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COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES

VENDREDI 14 JUIN 2002

EN FINIR AVEC LA DÉVALORISATION DU BAC

Pendant combien de temps encore l'Éducation nationale persistera-t-elle encore à prétendre fabriquer "au nom de la Loi" 80 % de bacheliers par classe d'âge ?

Ce jeudi 13 juin, 628 000 jeunes Français de 13 à 78 ans commençaient les épreuves du baccalauréat, cependant que ce vendredi 14 juin, pour 470 000 élèves de première des lycées, c'était le moment de l'épreuve anticipée appelée ordinairement bac français.

Peut-être parce que l'on commence par la philosophie et par la rhétorique, peut-être même aussi parce que les journalistes eux-mêmes n'en connaissent guère plus, les commentaires médiatiques portent essentiellement sur "la dernière réforme". Pour ce qui est du français cette "dernière réfrome" a été lancée par M. Allègre en 1999. Quant à la future et xième refonte de l'enseignement de la philosophie, on la prépare activement, sans se préoccuper des changements politiques, car on nous soutient qu'il serait à peine croyable que certains programmes puissent remonter à 1973. Mais, qu'on se rassure sur un point essentiel : en fait, ça change quand même tous les ans, et on a encore voté et débattu début juin (1) sur un aménagement des programmes, fabriqué sous le gouvernement de gauche, que certains croyaient démissionné depuis un mois.

Au sein du Conseil supérieur de l'éducation, les avis sont partagés entre deux groupes. Il y a d'une part la CFDT, l'ancienne FEN rebaptisée "Syndicat des enseignants UNSA", et les parents d'élèves de la FCPE, c'est-à-dire en gros la sociale démocratie teintée de laïcisme philosophique. Il y a, de l'autre, le SNES, Force ouvrière et le SNALC, en gros les marxistes purs et durs. Le débat se résume ainsi à la gauche d'un côté, l'extrême gauche de l'autre.

Comme le président du Conseil national des programmes de la gauche est devenu, le 7 mai, le ministre de l'Éducation nationale de la droite, on est curieux de savoir ce que M. Luc Ferry (2), au nom du gouvernement, va bien pouvoir faire entre la gauche et l'extrême gauche.

Car la lancinante question, la question dominante est celle de savoir si, oui ou non, l'Éducation nationale va persister dans la doctrine des 80 % de bacheliers par classe d'âge.

Souvenons-nous en effet de l'origine historique de cette théorie. Elle fut énoncée pour la première fois, en 1985, par M. Laurent Fabius, lui-même agrégé de lettres normalien et ancien élève de l'Ena, puis par son ministre de l'Éducation nationale, M. Jean-Pierre Chevénement, inventeur du concept d'énarchie, toujours à contre emploi. En 1989, un certain Lionel Jospin, devenu à son tour ministre de l'Éducation, et lui-même énarque, inscrivait cet objectif dans une "loi". Nous écrivons ici le mot "loi" entre guillemets car un tel objectif constructiviste ressemble évidemment plus à de la planification soviétique qu'à l'héritage juridique romano-byzantin ou à la common law britannique.

L'objectif était fixé, à l'époque, sur 10 ans. L'échéance prévue était située en 1999.

Or, s'il est de fait qu'entre 1985 et 1999, le pourcentage de jeunes Français auxquels on a décerné le titre, autrefois sérieux, de bachelier, est passé de 29 % à 63 %,

- d'une part le taux de 80 % n'a jamais pu être atteint,

- d'autre part, depuis 1999, et malgré la présence de M. Jospin à l'Hôtel Matignon, le taux de bacheliers effectifs a même eu tendance à régresser, atteignant seulement 61,5 % en 2001.

Reste en effet à mesurer le degré de pertinence de cet objectif 80 %, aujourd'hui encore soutenu par le SNES, syndicat national de l'enseignement secondaire dont l'inféodation au parti communiste et à son idéologie ne s'est jamais démentie.

On rappellera que la doctrine ainsi formulée comme un dogme remonte aux années 1980. Elle s'appuyait, ou plutôt elle prétendait s'appuyer sur le "modèle japonais des ouvriers diplômés" – "modèle" qui devrait avoir cessé de l'être depuis quelque 10 ans. Les 20 % hors "modèle japonais" ne sont pas des Chinois. Le taux en est calculé sur la base de reliquats jugés incompressibles, évalués, une fois pour toutes, forfaitairement à 15 % d'élèves en apprentissage et 5 % orientés vers l'enseignement spécialisé. Et c'est tout (3). Merveilleux "modèle" où personne n'est inapte, personne n'est délinquant ou paresseux, personne n'est illettré, personne n'est fou, personne n'est autiste, personne n'est surdoué. Un seul "modèle" éducatif. Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, et "plus rien ne sera plus comme avant." Comme d'habitude.

Que cette idéologie soit encore professée par le SNES est d'autant plus grave qu'il s'agit de la branche des lycées et collèges de la FSU, syndicat considéré comme majoritairement représentatif, au plan national, du million de fonctionnaires de l'Éducation nationale.

Cette bureaucratie parle haut et fort. C'est elle qui contrôle le fameux "mouvement" des enseignants, gestion centralisée des nominations que le ministre Allègre n'est jamais parvenu à lui retirer. Et elle s'enferme dans la défense de cet "objectif 80 %" irréalisable, mais pour la réalisation duquel elle demande, bien évidemment, "plus de moyens". Puisque l'objectif ne sera jamais réalisé, les "moyens" que l'on peut syndicalement revendiquer pour y tendre sont mathématiquement illimités. C'est donc toujours bonne affaire, pour une bureaucratie syndicale, qu'un objectif absurde !

Or, il est à remarquer que la représentativité syndicale théorique de la FSU et du SNES, irréfragablement présomptive et institutionnellement reconnue (testée par des grandes marques) ne se retrouve pas dans l'opinion réelle du corps enseignant. Un sondage réalisé en mars 2001 auprès d'enseignants de moins de 35 ans, établissait ainsi que 71 % d'entre eux estiment qu'inciter le plus d'élèves possible à poursuivre jusqu'au bac "a surtout pour conséquence de dévaloriser le baccalauréat et d'abaisser le niveau".

Il serait temps d'en prendre acte.

• JG Malliarakis •

(1) Réunion du CSE du 6 juin.

(2) À en croire le Monde (9 mai) cet incurieux descendant de Jules Ferry serait incapable de préciser son lien généalogique. Du passé faisons table rase.

(3) Cf. Claude Lelièvre "Les politiques scolaires mises en examen : douze questions en débat" Éditions ESF 208 pages, 2002.

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