" passe actuellement à l’écran, consacré à Nash, et comme ce film vrai raconte presque exactement la vie de Nash, je ne vous le raconterai pas : allez le voir.

Simplement M. Chirac, s’il n’est assurément pas fou, ne saurait non plus être tenu pour un génie. Il ne connaît ni les travaux de Nash, ni même l’œuvre de Vilfredo Pareto, dont la théorie de l’optimum formulée au début du XXsiècle annonce largement, du point de vue qui nous intéresse, l’équilibre de Nash.

Pour faire court, et en découvrant ce matin les professions de foi de second tour des derniers survivants, on constate que le candidat sortant n’est guère porté par l'enthousiasme de ses électeurs, et que son adversaire mise assez habilement sur la somme des mécontentements. Cette somme est très largement supérieure à 20 % : c’est le moins qu’on puisse en dire. Cela mènerait alors le pronostic très au-delà de 30 %, peut-être entre 35 et 38 % (3) compte tenu, par exemple, du nombre de bulletins blancs : ils étaient près de 2 millions au second tour de 1995, près de un million au premier tour cette année, ils pourraient facilement dépasser les 4 millions le 5 mai.

On appelle ces transferts, de voix, et ces stratégies, du "populisme", parce que cela dérange les partis politiques agréés et subventionnés.

Mais, au vrai, au nom de quoi ces partis agréés et subventionnés détiendraient-ils, et pour combien de temps, le monopole de la démocratie, surtout dès lors qu’ils s’écartent des aspirations du peuple ?

Tant que cette question demeurera impertinente, les partis protestataires iront de succès en succès et les résultats de surprise en surprise.

 

JG Malliarakis
© L'Insolent

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(1) Sondages jugés incroyables par le patron de l’IFOP dès le 25 avril, et cependant d’autres instituts (IPSOS), timidement, ont recommencé à les renouveler ce 29 avril au matin en indiquant cependant, pour la première fois, une marge d’erreur "à titre pédagogique".

(2) Ceci a été souligné par Dominique Jamet lors de mon émission du 26 avril sur Radio Courtoisie au cours de laquelle Bertrand Lemennicier, qui avait pronostiqué 19 % Chirac 17 % Le Pen 16 % Jospin (pas mal, n’est-ce pas ?) est venu apporter son concours concernant, notamment, la substitution des pronostics aux sondages.

(3) Quand l’information réelle est occultée, elle se trouve remplacée par la rumeur. En ce 29 avril, on parle d’un sondage suisse à 36 %.

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