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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

MERCREDI 12 JUIN 2002

DERNIER TANGO AGRICOLE À STRASBOURG

Les Français principaux bénéficiaires de la PAC, principaux manifestants...

Les montants colossaux de la PAC pèsent toujours sur les Budgets européens.

En 48 heures, ces 10 et 11 juin, une réunion ministérielle à Luxembourg et une manifestation soi-disant européenne de syndicalistes agricoles à Strasbourg auront démontré combien la politique française vis-à-vis de la construction européenne est demeurée ambiguë et retardataire, accrochée au passé, enfermée dans les 10 années écoulées.

Revenons en effet sur ce rassemblement pathétique, médiatisé à l'avance, officiellement soutenu par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs, lesquels mettaient en avant une coordination nominalement européenne des agriculteurs, le Copa présidé par M. Sonnleiter. On manifestait à Strasbourg : la capitale alsacienne se trouve juridiquement en territoire français, mais elle est kilométriquement très proche de divers autres bassins d'agriculture européenne comme les Pays-Bas, le Bade-Wurtemberg ou l'Ardenne belge. Néanmoins on annonçait au départ 15 000 à 20 000 manifestants venant symboliquement de 23 pays différents tout en prévenant qu'il y aurait au moins 10 000 paysans français, sur 15 000. À l'arrivée, la police n'a guère compté que 11 500 personnes en tout, le point fort de la journée étant d'ailleurs la rencontre franco-danoise de podosphère, un haut événement européen...

Les Français demeurent les principaux bénéficiaires de la PAC, ils sont les principaux manifestants...

La veille ce n'était pas le ministre chargé des Affaires européennes, – occupé dans la 1re circonscription de l'Indre-et-Loire, – mais le titulaire du quai d'Orsay, M. de Villepin, qui donnait le ton français à Luxembourg. Il y affirmait que la France lutterait, qu'elle négocierait pied à pied pour maintenir dans son intégralité la Politique agricole commune. Celle-ci a pourtant été réformée en 1992, en dépit de très fortes réticences françaises, et après un rassemblement de quelque 250 000 paysans français organisé en septembre 1991 à Paris sous la houlette Raymond Lacombe. 10 ans plus tard, la protestation divisait ses effectifs par 23, alors même que ses organisateurs affirmaient la multiplier et l'étendre, non plus à la seule France, mais à 23 nations…

Autre étrangeté de cette dernière crispation agrarienne française : l'enjeu financier invoqué pour ce dernier tango à Strasbourg devant le parlement européen.

On signale en effet qu'entre la position française, attachée au maintien de la PAC et à son application aux 10 ou 12 nouveaux pays qui entreraient dans l'Union en 2004, et la position inverse la plus dure, celle de l'Allemagne, de la Hollande, de l'Angleterre et de la Suède, l'écart budgétaire serait de 2 à 3 milliards d'euros échelonnés entre 2005 et 2006.

Cela semble très peu crédible. Un tel désaccord menacerait dit-on jusqu'au Conseil de Copenhague qui se tiendra en décembre (1) pour clore la présidence danoise, de bloquer une opération géopolitiquement aussi colossale que l'élargissement à 25 ou 27 pays. Cela est d'autant moins croyable que ces 2 ou 3 milliards peuvent être comparés à l'excédent budgétaire du budget européen pour la seule année 2001 : soit 14,7 milliards d'euros (2).

Le contentieux réel n'est donc absolument pas d'ordre financier.

Certains esprits mal intentionnés imaginent que la France cherche à disposer d'une monnaie d'échange, pour faire accepter les atermoiements qu'on lui reproche du point de vue de la convergence monétaire et de l'assainissement budgétaire.

Cette attitude de la France est un peu triste quand on pense que les candidats de l'Est européen ont dû intégrer, eux, dans leur législation 80 000 pages d'acquis réglementaires communautaires, et que les pays du Sud ont été capables, eux, de liquider leurs déficits endémiques.

Mais il y a peut-être d'autres raisons et arrière-pensées. La France officielle s'accroche à la PAC pour des motifs complètement archaïques, et à certains égards sordides. Ceux-ci n'ont en fait que très peu de relations avec l'objectif affirmé depuis 40 ans que notre pays fait de la question agricole le centre de ses préoccupations européennes. Au bout du compte, les montants colossaux de cette PAC, qui pèsent toujours sur les Budgets européens, pendant 30 ans sous forme de soutien des prix (PAC initiale de 1962), et depuis 10 ans de plus en plus sous forme d'aides directes au revenu des agriculteurs (PAC réformée de 1992), tout cela a toujours permis à la nomenklatura pseudo syndicale agricole française de contrôler et de quadriller la Terre, par le biais du Crédit agricole, de la MSA, des SAFER, des organismes redistributeurs par produit, des coopératives, etc., et en même temps d'en évincer les petits paysans.

Et on présente cela à l'opinion comme une grande affaire identitaire et nationale !

Personne ne doit être dupe.

La volonté sous-jacente est de faire contrôler les institutions européennes par le dirigisme, par le monopolisme, par le protectionnisme, le subventionnisme de toute l'idéologie technocratique française remontant à Jean Monnet.

En même temps, la diplomatie française de M. de Villepin semble hériter d'un désir inavoué de freiner un élargissement à l'est qu'elle imagine, depuis 10 ans, contraire au reliquat d'influence française cantonné à l'ouest. Ce mauvais calcul aboutit à commettre un contresens assez inouï et une faute grave contre les destinées de l'Europe en général et de la France en particulier.

Il serait heureux que le nouveau gouvernement, entre le 2nd tour de scrutin du 16 juin, qui devrait consacrer sa suprématie parlementaire, et la réunion du conseil européen de Séville le 21 juin, montre que, de ce point de vue aussi, quelque chose a vraiment changé à Paris.

JG Malliarakis

(1) Après les élections allemandes du 22 septembre et la désignation du nouveau chancelier fédéral.

(2) Chiffre révélé le 5 juin à Bruxelles par Mme Michaele Schreyer, commissaire européen chargé du Budget. Sur ces 14,7 milliards d'euros, 1,8 milliard d'excédents ont été économisés sur les seules subventions agricoles qui n'ont pas trouvé de bénéficiaires.