COURRIER DES LIBERTÉS SOCIALES
LUNDI 24 JUIN 2002
DÉRIVES DU MODÈLE EUROPÉEN ...
Si elle veut vraiment combattre les causes de l'immigration clandestine l'Europe devra s'attaquer à la dérive de ses dépenses de redistribution.
Il est sans doute regrettable que le Conseil européen réuni à Séville ne se soit pas conclu ce 22 juin, dans tous les domaines, par les orientations fermes qui eussent été les plus souhaitables pour l'Europe. On s'est ainsi beaucoup crispé sur l'opposition, à propos de la lutte contre l'immigration extra-communautaire illégale, entre une ligne plus dure et une ligne finalement laxiste représentée par les gouvernements actuels de Paris, Bruxelles et Stockholm.
On doit cependant remarquer deux acquis très importants. D'une part, les pays d'origine seront responsabilisés et pratiquement contraints d'accepter les rapatriements forcés. On appellera cela le régime de la réadmission obligatoire. D'autre part, la gestion commune des flux migratoires comprendra une lutte contre les causes de ces flux.
Le chancelier Schroeder a donc eu certes raison de dire tout haut sa déception quant à certains atermoiements. Et il est profondément regrettable que la France officielle, sans avoir désormais l'excuse de la cohabitation, porte la responsabilité de cette déconvenue. Mais, tôt ou tard, certaines mesures nécessaires seront prises. Par exemple une police européenne des frontières verra le jour. À défaut d'avoir pu se faire sous la présidence espagnole, ce sera sous une présidence danoise, autrichienne ou néerlandaise, peu importe.
Au-delà en effet de la répression des délits liés à l'immigration clandestine, du filtrage du droit d'asile et du développement d'une aide au retour, il est effectivement urgent de s'interroger sur les pompes aspirantes de l'immigration lesquelles résultent autant du protectionnisme social que du protectionnisme douanier.
Sur ce dernier point la question du libre échange des marchandises est essentielle. Nous devons persister à militer pour l'abaissement des barrières douanières et pas seulement pour déplaire aux quelques milliers d'excités gauchistes de toutes nuances, allant des terroristes de l'ETA aux admirateurs de Fidel Castro qui défilaient à Séville (1).
Mais la question la plus urgente est évidemment celle des gaspillages de nos systèmes de protection sociale, question qui se trouve au cur des problèmes de nos finances publiques.
La dépense publique en Europe, tout en étant particulièrement pénalisante en France, obéit globalement à des règles assez comparables : la France a certes 5 points de dépenses en plus par rapport à ses principaux partenaires européens mais l'Europe a globalement 10 ou 15 points de plus que ses concurrents mondiaux.
On doit donc de ce point de vue distinguer 3 sortes de dépenses publiques : les unes que l'on qualifie traditionnellement de régaliennes (police, justice, défense, administration proprement dite). Les autres peuvent être considérées comme prospectives : elles portent sur l'éducation, la santé publique, la recherche, les infrastructures. Enfin viennent les dépenses qualifiées de redistributives : c'est toutes celles qui ont trait au Welfare State, au protectionnisme social.
En moyenne les dépenses régaliennes représentent 6 % du PIB européen. Les statistiques européennes les évaluent à 3,3 % pour l'Allemagne, et au contraire en Grèce elles dépassent 8 % en raison des contraintes de la défense nationale. Mais, au total, ces dépenses ont tendance à diminuer dans toute l'Europe depuis quelque 20 ans.
Ce ne sont donc absolument pas les dépenses régaliennes qui obèrent les budgets de nos États-nations déliquescents.
Ce sont au contraire les dépenses prospectives et surtout les dépenses redistributives.
Nous ne développerons pas ici une querelle doctrinaire sur les dépenses prospectives en Europe. Qu'il s'agisse en effet d'éducation, de santé publique proprement dite ou de recherche on peut, certes, s'interroger quant à l'attribution qui serait la plus légitime, la plus pertinente et la plus intelligente entre les États, les Régions, le capital privé ou l'Europe. Le fait est que la doctrine et la pratique les plus répandues en Europe et dans les autres espaces consistent, à tort ou à raison, à les considérer comme des élargissements presque naturels des dépenses régaliennes traditionnelles. En tout état de cause cette extension porte sur 10 % en moyenne du produit intérieur brut. Ce n'est pas cela qui constitue pour l'essentiel ni la catastrophe actuelle des comptes publics ni les pompes aspirantes de l'immigration.
La plaie véritable vient en effet des dépenses de 3e type, celles qui s'opèrent au nom de la Redistribution et qui se présentent toujours comme d'excellentes réalisations sociales. Ce sont en France les surcharges de la protection sociale, ce sont les variétés des prestations qui dénaturent la branche famille, c'est l'aide dite personnalisée au logement, ce sont toute une série de minimums sociaux, que même le gouvernement Jospin était mené à considérer comme des trappes à inactivités.
Dans toute l'Europe le poids de ces dépenses s'est multiplié par 2,5 proportionnellement au PIB depuis 40 ans, atteignant 26 % en moyenne en l'an 2000. La France, pays des 365 fromages, bat évidemment tous les records en poids et en variétés de ces institutions démagogiques. Mais même si notre pays a encore alourdi sa barque de 3,2 points dans les 5 dernières années, la vertueuse Angleterre de Tony Blair elle-même a fait encore pire avec 3,9. Et elle dépasse désormais, elle aussi, la moyenne européenne.
On doit donc bien comprendre une fois pour toutes que tant que l'Europe entière ne s'attaquera pas à ces dérives, l'Europe ne sera pas guérie.
(1) Ils prétendaient être 200 000, mais la police espagnole n'en a compté que 20 000.