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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

LUNDI 6 MAI 2002

L’ÉCONOMIE DE MARCHÉ SACRIFIÉE ?

La victoire à la Pyrrhus de la droite chiraquienne ampute les droites de 5 millions de voix indispensables si l'on veut sauver l'Économie de Marché et les Libertés.

Le déchaînement des passions entre les deux tours du scrutin, autour du choc frontal entre Chirac et Le Pen, ne doit pas nous dissimuler l’aspect fondamental de la situation de l’opinion française dont on a eu une photographie exacte en ce printemps 2002.

Jamais, en effet, l’éventail des nuances partisanes proposées aux électeurs n’avait été aussi large qu’en ce 1er tour. Toutes les couleurs étaient représentées puisque 16 candidats étaient en lice, dont un "apolitique" porte parole de chasseurs, disposant tous de moyens assez considérables.

Or, si l’on met de côté M. Saint-Josse et ses 1 205 000 voix, 4,2 % des suffrages exprimés, qui sont inclassables, on constate que les candidats pouvaient se répartir assez clairement en deux groupes selon

- qu’ils se réclament des Nouvelles Réglementations (réduction du temps de travail, blocage des licenciements, restrictions environnementales, peurs alimentaires, interventions systématiques de l’État, exceptions culturelles, procès de la mondialisation, dénonciations des fonds de pensions, urbanisme collectiviste, flicage fiscaliste,etc.) C'est bien le camp de la gauche.

- ou, au contraire, que leurs électeurs sont favorables à l’Économie de Marché (ce qui s’accompagne, sous une forme ou sous une autre, de propositions de décrues fiscales). c'est le lieu des droites.

Le résultat arithmétique : 15 millions de voix pour les droites, 12 millions pour la gauche

Les candidats des Nouvelles Réglementations ont en effet obtenu : Jospin 4 610 000 voix + Chevènement 1 519 000 voix + Mamère 1 498 000 voix + Laguillier 1 630 000 voix + Hue 960 000 voix + Besancenot 1 211 000 voix + Taubira 660 000 voix + Gluckstein 133 000 voix = 12 218 585 voix exactement.

Les voix de l’Économie de Marché se sont portées sur Chirac 5 666 000 voix + Le Pen 4 805 000 voix + Bayrou 1 949 000 voix + Madelin 1 113 000 voix + Mégret 667 000 voix + Lepage 536 000 voix + Boutin 339 000 voix = exactement 15 075 196 voix, soit 53 % des suffrages exprimés.

En apparence donc, le 21 avril 2002, la France avait voté très majoritairement "à droite". Les candidats demeurés en lice se réclamaient, l’un comme l’autre, de programmes classés "à droite" (1).

Du point de vue du combat pour l’Économie de Marché, du droit de propriété, de la liberté du travail et de l’entreprise, du respect des contrats, etc. les choses sont moins simples.

Tout le monde a remarqué, par exemple, la désinvolture des divers candidats "de droite" sur des questions économiques et sociales essentielles. On ne peut pas dire que le libre échange ou le passage à la retraite par capitalisation aient été courageusement mis en avant.

Il y a donc, en fait, et contrairement à l’apparence arithmétique, d’un côté 15 millions de voix fragiles et désunies, face à 12 millions de voix convaincues. Ces voix se sont montrées étonnamment disciplinées le 5 mai, assez pour s’être engouffrées dans une querelle interne à la droite, et pour assurer le score biélorusse de 82 % du président sortant .

Le conflit Droite/Gauche aujourd’hui

Car, si le conflit Droite/Gauche a encore un sens, il oppose aujourd’hui bel et bien le camp de l’Économie de Marché à celui des Nouvelles Réglementations.

Cette opposition est loin de porter exclusivement sur l’Économie.

L'Économique est ici le reflet d'un rapport politique, au sens supérieur du terme.

L’Économie de Marché ce n’est pas seulement la "technique capitaliste" de gestion des entreprises. C’est une vision des rapports humains largement tributaire de l’imprégnation chrétienne, en Europe comme aux États-Unis. C’est une adhésion au droit naturel et une confiance investie dans l’homme, dans le respect des propriétés et des contrats. C’est une aspiration à une société plus ouverte et au libre échange des services et des marchandises permettant aux hommes de "vivre et travailler au pays".

Au contraire, le camp des Nouvelles Réglementations est issu de la très veille utopie étatique.

Cette utopie s’est déployée en Europe dès la Renaissance, singulièrement en Angleterre sous les Tudors, à partir de la première ordonnance, sous Henry VII en 1489, contre les enclosures (2). Or, l’utopie étatiste a toujours pris des formes "nouvelles". Par exemple, sous la Révolution française, elle atteint son paroxysme avec la loi du maximum imposée sous Robespierre en septembre 1793. Aujourd’hui, nous ne sommes sans doute plus confrontés aux conceptions marxistes et léninistes les plus archaïques, — celles de "l’appropriation collective des moyens de production" dans la lignée du Manifeste Communiste de 1848. Mais, dans la pratique, il y a déjà bien longtemps que l’étatisme dirigiste avait pris le relais du strict collectivisme. Dès le VIIe Congrès panrusse des Soviets de 1919, la planification est annoncée. Le premier plan quinquennal soviétique est lancé en 1927. Il sera imité par tous les totalitarismes. Et, depuis le 3 janvier 1946, la France demeure affublée d’un commissariat général au Plan, alors confié à Jean Monnet, et dont, contrairement à la planification soviétique, on n’a jamais songé à abolir la nuisance. Les "Nouvelles" réglementations de Jospin n’ont fait que redonner une nouvelle vigueur à toutes ces vieilles lunes. On les retrouve dans la loi NRE du 15 mai 2001, qui malgré le rejet arithmétique des partisans des Nouvelles Réglementations par le corps électoral le 21 avril 2002, voit publier ses décrets d’application, comme si de rien n'était, au Journal Officiel du 3 mai sous la signature de ministres à la veille de leur départ…

Le vrai rapport de force est plus inquiétant que la simple arithmétique

Il est, certes aussi, d’autres enjeux partisans, et des contradictions entre personnes, qui occultent l’enjeu véritable de la lutte pour les libertés.

On doit quand même souligner les disproportions des groupes d’avant garde. Pour le camp de l’Économie de Marché un seul candidat apparaissait "en pointe" du point de vue du libéralisme économique. Et ce candidat a été amené à opérer de trop nombreuses concessions à l'idéologie dominante "politiquement correcte", concessions en dépit desquelles (ou à cause desquelles ?) Alain Madelin n’a obtenu que 3,8 %.

Du côté des Nouvelles Réglementations, et pratiquement en faveur de l’interdiction de licencier, on peut au contraire citer 3 candidats en flèche, sans concessions : Hue avec 3,4 % Laguillier avec 5,7 % et Besancenot avec 4,3 % qui obtiennent presque 4 fois plus. Ce rapport de 1 à 4, passe de 1 à 15 dès lors que l’on comptabilise les engagements militants.

Et dès lors qu’on passe dans la sphère culturelle et intellectuelle, on constate un primat impuni de la "bourdieuserie" frémissante, tout entière explicitement acharnée à la défense des Nouvelles Réglementations alors qu’un nombre infime seulement d’intellectuels de renom osent s’engager en faveur de l’Économie de Marché (3) et des Libertés.

Tout cela dément le rapport démocratique des 15 millions de votes du 21 avril pour l’Économie de Marché contre 12 millions pour les Nouvelles Réglementations.

Ainsi donc si cela ne devait tenir qu'aux hommes de l'État français, contre le voeu majoritaire des Français et contre l'intérêt de la France, par conséquent, le futur gouvernement risque fort de maintenir les Nouvelles réglementations (réduction du temps de travail,etc. voir ci-dessus...)

Et tout cela confirme hélas le péril sérieux qui pèse ici et maintenant, par la faute de la classe politique française,sur l’Économie de Marché, c’est-à-dire sur les libertés concrètes des Français.

JG Malliarakis
© L'Insolent
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(1) Nous pensons, d'ailleurs, avoir été en mesure de démontrer (cf. nos courriers 26.4 du 25.4 et du 22.4 Une Gifle...) que ces programmes, examinés froidement, sont beaucoup moins incompatibles que l'on s'est empressé de nous le dire.

(2) Cette ordonnance fut aggravée ultérieurement au cours du XVIsiècle : par Henri VIII en 1515, puis sous Édouard VI en 1548 et enfin par Élisabeth Ière en 1597. Pour des raisons "natalistes", les Tudors s'opposaient aux enclosures, c'est-à-dire à la privatisation des terres rendue nécessaire pour le développement de l'élevage ovin. À l'époque, en effet la campagne anglaise fournissait de la laine aux tissages de Flandre. C'est pour empêcher ce courant de modernisation, et pour défendre l' idée archaïque d'une campagne "communautaire" qu'est apparue, pour la première fois, "l'Utopisme" avec Thomas More inventeur du mot en 1516. Son livre "Utopia" a été écrit pour défendre la politique du roi Henri VIII qui venait de le nommer chancelier d'Angleterre. Un contresens courant suppose que More, qui était effectivement précurseur du "communisme" (ce que Marx appelle un "socialiste utopique"), aurait été un "opposant" au pouvoir royal. Il fut décapité en 1535, — et l'Église romaine en a fait (en 1935, 400 ans plus tard !) un saint, — nullement en raison de son "Utopie" mais parce qu'il refusait de reconnaître pour légitime le remariage du roi avec Anne Boleyn.

(3) Saluons quand même ici la courageuse exception du dernier livre M. Maurice Druon, qui est le secrétaire perpétuel honoraire de l’Académie française, et qui vient de signer ses "Ordonnances pour un État malade" (Éditions de Fallois) deux ans après avoir publié "La France aux ordres d’un cadavre".

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