Revenir à la page d'accueil ... Accéder à nos archives ... Accéder au Courrier précédent

COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

MERCREDI 15 MAI 2002

N'EST PAS REINE D'ANGLETERRE QUI VEUT

Présider autrement : Jospin en rêvait, Chirac le fera-t-il ?

Présider autrement : c'était un slogan de la campagne de M. Jospin, éliminé dès le premier tour du scrutin. Sans cette déconvenue, le Premier ministre sortant en aurait sans doute fait un axe stratégique de sa campagne de second tour. Et on aurait alors mieux mesuré la désaffection profonde dans laquelle est tombée la Constitution de 1958.

Simplement, dans notre pays, il existe une terrible ambiguïté des mots et des raisonnements. On les retourne systématiquement contre leur signification profonde et naturelle. Cela commence, bien sûr, par notre fameuse Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789. Son application concrète contredit mot pour mot tout l'énoncé apparent, qu'il s'agisse de la liberté de pensée ou du droit de propriété.

Nous n'en sommes pas sortis avec les réformes mises en place dans les 20 dernières années. On a inventé, par exemple, une loi sur les fondations en 1987. Mais cette loi a eu pour effet d'interdire un peu plus l'existence libre de fondations françaises sur le territoire de la république.

L'article 4 de la Constitution dispose, ou plutôt affirme (aliéna 1) que "les partis et groupements politiques sont l'expression du droit de suffrage". Mais on ne sait absolument pas ce qu'est en droit comme en fait un parti ou un groupement politique. Ou plutôt, on a explicitement fabriqué une législation financière qui subventionne des institutions floues, dont la démocratie interne demeure évidemment approximative. Et la manière dont se met en place l'Union pour la Majorité Présidentielle en est une éclatante illustration.

Il paraît donc que le chef de l'État aurait entendu le profond désaveu infligé à la classe politique le 21 avril. Dès le 22 avril, nous démontrions, chiffres en main, que le petit glissement en pourcentage de voix (ce soir-là Le Pen + Mégret + Boutin c'est à peine plus que Le Pen + Villiers en 1995 et, à l'extrême gauche, les voix staliniennes se sont déportées vers des candidats trotskistes) ne dénote que des évolutions lentes et constamment observables. Le prétendu coup de tonnerre n'est venu que de la configuration insolite et fratricide du second tour.

La nuance est de taille.

Nos énarques et leurs communicateurs n'ont entrevu de la sorte que l'apparence de l'éclair, et ils demeurent sourds aux grondements de l'orage.

La classe politique prétend réformer elle-même son propre fonctionnement, tout en verrouillant soigneusement toute remise en cause et toute concurrence venue d'en bas.

Toutes les lois récentes réformant la vie politique, ou prétendant la moraliser, ou l'ouvrir aux jeunes loups et aux petites louves, confirment cette erreur de parallaxe. Ainsi de la loi de financement, ainsi des velléités de parité entre hommes et femmes, ainsi de la loi du 5 avril 2000 sur le cumul de mandats. Personne ne demandait cette loi de non-cumul, surtout pas ceux qui élisent leur maire à la députation, etc. Tout cela viole, en fait, le droit des électeurs de choisir librement leurs élus, car, dans la pratique, une fois élus, ils démissionnent et cèdent la place à d'autres.

Mais dès lors qu'un personnage, ... qui n'est fort que du soutien dans l'électorat 14 % des inscrits, — car tel était le pourcentage de M. Chirac au soir du 21 avril ... prétend parler au nom de tous, 48 heures plus tard — "tous nous pensons" n'hésitait-il pas à dire à Rennes le 23 avril pour refuser de débattre avec un adversaire imprévu ... on glisse effectivement sur une pente qui tend à éliminer, en traitant de populistes, les concurrents jugés inconvenants par la bienséance de l'établissement.

Pas une seconde, il ne nous viendrait à l'idée de remettre ici en cause la légalité, la régularité et, à certains égards la légitimité constitutionnelle du chef de l'État.

Simplement, ses prérogatives demeurent imprécises. Elles pourraient bien se trouver ramener à celles de la reine d'Angleterre.

Aux termes de l'article 20 de la Constitution "le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation". Et il n'est pas évident que cet article ne prenne toute sa portée dans quelques semaines. M. Alain Juppé, inspirateur officieux et notoire de sa composition fait semblant de croire que le Premier ministre n'y serait qu'une sorte de Directeur de cabinet du président de la république. Eh bien M. Alain Juppé est sujet à l'erreur.

Le président de la république commandera-t-il aux ministres ?

Constitutionnellement, la réponse est non.

Les ministres sont-ils d'ores et déjà docilement à ses ordres ?

Il suffit d'observer la manière dont tous, en maugréant, ils ont dû faire semblant du 10 au 13 mai, d'obtempérer à l'ordre de démissionner de leurs mandats municipaux et régionaux, ce qui n'est prévu par aucune loi, seulement par la "jurisprudence Jospin".

En effet, pour gagner du temps et, surtout ne pas avoir tout perdu en cas de victoire de la gauche aux législatives des 9 et 16 juin, ils s'appuient sur les délais formels de cette "démission forcée".

Chaque maire démissionnaire, par exemple, est tenu d'adresser sa lettre de démission au préfet ; celui-ci doit ensuite convoquer un conseil municipal en vue d'élire un nouveau maire. Or, au cabinet de Michèle Alliot-Marie, maire de Saint-Jean-de-Luz, on indique que le conseil municipal "pourrait se réunir avant fin juin". François Fillon, lui, ministre de la sécurité sociale, qualifiait pendant la campagne la jurisprudence Jospin de "parfaitement hypocrite". Le 13 mai, il indiquait son intention de "quitter dans les prochains jours" ses fonctions de président du conseil régional des Pays-de-Loire. Mais il a précisé que l'élection d'une nouvelle commission permanente "n'aura pas lieu avant le courant du mois de juin". M. Fillon a délégué ses pouvoirs à son premier vice-président, pour "assurer la continuité de l'exécutif". M. Fillon entend rester président du groupe de la majorité régionale. "Ses interventions resteront les plus écoutées" souligne son directeur de cabinet, "il continuera d'impulser la politique du conseil régional et, bien entendu, il se représentera à la présidence si la droite ne gagne pas les législatives. (1)

Vous avez dit "parfaitement hypocrite" ?

Au premier échec (2) du cavalier Chirac, le cheval se cabrera. La question constitutionnelle reviendra alors au premier plan. Le temps du verrouillage plébiscitaire est révolu.

• JG Malliarakis •

(1) Cité par Le Monde du 15 mai.

(2) La chose est possible !!! Les esprits bassement polémistes, et les mauvais Français qui mettraient en doute le dogme de l'Infaillibilié présidentielle théologisé par Michel Debré, pourront consulter le site chiraccablant.

 

Revenir à la page d'accueil ... Accéder à nos archives ... Accéder au Courrier précédent