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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

VENDREDI 24 MAI 2002

EN FINIR AVEC LE FARM BILL !

EN FINIR AVEC LA PAC !

La contagion des protectionnismes constitue un grave danger pour l'Europe.

À l'heure où le président des États-Unis visite l'Europe, on assiste sans surprise à une montée des critiques, des contestations et des décharges d'adrénaline. Elles doivent être classées selon leur degré de pertinence.

Les premières, d'ordre culturel, ne sont pas recevables. Elles relèvent des fantasmes habituels. Elles sont à la fois dérisoires et révélatrices d'inexplicables complexes d'infériorité. On ne s'y attardera pas ici.

D'autres, d'ordre stratégique, s'agissant de nos alliés (1), sont plus surprenantes, ou devraient l'être singulièrement en France, où cependant elles prospèrent tout particulièrement. (2)

En revanche, nous avons le devoir de partager avec une partie non négligeable de l'opinion éclairée des États-Unis certaines inquiétudes qui portent d'ailleurs sur l'intérêt commun des Américains et des Européens.

En particulier, on doit s'interroger d'urgence quant aux dangereuses poussées de protectionnisme, de plus en plus préoccupantes, et qui menacent de devenir contagieuses, dans les orientations du gouvernement Bush.

Il y a évidement ce qu'on appelle peut-être un peu emphatiquement la "guerre de l'acier", provoquée (cf. nos Courriers du 7 mars et du 4 avril) par la décision le 5 mars du président Bush de "protéger" unilatéralement ses produits sidérurgiques, violant ainsi les règles de l'OMC. Le 21 mai, on apprenait par exemple aussi qu'une taxe de 24 % allait frapper l'huile de soja, les papiers recyclés et les compresseurs électriques importés aux USA. De plus, parallèlement à ces tensions protectionnistes, ponctuelles et manifestement électoralistes, on voit recommencer certains errements budgétaires et des déficits. Ceux-ci sont présentés par les faux lettrés comme "néo-keynésiens". Ils sont surtout parfaitement contraires à toute l'action courageusement menée par les représentants et les sénateurs du parti républicain depuis 1994.

Mais, bien entendu, la grande affaire c'est le nouveau Farm Bill.

Ce nouveau texte agricole américain est grave, avant tout parce qu'il constituera un encouragement redoutablement efficace à la surproduction américaine. L'habitude aux États-Unis, qui commence à déteindre en Europe, est d'annoncer des valeurs de dépenses, en hausse ou en baisse, étalées sur plusieurs années. Le Bill signé par Bush le 13 mai, portera sur 173 milliards de dollars pour 10 ans de financement public de la production agricole. Cela est d'autant plus monstrueux que cela corresponde à une hausse de 70 % !

Mais on doit aussi rappeler que cela va engendrer une contagion. Les dirigeants français par exemple vont clamer encore plus haut et encore plus fort, aiguillonnés par l'inoxydable FNSEA, leur désir de maintenir et de renforcer les subventions européennes aux agricultures européennes dans le cadre de la politique européenne agricole commune, la fameuse PAC réformée en 1992. À ceci près, d'ailleurs, que la réforme de 1992, et les orientations françaises spécifiques tendent à soutenir le revenu des agriculteurs sans chercher désormais à développer aussi intensément la production.

On doit bien comprendre aussi que, depuis 40 ans, ces politiques agricoles ont eu l'effet inverse de ce que croient, en France, les gentils citadins qui voudraient aider les paysans français à rester à la terre. En réalité, plus généralement, tout ce qui a été accompli depuis 1945 par la nomenklatura syndicale agricole française a eu pour effet, et probablement aussi pour objectif conscient de chasser de l'espace rural les petits paysans et d'empêcher dans la France rurale le développement d'activités indépendantes, artisanales ou de services.

La preuve absolue de cet aspect des choses est administrée par le cas de l'Angleterre, qui n'ayant jamais sacrifié à l'idéologie et à la mythologie agrariennes françaises, compte cependant aujourd'hui plus d'exploitants agricoles au km2 que notre beau pays.

Une guerre des subventions agricoles entre l'Europe et les États Unis, effectivement relancée par les décisions du président Bush, serait probablement bénéfique pendant quelques années pour certains fermiers américains. Elle sera peut-être favorable aux républicains dans l'élection sénatoriale du Dakota du sud, décisive pour le monde en novembre prochain. Mais elle serait catastrophique pour l'Europe, peut-être même pour l'élargissement de l'espace européen à l'Est, et pour la cause de la liberté des échanges. Elle engendrera des conséquences redoutables pour les pays pauvres dont on refuse les pauvres produits. Elle le sera encore plus pour les plus pauvres. Ainsi en est-il d'ores et déjà, par exemple, de ce malheureux Mali, auquel le protectionnisme des pays du Nord entrave la vente et la transformation de son coton, et chasse sa jeunesse vers l'assistanat des métropoles européennes.

Nous n'ignorons pas, lisant parfois les gazettes, que ceci entraîne pour effet secondaire des conséquences électorales, qui semblent aussi conforter les plans de carrière des ministres sécuritaires. Nos lecteurs ne nous en voudront pas d'éprouver, contrairement à nos chers hommes de l'État, moins d'intérêt direct pour ces passionnantes perspectives politiciennes et ces plans de carrière que pour l'intérêt et l'avenir de l'Europe et des Libertés.

• JG Malliarakis •

(1) Jusqu'à plus ample informé la France est signataire du Traité de l'Atlantique de 1949. L'éventuelle transformation de cette relation d'alliance en une relation plus servile n'est imputable qu'aux seuls dirigeants européens.

(2) Je ne retire pas ici ce que j'ai écrit en 1982 dans un livre consacré à Yalta. Au fond, le principal grief historique que l'on peut sans doute faire aux Américains, depuis plus de 200 ans, c'est d'avoir (pratiquement) toujours été les alliés de la France et de s'être voulus, parfois maladroitement, les amis du peuple français en appuyant la folie de ses dirigeants. Il est certes vrai que du vivant de Roosevelt, c'est-à-dire jusqu'au printemps de 1945, le gouvernement de Washington n'a jamais confondu cette alliance et cette amitié avec une considération particulière pour le génie politique et la contribution militaire du général De Gaulle. Mais ceci est une autre histoire.

Quant à l'exemple le plus récent, et légitimement controversé, de l'opération Kossovo de 1999, on doit à la vérité de souligner que — selon les dires mêmes de l'intéressé — c'est le président Chirac, après avoir entraîné Tony Blair dans cette démarche, qui s'est rendu auprès du président (démocrate) Clinton, alors hostile à l'intervention, pour le supplier de bombarder Belgrade.

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