COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
JEUDI 9 MAI 2002
URGENCES EUROPÉENNES DU NOUVEAU GOUVERNEMENT
Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin va devoir rassurer la Commission européenne et son président Romano Prodi
Lannonce, le 7 mai, à la veille de deux anniversaires européens (1) de la composition du gouvernement Raffarin a donné loccasion de mesurer la place que le caractère européen des affaires occupe dans lesprit des dirigeants français.
On a propagé, entre les deux tours de scrutin, une frayeur, à lidée quun éventuel président protestataire envisage de renégocier les traités européens. Cette grande peur naura été quun argument électoral. Les affaires européennes ne seront toujours quune modeste succursale du quai dOrsay. Elles seront confiées à un honorable UDF, M. Renaud Donnedieu de Vabres, inconnu des Français. Celui-ci sera seulement "ministre délégué" aux Affaires européennes, auprès du ministre des Affaires étrangères, lequel est explicitement chargé "de la Coopération et de la Francophonie", cest-à-dire de lAfrique et de lOutremer.
Cette tentation dun retour 40 ans en arrière méritera très vite dêtre éclaircie. La France a certes encore dimportantes responsabilités à exercer en Afrique. Elles ne sont ni négligeables ni méprisables. La réforme de lAide au développement sera de ce point de vue la première des urgences, à condition de la mener sérieusement.
Mais le premier partenaire, la première préoccupation du pays réel, quil sagisse de culture, de technologies de pointe ou dindustrie lourde, ce nest pas lAfrique, cest lEurope. Ce choix lucide semblait irrémédiable depuis le Traité franco-allemand de 1963. On la, certes, vu seffilocher depuis 1995. Et certains se demandent en Europe si Elf-Gabon nest pas, pour les dirigeants français, une affaire plus importante quAirbus Industrie ou la fusée Ariane, que les partenariats industriels ou militaires franco-allemands ou les programmes européens tels quErasmus, etc. Permettez-moi darrêter : la liste est trop longue !
Il est urgent que le nouveau gouvernement rassure lEurope sur ce point.
Noublions pas que pendant les dernières années, le gouvernement français, où les affaires communautaires étaient confiées au très arrogant M. Pierre Moscovici, avait déconcerté les Européens, et pas seulement par la bizarrerie constitutionnelle de la cohabitation !
Il ne servirait à rien davoir contribué à créer leuro, si cest pour le raccrocher au franc CFA. Il serait confondant davoir stigmatisé quelques propos ambigus destinés à flatter des électorats supposés "souverainistes", si ce devait être aujourdhui pour faire de M. Saint-Josse linspirateur de notre relation à lEurope.
Lurgence ne sera dailleurs pas seulement dans les définitions doctrinales.
Lurgence frappe à
nos portes en fonction déchéances très précises.
Celles-ci porteront très vite :
sur le calendrier de résorption des déficits budgétaires,
mais aussi sur la réforme des institutions communautaires,
et simultanément sur les accords délargissement.
Lélargissement à lEst européen est un processus presque irréversiblement engagé et, à la fois, problématique. Il doit entraîner ladhésion de 10 ou 12 pays à lhorizon très proche de 2004. Or, ses conséquences sur le système européen seront considérables.
Car lEurope à 25 ou 27 cela ne pourra plus fonctionner sur la base du traité de Rome de 1957, mis en place pour les 6 pays fondateurs de la Petite Europe carolingienne, à dominante alors démocrate chrétienne, difficilement agrandie aujourdhui à 15, vaguement réformée en 1991 à Maastricht et en 1997 à Amsterdam.
En particulier si lidée fédéraliste lointaine demeure inhérente au projet, une Europe fédérale ne pourra voir le jour à 27 que sur une très longue période (3)
Notons aussi que les conséquences de lélargissement ne seront pas seulement institutionnelles. Par exemple la fameuse Politique agricole commune sera remise inéluctablement en question. Or, M. Chirac nous a rappelé quelle représente 40 % du revenu des exploitants agricoles français.
Le drame actuel est aussi de nexpédier vers les institutions européennes que des gens considérés comme dévalorisés à linterne. Ainsi, M. Giscard dEstaing, préside la convention de 105 personnes se réunissant à Bruxelles sur la refondation de lEurope. Il se proposerait volontiers de revendre à nos partenaires, à léchelon communautaire, ce qui ne fonctionne même pas correctement dans lHexagone : lélection dun président au suffrage universel ! (4)
En revanche les bons esprits qui nous gouvernent ne prennent même pas vraiment au sérieux les règles de concurrence (5) résultant de lActe Unique européen de 1986, non plus que les convergences monétaires impliquant la liquidation de nos déficits, ni le démantèlement des monopoles nationaux.
Formés à lécole de la technocratie dirigiste, nos énarques confondent encore lÉtat de Droit et le Droit de lÉtat.
Noublions pas, par exemple, quun déficit public comblé par un emprunt du Trésor cest autant de milliards arrachés au développement des capacités productives du pays.
On peut certes envisager dy recourir très momentanément, mais il serait gravissime de se réinstaller dans une culture du déficit simplement par peur démagogique de réduire la dépense publique.
On entend souvent exprimer la crainte dun Super-État surgissant à Bruxelles dont la virtualité demeure hypothétique. Mais les dégâts les plus graves sont bel et bien ceux de la réalité du Sous-État croupissant à Paris, où lombre de Karl Marx ne semble sévanouir que pour laisser la place aux ténèbres dAlzheimer.
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(1) Qui songe encore aux anniversaires européens ? Combien de Français songent-ils que le 8 mai est férié à Paris en souvenir de larmistice de 1945 et le 9 mai à Bruxelles comme anniversaire de la déclaration Schumann de 1951
(2) Lincertitude porte seulement sur 2 pays, la Roumanie et la Bulgarie, jugées trop éloignés des critères économiques pour entrer dans lUnion. Contrairement à ce que lon a pu imaginer il est "actuellement" hors de question de laisser entrer la Turquie. Son plus actif soutien en Europe avait été, de 1995 à 1997, le gouvernement Juppé. Ministre des Affaires étrangères du gouvernement Balladur, M. Juppé avait précédemment imposé, à partir de 1994, contre le vu du parlement européen, la ratification de lUnion douanière avec la Turquie. Même si aujourdhui lexcellent M. de Villepin, quon peut supposer habité de la même rêverie, imaginait à nouveau dimposer ce 13e candidat à ses 14 partenaires, il réussirait surtout à les indisposer un peu plus contre lui-même, contre la France et contre son président. M. Védrine plaidait éloquemment, lui, pour 27 membres dès 2004 comprenant la Bulgarie et la Roumanie.
(3) Peut-être 30 ou 50 ans. Rappelons que les États Unis ont attendu lannée 1861 début de leur terrible guerre civile, pour découvrir que leur constitution, ratifiée au départ par 9 États en 1788, était de type fédéral et non confédéral. Pour écarter tout malentendu sur le traité de Rome de 1957, il serait sans doute préférable dattendre pacifiquement 10 ans de plutôt que de subir une guerre civile vers 2038 Est-il en revanche choquant daccepter à lavance quentre 2035 et 2040 nos arrières petits enfants évoluent vers une Europe de type fédéral ? Tant pis pour les gens qui confondent un débat de principe et un débat de calendrier : il est pour lidentité française des perspectives plus redoutables que celle-là.
(4) Imagine-t-on une seconde ce que donnerait un affrontement tel que celui que la France a vécu du 21 avril au 5 mai, transposé à léchelon communautaire, avec deux adversaires qui ne seraient pas de la même nationalité ? Berlusconi-Laguiller ? À part cela, Giscard passe pour le plus intelligent de nos hommes politiques et les Français imprimaient naguère deux-mêmes quils étaient "le peuple le plus intelligent de la terre" (sans jamais éprouver le sentiment dêtre effroyablement chauvins).
(5) Le quotidien de la pensée unique est ainsi allé consulter loracle Delors : le père de Maastricht déclare aujourdhui que lapplication des principes qui étaient pour lui intangibles il y a 10 ans et quil a imposés à lUnion européenne ne méritent même plus quon sy attarde. Cependant il déplore, à juste titre que "les dirigeants français nassument plus lEurope" (Le Monde 3 mai 2002).
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