COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
LUNDI 3 JUIN 2002
VIVE LE DÉCONVENTIONNEMENT
Il permettrait de diminuer de 1 point les charges sociales de tous les Français !
(ci-dessus : la CSMF, la Dr Mattei, et M. Spaeth)
Le Dr Mattei, ministre de la Santé, a sans doute eu raison, nous entendons par là qu'il a certainement ses raisons, d'avoir appelé dans le Journal du Dimanche (2 juin) tous les interlocuteurs du conflit médical à "prendre leurs responsabilités".
Seulement, sur cette simple expression de prise de responsabilités, il serait nécessaire de s'entendre.
En effet depuis exactement le 15 novembre (1) les médecins généralistes sont en conflit ouvert avec les caisses étatisées de sécurité sociale. Aujourd'hui tout le monde a retenu que la revendication porte principalement sur le passage d'un tarif de consultation ordinaire de généraliste de 18,5 à 20 euros.
En janvier on avait pu croire le conflit terminé. La Fédération nationale de la mutualité avait même cru pouvoir communiquer le 24 janvier sur sa satisfaction quant au nouvel accord entre l'assurance maladie et "les" médecins généralistes. C'était aller un peu vite en besogne. Les élections professionnelles en effet avaient clairement et démocratiquement désigné pour principal syndicat représentatif des médecins français la CSMF. La centrale rivale MG France, proche du pouvoir socialiste, était battue à plate couture. Or le mécanisme conventionnel avait permis de se contenter de la seule signature de l'accord par MG France.
Et la grève est alors repartie. Plus de 4 mois après ce prétendu accord et après plus de 6 mois de conflit. Cette grève dure encore. Et le Dr Mattei, ministre de la Santé serait si heureux d'en finir avant le premier tour des élections législatives !
Car au delà même de la rivalité interne entre la CSMF et MG France, le phénomène habituel de la Coordination contestataire déborde les bureaucraties syndicales, dans cette profession comme partout. Et même les instances corporatives vermoulues de l'ordre des médecins se mêlent du conflit.
Et les contestataires ont lancé un mouvement beaucoup plus radical dans sa forme. Cela a commencé en Mayenne le 18 mai, puis s'est étendu chaque jour à un nouveau département. Le mot d'ordre qui s'impose est le déconventionnement.
Pour le moment, un tel courant, qui fait tache d'huile, s'en tient à une menace purement tactique. Réglementairement en effet, les lettres de déconventionnement adressées par les praticiens à l'assurance maladie ne prennent effet qu'après l'expiration d'un délai de deux mois.
Or, on peut légitiment penser qu'un vrai déconventionnement de la médecine de ville française serait le point départ d'une évolution libératrice. Et donc on doit se féliciter qu'une telle idée révolutionnaire, ou plutôt contre révolutionnaire, puisse commencer à germer dans les esprits du fait même que le geste tactique et symbolique en aura été massivement et collectivement accompli. Car aujourd'hui encore sur les quelque 500 000 professionnels de santé et sur les millions de cotisants effectifs du système monopoliste de sécurité sociale très peu imaginent possible de s'en libérer.
Ils ont actuellement en face d'eux un personnage nommé par Juppé en juillet 1996, en la personne de l'apparatchik CFDT Jean-Marie Spaeth, président théorique de la Caisse nationale d'assurance maladie, que les plus déterminés des contestataires semblent tenir pour responsable des scandaleux incidents du 29 mai à Bayonne, où on a vu les forces de l'ordre public matraquer les médecins manifestant pour leur liberté. Bilan : 8 blessés.
Il serait intéressant de voir le fusible Spaeth sauter au moment même où, le Medef continuant de miser sur la maîtrise comptable des dépenses de Santé et sur la coopération avec la CFDT, celle-ci se voit doter d'un nouveau secrétaire général M. François Chérèque.
Soulignons que les dépenses publiques en maladie n'auront jamais autant dérivé que depuis la mise en place du système planificateur de MM. Juppé et Barrot et notamment depuis la farce du vote solennel annuel par le parlement d'un Objectif National des Dépenses d'Assurance Maladie, l'Ondam.
Globalement en effet, sur l'année 2000, dernière année pleine examinée par la Cour des Comptes (2), par rapport aux chiffres planifiés de l'Ondam, le dépassement aura été de 17,3 milliards de francs soit 2,6 milliards d'euros. Le paradoxe est d'ailleurs que les caisses, les mutuelles et les technocrates d'État (3) sont moins préoccupés par la dérive des honoraires médicaux (+ 5,6 % sur l'année 2000, + 5,4 % pour les généralistes) que par celle des indemnités journalières (+ 8,3 %) et surtout celle des dépenses en médicament (+ 10,7% sur la même période). Et c'est précisément pour associer les praticiens à la baisse des consommations de médicaments, c'est parce qu'ils les pensent comme prescripteurs des traitements et qu'ils supposent les médecins généralistes responsables des dépenses induites, que les planificateurs, c'est-à-dire les gens de la CFDT mais aussi du Medef, s'opposent depuis 6 mois au relèvement à 20 euros de la consommation médicale. Les planificateurs veulent en effet associer les médecins à leur politique, d'ailleurs discutable, du médicament générique (4).
Cette attitude est tout à fait symptomatique, et combien dérisoire, dans la mesure où les Français sont de considérables consommateurs de médicaments, et qu'ils sont encouragés en cela par une politique de prix bas imposée depuis 50 ans par les pouvoirs publics. Ainsi pendant l'année 2000, non seulement 220 médicaments nouveaux ont été admis au remboursement, ce qui doit être considéré comme un progrès, mais le nombre d'unités vendues a encore augmenté de 4,3 %.
Au total, tout le dispositif d'encadrement d'État a produit un dérapage des dépenses sans précédent (5).
Alors, puisque la contrainte, l'encadrement, et la répression, imaginés par Juppé, appliqués par Aubry puis continués par Guigou ont échoué, pourquoi en pas essayer au contraire le respect, la responsabilité et la liberté ?
On peut estimer légitimement que la meilleure manière de faire diminuer les dépenses publiques c'est tout simplement de privatiser. Pourquoi ne pas libéraliser des dépenses que la plupart des assurés sociaux peuvent auto-assurer ? Si par exemple on limitait aux seuls bénéficiaires de la CMU, aux cas exonérés du ticket modérateur et aux retraités de la MSA, le remboursement des consultations de généralistes, on pourrait à la fois augmenter le prix de ces consultations, en finir avec les conventionnements de plus en plus contraignants, et réduire immédiatement de 1 point le montant des charges sociales supportées par tous les Français et qui pénalisent l'économie...
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(1) Le 15 novembre était symboliquement l'anniversaire d'un discours historique prononcé à l'Assemblée nationale en 1995 par le Premier ministre d'alors, M. Juppé, toujours "droit dans ses bottes".
(2) Dans son Rapport spécial annuel de septembre 2001.
(3) Le ministère des Finances dirige et décide en dernier ressort pour tout le dispositif. En fait, ni le Dr Mattei ni M. Spaeth n'ont grand-chose à dire.
(3) En toute logique, et à supposer qu'elle soit vraiment pertinente, la promotion du médicament générique devrait plutôt reposer, semble-t-il, sur un véritable accord contractuel avec les pharmaciens, ou tout simplement sur un déremboursement de la différence entre le coût du médicament effectivement consommé et celui du générique.
(5) Compte tenu d'une inflation relativement modeste de 2%.
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