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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

MARDI 11 JUIN 2002

MORALISER LE FINANCEMENT DES PARTIS ?

À la veille de disparaître (?) le parti communiste n'a pas encore régularisé sa situation légale.

À entendre en ce moment de nombreux commentateurs et de bons esprits, il serait urgent de réformer, une fois de plus, les lois et règlements organisant le financement public de partis politiques. Et la raison invoquée justifiant cette urgence serait que l'actuelle législation, certes coûteuse et subventionniste, aurait encouragé la multiplicité des candidatures et la dispersion des suffrages : 8 444 candidats en tout soit 14,6 par circonscriptions.

On sait que les plus petites formations, dès lorsqu'elles ont pu présenter au moins 50 candidats reçoivent pour commencer 1,60 euro par électeur. Et les budgets deviennent infiniment plus intéressants dès lors que les partis obtiennent des élus.

En vérité tout économiste tant soit peu informé sera toujours hostile à toutes les formes de subventions, comme il est hostile aux barrières douanières. Le protectionnisme entraîne les producteurs à la routine, pénalise les consommateurs et, plus encore, il fait payer les utilisateurs de produits intermédiaires. De même le subventionnisme est-il toujours destructeur puisqu'il encourage les activités artificielles, arbitrairement considérées comme utiles par des bureaucrates et des politiciens, dont ils assurent la clientèle, lors même que la société sanctionne naturellement leur absence d'utilité. Le contrôle de la société sur les entreprises cela s'appelle le marché. Le contrôle de la nation sur les associations et les partis cela s'appelle les cotisations des adhérents et les dons individuels des sympathisants.

Seulement, ce que l'économiste ou le moraliste condamnent, existe sous une forme ou sous une autre, dès lors qu'un besoin antiéconomique ou un désir immoral en commande le développement. Le moraliste condamne-t-il les maisons closes ? Il entraîne la prostitution, dont on sait qu'elle est le plus vieux métier du monde, à s'exercer sur la voie publique (1). Quant aux partis politiques, dès lors que l'article 4 de notre Constitution les reconnaît pour " l'expression du droit de suffrage ", leurs sources de financement réel, dans le contexte actuel de l'impôt sur le revenu, oscille naturellement entre une situation illicite, celle qui prévalait entièrement avant 1988 et qui n'était pas autre chose que la corruption et le racket (s'exerçant d'abord vis-à-vis des groupes de la distribution, de promotion immobilière et de travaux publics), et une situation légale désormais subventionnaire.

Entre deux maux il faut choisir le moindre : si l'on souhaite la survie de la démocratie représentative en France, mieux vaut peut-être la subvention d'État que le pot-de-vin privé.

Soulignons en effet que rien n'était moins gratuit pour le contribuable que la corruption politique : elle se traduisait par des marchés publics truqués, par la guerre des grandes surfaces, et par toutes sortes de décisions ruineuses pour la collectivité, et au final par des subventions encore plus lourdes et plus opaques.

On tiendra d'autre part pour paradoxal l'idée de chambouler un système de financement qui, certes encourage peu ou prou les tout petits groupements, mais qui semble avoir eu pour conséquence notable de tendre au bipartisme, caractéristique des grandes démocraties stables, et que la France n'avait, jusque-là, jamais su engendrer et discipliner pratiquement depuis le règne de Louis-Philippe (2).

Bouleverser les règles actuelles du financement public semble d'autant plus délicat que l'on a connu en 14 ans, quatre vagues successives de législation et de réglementation, depuis la loi du 11 mars 1988 instituant le financement public. La loi du 15 janvier 1990 a ouvert celui-ci aux partis non-représentés au parlement et elle a créé une commission nationale des comptes. La loi du 29 janvier 1993 a plafonné de manière stricte les financements privés et obligé les partis à en publier la source. Enfin une série de textes adoptés en janvier 1995 a exclu du droit de financer les partis, non seulement les entreprises, mais aussi les associations, les fondations, les syndicats et les collectivités locales. Ce droit est devenu un monopole de l'État… et des partis étrangers…

L'hypocrisie fondamentale vient de ce que l'on ne sait toujours pas, en France, malgré cette avalanche de lois et règlements, ce qu'est véritablement un parti politique et de quelle nature doit être ses statuts. À la veille de disparaître ou plutôt de devenir le plus gros des groupuscules d'extrême gauche, le parti communiste français n'a toujours pas régularisé sa situation légale. D'autres ont toutes les caractéristiques des PME. Quant au plus gros des partis, celui qui va sans doute détenir la majorité au prochain parlement, et pouvoir voter les lois qui s'appliqueront à son propre financement, nul n'en connaît encore les règles démocratiques futures : est-il de droit divin la propriété du duc de Bordeaux ? Certains posent la question.

Il y a donc sans doute beaucoup à dire sur les carences de la loi de 1901 sur les associations, dont le laxisme permet à certains gros rats de se faire octroyer leurs parts dans les trous du gruyère. Nous sommes en l'occurrence en présence d'un exemple flagrant. Commençons donc par consolider dignement et à moraliser vraiment cette loi, et alors peut-être pourra-t-on passer à l'étape suivante.

JGM

(1) La loi dite Marthe Richard du 13 avril 1946, votée sous l'influence du moralisme de la Résistance et de la Démocratie chrétienne, en a été le plus parfait exemple en France. Elle n'a nullement réussi à supprimer la prostitution.

(2) Ceci a tenu historiquement à de nombreuses raisons. Sous la IIIe république, le bipartisme était rendu fondamentalement impossible par l'absence d'accord sur les institutions. Depuis le scrutin du 21 octobre 1945, l'hypothèse du bipartisme a été hypothéquée surtout par la poussée du poids électoral des communistes : 26 % aux élections législatives d'octobre contre 10 % aux élections municipales d'avril. Dans les années 1960, seul le professeur Maurice Duverger (dont l'attitude vis-à-vis du communisme était fort trouble : il a fini par être candidat aux élections européennes sur une liste du parti communiste italien) osait se prononcer en faveur de l'instauration en France de l'instrument essentiel au bipartisme, en Angleterre comme aux États-Unis, c'est-à-dire le suffrage uninominal à un tour. À l'époque cette idée eût rendu le parti socialiste SFIO entièrement dépendant du parti communiste. Aujourd'hui la satellisation se ferait en sens inverse.