COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
MARDI 14 MAI 2002
PSYCHODRAME BUDGÉTAIRE EUROPÉEN ET RÉALITÉS
Faites-moi de bonnes politiques et je vous ferai de bonnes finances
Comme il fallait sy attendre, les annonces de décrues fiscales du gouvernement ont provoqué une tempête dans un verre deau. Le psychodrame dune prétendue crise européenne autour de ce dossier a, reconnaissons-le, des effets pédagogiques salutaires. La gauche en effet sessaye aujourdhui, par "journalistes objectifs" interposés, à vanter les mérites de finances vertueuses et euro-compatibles. Personne ne lui en voudra de semer, contre elle-même, ce bon grain de froment dans son propre champ envahi divraie. Si la vie politique devenait intéressante, on aimerait bien savoir comment une telle dialectique contribuera au rapprochement avec les 5 % de voix chevènementistes et les 16 % de voix dextrême gauche et communistes, sans lesquelles il sera difficile à M. Hollande dobtenir une revanche sur la déconvenue du scrutin présidentiel.
Cest le problème de la classe politique, pas celui de la société civile.
Car la vraie crise de lEurope se situe aujourdhui à un tout autre niveau.
Et on pourrait suggérer quil va être préférable dattendre, au moins, encore 2004 ou 2005, pour envisager sereinement un redressement du cours de lEuro.
Dici là, en effet, les entreprises européennes auront probablement plus intérêt à ce que le cours de notre monnaie demeure médiocre, afin de pouvoir résister aux poussées de la concurrence industrielle américaine.
Nous sommes par exemple en train de mesurer, avec les étonnants résultats de lindustrie automobile japonaise, les effets positifs dune monnaie faible ou médiocre comme lest le yen après 10 ans de stagnation de lempire du Soleil Levant. Malgré la crise, les industries performantes sen tirent à linternational et même parfois sur le marché intérieur, cependant que se détériorent lentement les conditions des titulaires de revenus fixes, rentiers, retraités, subventionnés et assistés. Compte tenu du poids considérable de ces diverses catégories dans la société européenne, il est actuellement inutile de se battre pour un Euro fort, et il est assez satisfaisant de mesurer que ceux qui, ne layant pas compris, souhaitent un Euro fort, soient incapables de transformer leur désir en réalité.
La vraie question européenne nest pas aujourdhui celle de la monnaie, ni celle des équilibres budgétaires arithmétiques, encore moins celle de la mise en place dun "gouvernement économique de lEurope" (1). Le vrai problème cest le ralentissement des gains de productivité du travail européen, face à létonnant redressement de la productivité américaine.
Dans la période 1990-1995 en effet lEurope était dans une phase de libération des échanges et les États-Unis piétinaient, au contraire, sous leffet de la présidence de Bush Ier suivie de la première phase (1992-1994) de la présidence clintonienne. Alors la productivité européenne progressait de 2 % lan en moyenne, contre 1,5 % pour la productivité américaine.
Depuis 1995, sous la pression de majorités républicaines au Congrès (à partir des élections intermédiaires de novembre 1994) les États Unis ont entrepris une politique de chasse aux gaspillages dÉtat, alors que lEurope commençait à changer dorientation : fin du thatchérisme et arrivée de Jospin en 1997, défaite de Kohl en 1998, coalition de lOlivier avec les anciens communistes du PDS en Italie. À la fin de lan 2000, les sociaux démocrates étaient partout au gouvernement, sauf en Espagne et en Irlande.
Il sen est suivi un renversement de tendance : la productivité américaine progresse, depuis lors, de 2,5 %, soit deux fois plus vite que son homologue européenne avec 1,3 %.
Souligner de la sorte le lien entre politique et économique ce nest pas exacerber une polémique partisane entre droite et gauche. LÉconomie de marché peut parfaitement être compatible avec un progrès social réputé à gauche. Il en est ainsi en Suède, où le socialisme a fait beaucoup (trop) pour la redistribution, mais où lÉtat nest jamais intervenu dans lindustrie. On retrouve un schéma analogue dans lAngleterre de Tony Blair. À linverse en France des gouvernements qui se voulaient ou qui se croyaient de droite, sous Giscard, Balladur ou Juppé ont vu saccumuler les monstres étatistes, les prélèvements et les archaïsmes. La vraie frontière se situe entre les gaspillages et subventions, dune part, qui nous semblent le lot des Nouvelles Régulations, ou, à linverse dautre part, la responsabilisation des acteurs économiques.
Il est trop tôt pour savoir, dans la compétition entre lEurope et les États-Unis, si le gouvernement Bush va effectivement senliser, à son tour, dans une dérive budgétaire, interventionniste, subventionniste, protectionniste et déficitaire qui semble liée à la fois au caractère exceptionnel de la conjoncture et aux échéances électorales de novembre 2002.
Il est en revanche certain que lEurope, elle, devra redresser la barre. Il faut souhaiter que le gouvernement Berlusconi réussisse en Italie et probablement quaussi, en septembre, lactuelle coalition gouvernementale Rouge-Verte reçoive du peuple allemand la correction quelle mérite.
En France, si lon veut qu'un jour le pays se redresse, il ne faudra pas se contenter de lever lhypothèque de lappareil politique du PS, il faut assainir le pays de tout lhéritage négatif du socialisme des 20 dernières années. Voilà la vérité.
(1) Une idée funeste sur laquelle les énarques français sont, fort heureusement, très minoritaires.
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