COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
MARDI 7 MAI 2002
FERONT-ILS MIEUX OU PIRE QUE LYNDON B. JOHNSON ?
Le rusé Raffarin (à g.) suffira-t-il à empêcher que notre pauvre Chirac (au c.) commette les mêmes erreurs unanimistes que Lyndon B. Johnson (à dr.) ?
Comparaison nest pas toujours raison. Il est dommage que les médiats hexagonaux aient tous affirmé, en ce 6 avril, unanimement et stupidement cela va souvent ensemble que le score de M. Chirac, obtenant 82 % des voix au second tour, était sans précédent, hors de comparaison.
Nos communicateurs se prétendent et se croient "ouverts au Monde". Mais ils se révèlent incroyablement chauvins et ridiculement franco-français. À la vérité, ils ignorent la géographie autant que lhistoire.
Car les exemples abondent. Mais il faut les chercher antérieurement à la réforme 1962 de larticle 7 de la Constitution actuelle, ou dans un monde inconnu de nos journalistes : "lÉtranger".
Certes, toute comparaison de ce score avec celui des élections totalitaires serait excessive, polémique, grossière, et par conséquent insignifiante.
Sans doute, subsiste-t-il quelques pays de démocratie dite populaire, entre Corée du nord, Birmanie ou Cuba. M. Chirac, quoique "président de tous les Français" (... avec quelque 5,7 millions de partisans sur 41 millions délecteurs), et bien quil aime à sexprimer "au nom de tous", ne saurait être comparé physiquement à Fidel Castro. Le Dealer Maximo persiste à faire des discours de 6 heures quand son homologue parisien improvise péniblement plus de 6 minutes. Le score de Chirac ressemble à peine, par ailleurs, à celui de régimes relookés dEurope orientale ou dAsie centrale comme ceux de la Biélorussie, de la Transnistrie ou de lOuzbékistan : 82 % ce nest pas 95 %. Nétait pas Ceaucescu qui veut. Nest pas Loukachenko qui veut.
Toutefois, une comparaison peut être tentée avec un exemple finalement assez récent, dans un pays civilisé : la victoire de Lyndon B. Johnson sur Barry Goldwater en novembre 1964 aux États-Unis.
Le désastre de la présidence JohnsonCe succès foudroyant du parti démocrate fut obtenu par 43 millions de voix (61 %) contre 27, et, surtout, par 486 mandats (90 %) contre 52. La comparaison nest pas tant dans les pourcentages électoraux. Elle réside surtout dans lunanimisme incroyable qui sinvestit alors au service de la campagne présidentielle de Johnson. Tout ce que lAmérique comptait de professeurs des universités, dintellectuels, de psychanalystes, de peintres abstraits, de cinéastes, de freudiens et de keynésiens exposait cette année-là quentre Johnson et Goldwater cétait le combat du Bien contre le Mal.
Dans un scénario hollywoodien qui se respecte, le Bien lemporte obligatoirement sur le Mal. Il existe à ce sujet une espèce de Loi Gayssot nord-américaine pour garantir les spectateurs contre toute mauvaise surprise.
De plus, les ligues de vertu nont pas eu à se plaindre des programmes sociaux de Johnson.
Dès 1965, furent mis en place les programmes de la "Big Society" promise pour succéder aux velléités dassistanat apparues sous John F. Kennedy, arraché à laffection universelle à Dallas en 1963 (1).
En particulier, depuis lors le système Medicare, aura induit plus de dépenses publiques en maladie en 35 ans aux États-Unis que le monopole français de la Caisse nationale dassurance maladie nen a engendré en France depuis 1945. Il a fallu attendre 30 ans (cf. notre Courrier du 31.7.1996 suivi de l'article de Joseph Lieberman ) pour quun président, dailleurs démocrate, mais sous la poussée des majorités républicaines du Congrès, reconnaisse publiquement la plaie financière, mais aussi la nuisance sociale, de toutes les institutions mises en place par la "Big Society" des années 1960, sous lemprise des bons sentiments.
Pour dire le vrai, la présidence de Johnson se révéla un désastre.
Et cependant son élection avait été soutenue par lunanimité des bonnes consciences.
La présidence de Johnson embourba les États-Unis au Vietnam dans une conception technocratique de la guerre, ingérable et ruineuse. La présidence de Johnson vit se développer cette durable poussée de lidéologie gauchisante, de la criminalité galopante et de la puissance mafieuse qui révulsa contre lAmérique pendant quelque 30 ans, tout Européen normalement constitué. De plus, laddition des budgets militaires et sociaux américains, sous la présidence de Johnson, empoisonna lordre économique international pendant des années. Ceci conduisit à la liquidation dès 1971 de la parité or du dollar. Il a fallu, là aussi, attendre plus dun quart de siècle pour assainir la situation.
Tout cela a été rendu possible par la diabolisation de Goldwater
Goldwater nosait-il pas dire, face au communisme : "Pourquoi pas la victoire ?" Insensé et inconvenant, nest-ce pas ? On laccusait de vouloir ni plus ni moins la guerre nucléaire. Et les crispations convulsives anti Goldwater ont provoqué une série de triomphes pour lUnion soviétique. En vérité ces avancées du communisme international durèrent, jusquà lélection de Reagan en 1980 (2).
Le Code pénal français prévoit encore la prescription des crimes, principe que nous avons hérité en occident du Droit romano-byzantin. Je puis donc avouer aujourdhui, sans crainte ni repentance, avoir éprouvé en 1964 une sympathie active pour le sénateur de lArizona Goldwater, victorieux lors de la convention républicaine du très "libéral" Rockefeller.
Pis que ça : non seulement jai collé à Paris des affichettes artisanales soutenant Goldwater, mais je les ai fabriquées et financées de mes deniers. Je lai fait avec la complicité damis de 30 ans, dont je tairai aujourdhui le nom. Ma seule honte cest de navoir pas pressenti, à lépoque, que certains deviendraient des politiciens et vivraient dargent public.
En 1964 Goldwater disposait dun seul soutien notable dans le paysage intellectuel et universitaire occidental. Ce soutien nétait cependant pas dénué de signification du point de vue des économistes. Il sagissait de Milton Friedman, auteur en 1962 du courageux "Capitalisme et Liberté" et qui fut son conseiller économique officiel (3). Prix Nobel dÉconomie en 1976, il aura été le vrai rénovateur de la pensée économique occidentale de la seconde moitié du XXe siècle, notamment en raison de son irremplaçable "Histoire monétaire des États-Unis" de 1963. Il y démontrait sobrement que tout ce que les keynésiens ont propagé, à propos des raisons de la crise de 1929, est aussi faux que la description de lindustrie du XIXe siècle dans les romans dÉmile Zola.
Ma
repentance est, je le souligne à nouveau, absolument nulle.
Elle l'est demeurée en dépit des exhortations de lÉpiscopat et de la Sorbonne, en dépit des éditoriaux du Monde, en dépit des déferlements de bons sentiments de lépoque. Je sais, en effet, que Goldwater avait raison (4). Et, contre lui, tous les infaillibles unanimes se sont trompés : Jean-Paul Sartre plus encore que Paul VI. Et toute la petite vermine gauchiste est montée depuis lors en graine. Et elle monopolise lexpression médiatique. Mais tous ces gens avaient tort hier.
Ils nont jamais cessé davoir tort. Ils avaient tort sur la Chine de Mao ; ils avaient tort sur Cuba ; ils avaient tort sur le Vietnam ; et ils avaient tort sur cette délicieuse Algérie indépendante, dont les drapeaux ornaient, si agréablement et opportunément, la place de la République à Paris, au soir de ce dimanche 5 mai pour saluer, en leur second avènement, Jacques et Bernadette.
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